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cifique, indulgent, modeste, ou du moins attentif à ne pas rendre pénible aux autres l'opinion qu'il avait de lui-même, s'était annoncé par des talents heureux, qui, sans trop alarmer l'envie, gagnaient l'estime, et quelquefois dérobaient l'admiration. Un goût pur, un esprit facile, un naturel ingénieux, faisaient de lui un écrivain charmant. Une santé languissante annonçait le peu de durée de cette fleur, qu'un souffle allait sécher, et rendait plus précieux encore l'éclat de ses couleurs et la douceur de ses parfums.

Vous êtes entré dans la carrière avec une résolution plus marquée et une ardeur plus impatiente de vous signaler; vous avez moins dissimulé une ambition et des espérances, qui, toutes justes qu'elles étaient, n'ont pas laissé que d'irriter l'amour-propre de vos rivaux.

Aussi, tandis qu'il a joui sans trouble de sa naissante renommée, avec quelle obstination ne vous a-t-on pas disputé vos succès? Nul homme n'a tous les talents; nul talent même n'est égal dans toutes ses parties; en exagérer les défauts, en dissimuler le mérite, c'est le secret de la mauvaise foi, c'est l'abrégé de l'art de nuire. A peine a-t-on voulu reconnaître dans vos écrits ce goût pur, cette raison saine, qui en écarte sévèrement et le sophisme ingénieux, et la vaine déclamation, et le précieux du langage, et les faux brillants de l'esprit. Si dans Warvick vous avez soutenu, par la chaleur de l'éloquence,

une action simple et rapide, on vous a reproché d'en avoir négligé l'intrigue; comme si l'objet de l'intrigue n'était pas rempli, quand l'intérêt croît d'acte en acte, et que l'émotion fait les mêmes progrès. Si dans Mélanie vous avez arraché des larmes, on a feint d'ignorer que la véritable action dramatique est dans les mouvements de l'ame on n'a voulu voir dans ces scènes si vives et si déchirantes qu'un dialogue sans action; et lorsque entraîné par le charme d'un style simple sans négligence, plein sans roideur, noble sans faste, élégant presque sans parure, on était forcé malgré soi de lire et de relire ce drame attendrissant, la malignité révoltée contre un plaisir involontaire, s'en consolait, en se flattant de ne jamais voir Mélanie occuper le théâtre et y répandre ses douleurs. Enfin, monsieur, quoique la vanité des petits talents, blessée par votre franchise, et affligée par vos succès, ne vous trouvât rien moins que séduisant, elle vous accusait de nous avoir séduits, lorsque, tout d'une voix, nous vous décernions les couronnes de l'éloquence et de la poésie. Le public même souriait avec une maligne joie à cette foule d'ennemis obscurs, qui s'efforçaient de vous déprimer, pour vous rendre, s'ils l'avaient pu, aussi méprisable qu'eux-mêmes; et cependant, des qu'il y avait parmi nous une place à remplir, ce public indéfinissable se hâtait de vous désigner, et de la demander pour vous: alternative de ma

lice et d'équité bien étrange sans doute, mais naturelle au coeur humain !

Pour nous, monsieur, sans nous séduire, vous nous avez intéressés, par le courage avec lequel nous vous avons vu lutter sans cesse contre le torrent de l'envie, et nous lui disons quelquefois tu as beau vouloir le submerger; tu ne fais qu'exercer et accroître ses forces. Merses profundo; pulchrior evenit.

Dans ces disputes littéraires, où vous défendiez la cause commune du goût, nous vous avons souhaité quelquefois plus de modération, jamais plus de droiture ni de sincérité. L'étude réfléchie des grands modèles, la connaissance approfondie de la saine littérature vous donnaient assez d'avantage : le sel du goût et de l'esprit n'a pas besoin d'être mêlé du sel amer de la satire. Vous avez laissé la ressource des personnalités à ces ames basses et viles que l'envieuse malignité tient à ses gages; et digne de sentir le prix des vrais talents, comme d'en partager la gloire, vous en avez été en même temps l'émule et le panégyriste. Voilà, monsieur, ce qui vous distingue et vous ennoblit à nos yeux.

Nous avons estimé en vous le zèle qui vous animait pour la défense d'un homme illustre qui vous aime, et qui vous a comme adopté. Ses ennemis sont devenus les vôtres, et ses ennemis. sont nombreux. La supériorité du génie est peutêtre la plus importune de toutes; et dans l'es

pèce d'ostrascisme que l'on exerce contre ces esprits élevés qui dominent l'opinion, et qui pèse sur tout un siècle, leurs admirateurs trop ardents sont traités commé leurs complices. On eût voulu de vous peut-être une admiration muette. Monsieur, le silence est d'un lâche, quand c'est à la reconnaissance, à la justice et à la vérité que la crainte étouffe la voix. J'ose donc vous féliciter d'avoir été sincère et juste, aux dépens de votre repos. Je sais qu'on a pris ce courage pour de l'orgueil on eût mieux aimé des bassesses; et l'on vous en aurait cruellement puni. Laissez au temps et à votre conduite le soin de votre apologie, et reposez-vous sur la force invincible du bon goût et de la raison, qui vous vengeront à leur tour.

Il y a, monsieur, deux sortes de réputations littéraires l'une est celle qui prend sa source dans l'opinion des gens de lettres, et qui de là s'étend dans la société; l'autre est celle qui prend sa source dans ces cercles légers et sérieusement frivoles, qui, se dispersant dans le monde, y vont annoncer le talent qu'ils honorent de leur faveur. On peut comparer l'une à ces eaux vives qui coulent du sein des montagnes, et qui ne tarissent jamais. L'autre ressemble à ces eaux dormantes, qu'une pénible industrie amasse, élève et suspend à grands frais, pour leur donner un moment l'apparence d'une rapidité naturelle et d'une intarissable fécondité; mais qui, l'instant

d'après, retombent et s'écoulent avec une langueur mourante qui annonce leur épuisement.

Cette célébrité, si bruyante et si rapidement passagère, n'a pas été la vôtre, et n'a pas été celle de M. Colardeau. Vous avez recherché l'un et l'autre, non pas l'opinion de la multitude, qui rarement remonte jusqu'aux gens de lettres, mais l'opinion des gens de lettres, qui descend vers la multitude, et qui l'entraîne tôt ou tard. Ce sont vos pairs qui les premiers ont apprécié vos talents, même celui qui vous distingue, et qui, j'ose le dire, a très-peu de vrais juges, celui de bien écrire en vers.

L'art des vers, dans sa nouveauté, avait quelque chose de mystérieux. Ce problème, si compliqué, dont la solution consiste à réunir, dans une mesure prescrite, l'artifice et le naturel, l'élégance et la précision, la contrainte et la liberté, l'harmonie, et le coloris, la justesse de la pensée et de l'expression, et l'exactitude sévère de la cadence et de la rime; cet art, sans cesse déguisé sous l'apparence d'une rencontre heureuse, présentait successivement, dans la difficulté à vaincre un nouvel objet de curiosité, et dans la difficulté vaincue un nouvel objet de surprise : ainsi le prestige du vers suffisait alors et au plaisir du lecteur, et au succès du poëte.

Tout se déprise par l'habitude; et depuis que le merveilleux de cette langue nous est devenu familier, le poëte est soumis à des lois plus sé

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