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pandre dans tous les esprits? Les lettres, sous ce point de vue, peuvent-elles ne pas attacher les regards des rois, des héros et des sages?

Mais c'est à ceux mêmes qui cultivent les lettres que le commerce en est précieux. Que ne puis-je en exprimer l'avantage comme je le sens! Que ne puis-je avec tous les vrais citoyens de la république littéraire, voir ce qu'ils ont tant souhaité, la concorde étouffer l'envie! Non, ce n'est point un vou chimérique. L'amitié, ce lien des cœurs, est des dons du ciel le plus rare: il l'est parmi les gens de lettres, comme il l'est dans tous les états. Mais le commerce, l'accord des esprits, ce goût mutuel qui les attire, ce besoin de se communiquer, ce plaisir délicat qu'ils éprouvent a s'éclairer, à s'animer l'un l'autre ; cette union, dis-je, a fait, dans tous les temps, le bonheur et la gloire des lettres. Le siècle passé la vit régner parmi ses écrivains les plus célèbres. Elle est la méme, et plus paisible encore, entre les premiers talents de nos jours. Plusieurs en ont goûté les charmes auprés de ce génie aimable qui manque ici à mon bonheur, auprès de cet homme universel qui m'a permis de l'appeler mon maître, lui qui dans Athènes aurait eu pour disciples les Euripides et les Xénophons. Pourquoi son exemple et le vôtre, messieurs, n'engagerait-il pas les gens de lettres à s'honorer par une heureuse intelligence? Leur gloire en dépend, leur besoin les en presse, leurs succès y sont attachés.

Je ne parle point du goût que leur commerce épure, des finesses de l'art qu'il décèle, des replis de la nature qu'il développe, des traits délicats qu'il y fait saisir; je me borne au courage, à l'émulation qu'il inspire, à l'essor qu'il fait prendre aux idées, à l'enthousiasme qu'il donne aux talents; le dirai-je? à cette espèce d'électricité que les esprits se communiquent, si-tôt que l'intérêt de l'art vient les animer et les mettre en action.

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Voyez l'homme de lettres dans sa solitude: épuisé de fatigue et de veilles, plein d'inquiétudes et d'alarmes, ayant sans cesse devant les yeux un public difficile et sévère, découragé, tantôt par les difficultés de l'art, tantôt par les variations du goût, une ombre l'effraie; il se craint lui-même s'il lui vient une lueur d'espoir, c'est un trait de présomption; il se défie de sa confiance. Livré à lui-même, il ne sent pas ses forces il n'osera jamais tout ce qu'il peut. Qui levera le faible obstacle qui l'arrête au milieu de sa course? Qui le ramènera dans la voie, d'où peut-être il n'est éloigné que d'un pas au moment même qu'il se croit égaré? Sera-ce celui qui s'amuse des lettres? Non, mais celui qui s'en occupe. Le monde est pour un écrivain une école de bienséance, de délicatesse, de politesse et d'agrément; mais pour les coups de lumière et de force, les grand vues, les hardis desseins, il

doit consulter ses pareils. Il les consulte; il est ranimé. L'espoir renaît, les craintes se dissipent, les difficultés s'applanissent. Ce n'est point une critique froide, minutieuse, stérile qui préside à leur examen; c'est une critique sévère, mais lumineuse et féconde en ressources : c'est peu d'éclairer, elle inspire; et quel est l'homme de lettres, messieurs, qui n'est pas redevable d'une partie de sa gloire à de telles inspirations? Combien de traits de génie ont attendu qu'une idée étrangère les fit éclore, semblables à ces feux rapides et brillants qu'une étincelle fait éclater? Qui sait ce que Racine, Despréaux, Molière et La Fontaine se devaient réciproquement?

Mais ce commerce si intéressant du côté de l'esprit, peut l'être encore plus du côté de l'ame; et j'ose le dire à la gloire de mon siècle, jamais l'émulation des vertus n'a plus ennobli celle des talents; jamais des mœurs si pures n'ont honoré les lettres; jamais votre exemple n'a été mieux suivi. Et quelle épreuve n'ai-je pas faite de la sensibilité, de l'élévation d'ame qu'un homme de lettres est sûr de trouver dans ceux de son état? Qui sait mieux que moi avec quelle chaleur le fort y protége le faible; combien leur estime est solide, leur bienveillance active, leur amitié constante, et combien ce qui serait pénible et courageux pour des ames vulgaires, paraît simple et facile à ces cœurs généreux? Pardonnez-moi, messieurs,

ce retour sur moi-même. C'est peu pour moi que le souvenir de ce que je dois aux gens de lettres soit gravé au fond de mon coeur; je veux, pour le rendre immortel, qu'il soit consacré dans vos fastes.

Mais pourquoi, dans la société littéraire, voiton les esprits se concilier, se rapprocher de plus en plus? C'est que la raison, quoi qu'on en dise, fait d'heureux progrès parmi nous; c'est qu'à mesure que les hommes s'éclairent, ils sentent mieux le besoin de s'aimer; c'est que tout se ressent de l'exemple d'un roi à qui l'orgueil est odieux, et qui ne connaît d'autre gloire que celle d'être bienfaisant et juste.

Voilà, messieurs, les héros que les muses doivent se plaire à célébrer. Malheur à elles, si elles flattaient l'ambition et la violence. C'est aux furies à s'abreuver de sang et à se baigner dans les larmes. Les muses sont filles de la paix; elles doivent aimer leur mère. Leur règne est donc celui d'un bon roi. C'est une ame sensible, équitable et modeste qu'elles aiment à contempler sur le plus beau trône de l'univers : la reconnaissance et les vœux de la terre sont le tribut qu'elles lui présentent, seul hommage digne d'un roi, qui, absolu dans sa puissance, n'a pour volonté que l'amour de l'ordre, du bien public et de la paix. Avec la force, un roi se fait craindre, et c'est un avantage que les tyrans peuvent disputer aux

héros : mais l'inébranlable empire de l'amour n'est réservé qu'à la vertu même; et si Louis en partage la gloire, ce n'est qu'avec le petit nombre de rois modérés, sages et bienfaisants, qui opt fait les délices du monde.

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