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que le bien, le juste et le vrai; la philosophie, en un mot, a pénétré dans les climats du nord: elle y est assise sur des trônes, et sous son règne fortuné, l'humanité long-temps muette dans les chaînes du despotisme, élève enfin sa voix mal assurée encore, et prend, pour réclamer ses droits, le ton modeste et réservé du doute.

C'est la raison, l'expérience, la vérité, qu'elle interroge. Puissent-elles, pour lui répondre, faire parler ces sages éloquents dont le génie et les vertus font la gloire de notre siècle! Je n'ai pas leurs lumières, mais j'aurai leur courage, et mon zèle au moins touchera les amis de l'humanité.

Pour décider ce qui peut être avantageux à un état, déterminons d'abord quels sont ses avantages.

Les avantages d'un état, sont la solidité, la force et le bonheur de sa constitution.

« en propre du terrain, ou qu'il ait seulement des biens meu«bles ? Et jusqu'où le droit du paysan, sur cette propriété, « devrait-il s'étendre pour l'avantage de l'État ?

« Parmi les discours qui concoururent pour le prix pro

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posé, celui qu'on va lire attira singulièrement l'attention

« des juges....

<«< Sans apprécier les ménagements tirés des lieux et des <«< circonstances, qui firent préférer dans le temps une dissertation très-inférieure pour le fonds et pour la forme, << nous croyons faire plaisir à nos lecteurs de conserver dans <«< ce recueil un discours plein de raison...... sur une matière a très-intéressante. >>

Ces trois objets sont si étroitement liés, qu'ils rentrent souvent l'un dans l'autre. Qu'on ne soit donc pas étonné si je les confonds quelquefois.

SOLIDITÉ.

La solidité d'un état dépend de la cohérence de ses parties, et de leur repos respectif dans l'ordre où les place la loi. Or, cette union, ce repos ne peut jamais être durable qu'autant que l'état est fondé sur des lois égales et justes, et que ces lois sont affermies par le lien du bien

commun.

Il est égal que la société soit d'institution volontaire ou forcée; qu'elle ait choisi sa forme, ou qu'elle l'ait reçue; qu'un peuple ait pris chez l'étranger, comme les anciens Esclavons (1), des chefs pour appaiser ses troubles domestiques, pour le gouverner au-dedans, et le protéger audehors; ou qu'il se soit livré à ses libérateurs par amour, par estime et par reconnaissance, comme ces mêmes Esclavons affranchis du joug des Tartares; qu'en se donnant des chefs il ait capitulé, qu'il ait fait un pacte avec eux (2), ou que sa confiance entière n'ait mis ni borne ni réserve à leur autorité suprême (3). Ces diffé

(1) De Nowogorod.

Comme avec le tsar Vasili.

(3) Comme avec Michaël Romanof.

Mélanges.

rences apparentes dans ce qu'on appelle le droit n'en font aucune dans le fait. Pour subsister en paix, en bonne intelligence, et en sûreté avec elle-même, toute société n'a jamais qu'un moyen, c'est d'être telle que des hommes libres, éclairés sur leurs intérêts, aient pu la contracter ensemble, et y trouver leur avantage : car c'est l'accord des intérêts qui fait l'accord des volontés; et que cette condition soit expresse ou tacite, elle n'en est ni plus ni moins réelle le serment même en est un signe superflu: sans lui elle est inviolable; et tant qu'il sera naturel aux hommes d'aimer, de chercher leur bien-être, il sera essentiel aux rois de rendre leurs peuples heureux.

Si c'est l'artifice et la fraude qui d'abord ont surpris l'aveu d'une des classes de l'état pour une convention faite à son préjudice, et si le tort est grave, s'il est injurieux, s'il est décourageant pour elle, le droit qu'elle a de réclamer contre la surprise et l'erreur est à jamais imprescriptible; il n'y a d'incertain que le temps où elle usera de ce droit.

Si c'est la force qui a fait la loi, et si la loi n'est pas équitable, le parti lésé n'y souscrit qu'autant qu'il n'est pas le plus fort. Si ce parti fait le plus grand nombre, on sera sans cesse obligé de l'affaiblir en l'opprimant ; et d'empêcher qu'il ne s'éclaire sur l'iniquité de la loi, ou qu'il ne conspire contre elle.

On ne peut penser, sans frémir, que Lycurgue, en formant son aristocratie, pour assurer la supériorité du peuple roi sur le peuple esclave, permit aux citoyens la chasse des Ilotes, seul moyen d'empêcher qu'en se multipliant, ils ne devinssent redoutables (1). On sait que Rome, la superbe Rome, a tremblé devant ses esclaves, dès qu'il s'est trouvé parmi eux un Spartacus pour les commander. On sait, hélas! pour le malheur et l'opprobre éternel de l'humanité, à

(1) Plutarque a voulu nier que cette loi, qu'on appelait criptia, eût été faite par Lycurgue. L'usage d'aller à l'affût des Ilotes ne fut établi, dit-il, qu'après leur soulèvement en faveur des Messéniens; et il se fonde sur la douceur et la justice de Lycurgue. Mais Aristote n'hésite point à lui attribuer cette loi; et il est bien aisé de voir qu'elle lui était nécessaire. Le citoyen de Sparte, politique et guerrier, ne pouvait être, par ses lois, ni laboureur, ni artisan, il fallait donc lui attacher un peuple qui le fût pour lui. Il fallait s'assurer que ce peuple d'esclaves serait toujours plus faible que ses maîtres, et hors d'état de s'affranchir. Or le plus sûr et le seul moyen d'empêcher un peuple cultivateur de se multiplier plus qu'un peuple guerrier, c'était d'en user avec lui comme avec les bêtes sauvages; et Lycurgue était conséquent. C'est d'après le même principe, que Sparte, dans un besoin pressant, ayant armé ses esclaves, et deux mille d'entre eux ayant donné des preuves d'une extrême valeur, on les couronna de lauriers, on les promena autour des temples, et peu de jours après il se trouva qu'ils étaient tous morts, sans qu'on eût su comment, dit Plutarque. Au moins savait-on bien pourquoi. (Voyez PLUTARQ. vie de Lycurgue; et THUCYDIDE, Histoire du Péloponnèse.)

quel prix, et par quels moyens l'Europe est venue à bout de subjuguer l'Amérique.

Les efforts que l'on fait pour contenir un peuple dans la crainte, la gêne et l'asservissement, font violence à la nature; et plus l'obéissance devient pénible, plus l'autorité réprimante a besoin d'être rigoureuse (1). Ainsi le joug s'appesantit jusqu'à ce qu'il soit accablant. Alors, ou l'on obtient (déplorable succes!) que l'homme, oubliant qu'il est homme, endurci à la peine, insensible à la honte, rampe réduit au rang des bêtes; ou s'il ose se souvenir de sa dignité dégrádée, s'il ose penser à ses droits, ressentir son injure et consulter ses forces, dès ce moment le noeud social est rompu, et l'état oppresseur et l'état opprimé deviennent ennemis irréconciliables. La Suisse et la Hollande ont dû leur liberté au despotisme de leurs maîtres; et par-tout la révolte est née du sein de l'oppression.

Je veux cependant qu'on ait su donner un

(1) Dans quelques États de l'Europe, le seigneur a droit de vie et de mort sur ses vassaux. Dans d'autres, ce droit seul est excepté du despotisme domestique. La loi, en livrant l'homme à l'homme, permet qu'il soit battu, meurtri de coups, pourvu qu'il n'en meure pas sur-le-champ, et qu'il lui reste assez de vie pour n'expirer que dans trois jours: cela s'appelle un adoucissement aux rigueurs de la servitude. Voilà cependant où conduit une première loi contraire à la

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nature.

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