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L'homme est de glace aux vérités;
Il est de feu pour le mensonge,

a dit La Fontaine. J'ose penser différemment : car si la vérité nous touche d'aussi près et aussi sérieusement que le mensonge, nous l'aimons, nous la saisissons aussi avidement et plus avidement encore. Mais si elle nous est étrangère, elle nous est indifférente; et si elle nous est odieuse et nuisible, nous avons droit de lui préférer l'illusion qui nous console, la fiction qui nous instruit, le mensonge qui nous persuade d'être justes, nous encourage à être bons, et nous enseigne à être heureux.

FIN DE L'ESSAI SUR LES ROMANS.

DE L'AUTORITÉ

DE L'USAGE

SUR LA LANGUE.

Discours lu dans la séance publique de l'Académie
Française, le 16 juin 1785.

DANS la manière de s'exprimer, comme dans celle de se vêtir, l'usage diffère de la mode, en ce qu'il a moins d'inconstance: mais l'usage, comme la mode, ne reconnaît pour règle que le goût; et, selon que les mœurs publiques, le caractère et l'esprit dominant rendent le goût d'une nation plus raisonnable ou plus fantasque, l'usage est aussi plus sensé ou plus capricieux dans ses va

riations.

Chez les peuples qui ne parlent que pour se faire entendre, la langue est presque invariable; et qu'elle suffise au commerce de la vie et de la pensée, c'en est assez elle a pour eux le nécessaire, et ils ignorent le superflu.

Mais à mesure que dans son langage, comme dans ses vêtements, une nation se livre à l'attrait du luxe, et qu'en parlant pour son plaisir, plus que pour ses besoins, elle s'occupe de l'élégance

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et de l'agrément de l'élocution, le désir et le soin de plaire la rendent inquiète, curieuse, incertaine dans la recherche de ses parures; et de là les raffinements et les caprices de l'usage.

Cependant on observe que de toutes les langues, celle qui a le plus donné à l'ornement et au luxe de l'expression, la langue grecque, a été peu sujette aux variations de l'usage; et la différence de ses dialectes une fois établie, on ne s'aperçoit plus qu'elle ait changé depuis Homère jusqu'à Platon. La langue d'Homère semblait douée, ainsi que ses divinités, d'une jeunesse inaltérable : on eût dit que l'heureux génie qui l'avait inventée, eût pris conseil de la poésie, de l'éloquence, de la philosophie elle-même, pour la composer à leur gré. Vouée aux grâces dès sa naissance, mais instruite et disciplinée à l'école de la raison, également propre à exprimer et de grandes idées, et de vives images, et des affections profondes, à rendre la vérité sensible, ou le mensonge intéressant, jamais l'art de flatter l'oreille, de charmer l'imagination, de parler à l'esprit, de remuer le cœur et l'ame, n'eut un instrument si parfait. Pandore, embellie à l'envi des dons de tous les dieux, était le symbole de la langue des Grecs.

Il n'en fut pas de même de celle des Latins. D'abord rude et austère comme la discipline et comme les lois dont elle était l'organe, pauvre comme le peuple qui la parlait, simple et grave

comme ses mœurs, inculte comme son génie, elle éprouva les mêmes changements que le caractère et les mœurs de Rome. De sa nature, elle eut sans peine la force et la vigueur tragique qu'il fallait à Pacuvius, la véhémence et la franchise que demandait l'éloquence des Gracques; mais, lorsqu'une poésie séduisante, voluptueuse, ou magnifique, en voulut faire usage; lorsqu'une éloquence insinuante, adulatrice, et servilement suppliante, voulut l'accommoder à ses desseins, il fallut qu'elle prît de la mollesse, de l'élégance, de l'harmonie, de la couleur; et que, dans l'art de prêter au langage un charme intéressant et une douce majesté, Rome devint l'écolière d'Athènes, avant que d'en être l'émule. Ce qu'ont fait les Latins pour donner de la grâce à une langue toute guerrière, est le chef-d'oeuvre de l'industrie; et dans les vers de Tibulle et d'Ovide, elle semble réaliser l'allégorie de la massue d'Hercule, dont l'amour, en la façonnant, se fait un arc souple et léger.

Celles de nos langues modernes qui se sont le plutôt fixées, sont l'Espagnol et l'Italien : l'une, à cause de l'incuriosité naturelle des Castillans, et de cette fierté nationale, qui, dans leur langue, comme en eux-mêmes, fait gloire d'une noblesse pauvre et dédaigne de l'enrichir; l'autre, à cause du respect trop timide que les Italiens concurent pour leurs premiers grands écrivains, et de la loi prématurée qu'ils s'imposèrent à eux-mêmes,

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