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Par ses soins, les bords qu'il ravage
Renaissent du sein du carnage
Chargés des trésors de la paix.
Ainsi l'Égypte plus féconde

S'élève du milieu de l'onde
Qui vient d'engloutir ses guérets.

Qu'à ses pieds le tombeau s'entr'ouvre,
Qu'à ses yeux, prêts à se fermer,
La faulx de la mort se découvre;
Louis la voit sans s'alarmer :
Mais que guidé par la victoire,
Du théâtre affreux de sa gloire
Il vienne à contempler l'horreur;
O mort, qu'il voyait sans se plaindre,
C'est là qu'il apprend à te craindre,
Et qu'il gémit de ta fureur!

Vous que la victoire lui livre,
Guerriers au trépas échappés,
Ne rougissez point de survivre
Au revers qui vous a frappés.
En vous, votre vainqueur honore
Une valeur qui brûle encore
De se signaler contre lui.
Désarmé par votre disgrâce,
Le même bras qui vous terrasse,
Vous tend un généreux appui.

Grand roi, tes ennemis eux-mêmes
Connaissent le fond de ton cœur :
Ils savent trop que tu les aimes,
Et qu'ils fléchiront leur vainqueur.
Leur audace en vain réprimée,
Leur haine cent fois rallumée

Par l'espoir de l'impunité,
Et cette orgueilleuse assurance
Qu'ils opposent à ta clémence,
Rendent hommage à ta bonté.

PRIÈRE POUR LE ROI.

Grand Dieu! toi qui connais le cœur
De ce roi généreux et tendre,
Exauce les vœux du vainqueur,
Et sur nous la paix va descendre.

LES CHARMES DE L'ÉTUDE,

ÉPITRE AUX POËTES;

Ouvrage qui a remporté le prix de l'Académie. Française en 1760.

M

Es bons amis, mes compagnons, mes guides,
Illustres morts, parmi vous je reviens
Goûter en paix, dans vos doux entretiens,
Des plaisirs purs, délicats et solides.

Je viens jouir; je viens charmer le temps.
Ce temps, si court, a des langueurs mortelles
Quand l'ame oisive en compte les instants:
C'est le travail qui lui donne des ailes.

L'homme veut être, et ne peut résister
Au sentiment de sa propre durée :
L'heure où l'on vit se passe à s'éviter;
La peine active est souvent préférée
Au froid loisir de se voir exister.
J'ai vu ce cercle où règne l'inconstance,
Ce monde vain, tumultueux, flottant,
Où le plaisir est l'objet d'importance,
Où tour-à-tour on se cherche, on s'attend,
Pour s'oublier le soir en se quittant.
Qui ne croirait, à voir cette affluence

Dans ces jardins, à ce brillant soupé,
Qu'on est heureux? L'on n'est que dissipé.
De deux soleils abréger la distance

Est tout le soin dont on est occupé ;
Et dans la foule, à soi-même échappé,
L'on se dérobe à sa triste existence.

Livres chéris! Ah! qu'il m'est bien plus doux
De m'oublier, de me perdre avec vous!
Vous élevez, vous enchantez mon ame,
Rapide Homère, audacieux Milton,
Torrents mêlés de fumée et de flamme.
A ce mélange en vain préfère-t-on
La pureté d'un goût pusillanime:
Du char brûlant du dieu qui vous anime,
Si vous tombez, c'est comme Phaéton;
Et votre chûte annonce un vol sublime.

De l'art naissant l'essor ambitieux,
Libre du moins dans sa route incertaine,
Osait franchir la barrière des cieux :
L'usage encor, tyran capricieux,
Ne tenait point le génie à la chaîne.
Peindre, émouvoir, imiter dans vos vers
L'heureux larcin du hardi Prométhée,
Donner la vie à mille êtres divers,
Élever l'homme, embellir l'univers;
Telle est la loi que vous avez dictée.
Ce merveilleux qui règne en vos écrits,
Colosse informe et beauté monstrueuse,
Par sa grandeur fière et majestueuse,
Du censeur même étonne les esprits.

Le seul Lucain (1), cherchant une autre gloire,

(1) Lucain mourut à l'âge de vingt-sept ans, et nous laissa un poëme défectueux, mais plein de génie, dont le grand Corneille faisait son étude. Voyez Cinna, les Horaces, la Mort de Pompée.

Sans le secours des enfers ni des cieux,
D'un feu divin sait animer l'histoire,
Et son génie en fait le merveilleux.
Il est un vrai que l'artifice énerve :
Ce vrai l'inspire et lui donne le ton.
Qu'a-t-il besoin de Mars et de Minerve?
Il a César et Pompée et Caton.

Les passions de César et de Rome

Lui tiennent lieu d'Hécate et d'Alecton:
Le ciel, l'enfer, sont dans le cœur de l'homme.

Donne à Lucain ton style harmonieux,
Ou prends de lui son audace intrépide,
O toi, d'Homère émule trop timide (1),
Peintre touchant, poëte ingénieux,
Sage Virgile. Et pourquoi de tes ailes
Ne pas voler par des routes nouvelles?
Ulysse errant descendit aux enfers,
Et sur ses pas j'y vois descendre Énée :
Si Calypso gémit abandonnée,

Didon trahie expire dans tes vers......
Didon! que dis-je? Est-il rien que n'efface
De ce tableau la sublime beauté ?
Tu peins Didon, et tu n'as pas l'audace
D'aller sans guide à l'immortalité !

Si ton rival tient le sceptre au Parnasse,
Il ne le doit qu'à ta timidité.

Ah! si du moins tu l'avais imité

Dans ses desseins majestueux et vastes,

Dans ce grand art des groupes, des contrastes,
Art dont le Tasse a lui seul hérité....

(1) On sait que les premiers livres de l'Énéide sout d'après l'Odyssée, et les derniers d'après l'Iliade.

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