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une honte passagère, et dans l'espoir d'une gloire à venir. Fabius se laisse insulter dans le camp d'Annibal, et déshonorer dans Rome, pendant le cours d'une campagne; aurait-il pu se résoudre à mourir déshonoré, à l'être à jamais dans la mémoire des hommes? N'attendons pas ces efforts de la faiblesse de notre nature: la religion seule en est capable; et ses sacrifices même ne sont rien moins que désintéressés. Les plus humbles des hommes ne renoncent à une gloire périssable, qu'en échange d'une gloire immortelle. Ce fut l'espoir de cette immortalité qui soutint Socrate et Caton. Un philosophe ancien disait: Comment veux-tu que je sois sensible au bláme, si tu ne veux pas que je sois sensible à l'éloge?

A l'exemple de la théologie, la morale doit prémunir la vertu contre l'ingratitude et le mépris des hommes, en lui montrant, dans le lointain, des temps plus heureux et un monde plus juste.

<< La gloire accompagne la vertu comme son << ombre, dit Sénèque; mais comme l'ombre d'un « corps tantôt le précède, et tantôt le suit, de << même la gloire tantôt devance la vertu, et se présente la première, tantôt ne vient qu'à sa « suite, lorsque l'envie s'est retirée; et alors elle << est d'autant plus grande, qu'elle se montre plus « tard. »

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C'est donc une philosophie aussi dangereuse que vaine, de combattre dans l'homme le pres

sentiment de la postérité et le désir de se survivre. Cette philosophie a trouvé quelques ames sublimes, qui ont fait le bien dans la seule vue de remplir leur destination. Mais on ne doit jamais compter sur des caractères de cette trempe. Il faut permettre à l'homme qui fait le bien, d'aimer la gloire; il faut même la lui montrer au-delà du tombeau, afin que le tombeau ne soit pas l'écueil de son courage et de sa con

stance.

Celui qui borne sa gloire au court espace de sa vie, est esclave de l'opinion et des égards du moment; rebuté, si son siècle est injuste; découragé, s'il est ingrat; impatient sur-tout de jouir, il veut recueillir ce qu'il sème; il préfère une gloire précoce et passagère, à une gloire tardive et durable: il n'entendra rien de grand.

Celui qui se transporte dans l'avenir et qui jouit de sa mémoire, travaillera pour tous les siècles, comme s'il était immortel. Que ses contemporains lui refusent la gloire qu'il a méritée, leurs neveux l'en dédommagent car son imagination le rend présent à la postérité.

C'est un beau songe, dira-t-on. Eh! jouit-on jamais de sa gloire autrement qu'en songe. Ce n'est pas le petit nombre de spectateurs qui vous environnent, qui forment le cri de la renommée. Votre réputation n'est glorieuse qu'autant qu'elle vous multiplie où vous n'êtes pas, où vous ne serez jamais. Pourquoi donc serait-il plus insensé d'é

tendre en idée son existence aux siècles à venir, qu'aux climats éloignés? L'espace réel n'est pour vous qu'un point, comme la durée réelle. Si vous vous renfermez dans l'un ou dans l'autre, votre ame y va languir abattue, comme dans une étroite prison. Le désir d'éterniser sa gloire est un enthousiasme qui nous agrandit, qui nous élève au-dessus de nous-mêmes et de notre siècle; et quiconque le raisonne, n'est pas digne de sentir. Mépriser la gloire, dit Tacite, c'est mépriser « les vertus qui y mènent : » Contemptá famá,

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virtutes contemnuntur.

DE LA GRANDEUR.

EN

N physique et en géométrie le terme de grandeur est souvent absolu, et ne suppose aucune comparaison: il est synonyme de quantité, d'étendue. En morale il est relatif, et porte l'idée de supériorité. Ainsi, quand on l'applique aux qualités de l'esprit ou de l'ame, ou collectivement à la personne, il exprime un haut degré d'élévation au-dessus de la multitude.

Mais cette élévation peut être ou naturelle, ou factice; et c'est là ce qui distingue la grandeur réelle de la grandeur d'institution. Essayons de les définir.

La grandeur d'ame, c'est-à-dire, la fermeté, la droiture, l'élévation des sentiments, est la plus belle partie de la grandeur personnelle. Ajoutez-y un esprit vaste, lumineux, profond, et vous aurez un grand homme.

Dans l'idée collective et générale de grand homme, il semble que l'on devrait comprendre les plus belles proportions du corps; le peuple n'y manque jamais. On est surpris de lire qu'Alexandre était petit; et l'on trouve Achille bien plus grand, lorsqu'on voit dans l'Iliade, qu'aucun

de ses compagnons ne pouvait remuer sa lance. Cette propension que nous avons tous à mêler du physique au moral, dans l'idée de la grandeur, vient, 1o de l'imagination, qui veut des mesures sensibles; 2o de l'épreuve habituelle que nous faisons de l'union de l'ame et du corps, de leur dépendance et de leur action réciproque, des opérations qui résultent du concours de leurs facultés. Il était naturel sur-tout que, dans les temps où la supériorité entre les hommes se décidait à force de bras, les avantages corporels fussent mis au nombre des qualités héroïques. Dans des siècles moins barbares, on a rangé dans leurs classes ces qualités qui nous sont communes avec les bêtes, et que les bêtes ont au-dessus de nous. Un grand homme a été dispensé d'être beau, nerveux et robuste.

Mais il s'en faut bien que dans l'opinion du vulgaire l'idée de grandeur personnelle soit réduite encore à sa vérité philosophique. La raison est esclave de l'imagination, et l'imagination est esclave des sens. Celle-ci mesure les causes morales à la grandeur physique des effets qu'elles ont produits et les apprécie à la toise.

Il est vraisemblable que celui des rois d'Égypte qui avait fait élever la plus haute des pyramides, se croyait le plus grand de ces rois : c'est à-peuprès ainsi que l'on juge vulgairement ce qu'on appelle les grands hommes.

Le nombre des combattants qu'ils ont armés,

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