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bénédictin, les plaçait dans la salle. Aucune espèce de comptabilité: aussi quand les réclamations de Perrin, de Cambert, des chanteurs, des musiciens et des ouvriers. impayés devinrent pressantes, il leur fut répondu qu'on ne faisait pas ses frais. Dès le 9 mai 1671, Perrin assignait Sourdéac et Champeron pour qu'il leur fût interdit de continuer en leur nom les représentations et, le 9 juin, le personnel adressait la même demande. Mais Sourdéac et Champeron, au nom et aux frais de qui la location du jeu de paume et les engagements d'artistes avaient été faits, ripostèrent en réclamant aux artistes une indemnité de 1000 livres pour rupture de contrat et inexécution des engagements. Pour comble de malheur, le conseiller La Barroire, devenu président et qui semble avoir mis sa haine au-dessus de ses intérêts, fit incarcérer Perrin le 15 juin, à la Conciergerie. L'emprisonnement, après avoir duré deux mois, fut suivi d'une mise en liberté éphémère. L'infortuné retournait à la Conciergerie, onze jours après l'avoir quittée et y restait cette fois jusqu'au mois de septembre 1672, victime de son incroyable maladresse, ou plutôt d'un acte qui était nettement malhonnête. Le 8 août, en effet, il avait, moyennant arrangements financiers, transféré son privilège au musicien Jean Granouillet de La Sablière auquel il devait 20.000livres et qui l'avait tiré du For Lévêque, dix ans auparavant. Or, le 17 du même mois, il pratiquait la même opération avec La Barroire qui, apprenant de Soudéac même poursuivi par La Sablière ce qui s'était passé, porta plainte contre son éternel débiteur. Ramené en prison pour avoir vendu le même gage à deux personnes différentes, Perrin n'en conclut pas moins, à la Conciergerie, le 23 novembre 1671, un troisième arrangement

avec La Sablière et le sieur Henri Guichard, gendre du célèbre architecte Le Vau et gentilhomme ordinaire de Monsieur, duc d'Orléans.

Pendant ce temps, les représentations de Pomone, un instant interrompues par les démêlés de Sourdéac et Champeron avec leur troupe, avaient repris et continuèrent, toujours très suivies, jusqu'à la fin de 1671. Il fallait bien néanmoins renouveler le programme. Le marquis s'adressa dans ce but au secrétaire des commandements de Christine de Suède, Gabriel Gilbert, qui avait déjà fait jouer nombre de pastorales, de tragédies, de comédies et de tragi-comédies. En 1646, il avait même rivalisé avec Corneille, en donnant une Rodogune qui ne vaut pas évidemment celle du grand tragique. Sa valeur littéraire n'en était pas moins supérieure à celle de Perrin, comme on peut le constater, en lisant sa Pastorale héroïque des peines et des plaisirs de l'Amour qui remplaça Pomone à la salle de la rue des Fossés-de-Nesle. La langue est meilleure et l'action plus consistante.

Astérie, furieuse de ne pouvoir obtenir l'amour d'Apollon, a fait mourir Climène, sa rivale. Mais Apollon n'en aime que plus ardemment celle-ci. Ses plaintes et les regrets d'Astérie remplissent presque toute la pièce. Enfin Mercure fait revivre Climène et la rend à son fidèle amant. Une scène surtout eut un grand succès, mais grâce à la musique de Cambert pour une bonne part; c'est celle du tombeau de Climène, au second acte. De même que pour Pomone, on n'a qu'un fragment de la partition publiée par Weckerlin, dans son Œuvre de Cambert.

Les affaires de Sourdéac et Champeron continuaient donc d'être prospères, malgré l'opposition de Perrin et

des acquéreurs de son privilège. Mais ils allaient rencontrer un adversaire beaucoup plus redoutable dans la personne de Lulli. Celui-ci, après avoir longtemps soutenu que l'italien seul était propre à la musique, avait dû se rendre à l'évidence. Des œuvres écrites en français, même médiocres, comme celles de Perrin, pouvaient devenir des opéras à grand succès. Du reste, la Psyché de Molière, Corneille et Quinault, sur laquelle il avait lui-même exercé son art, venait de le prouver d'une manière éclatante au théâtre du Palais-Royal comme à la Cour. Appuyé par Colbert et le Roi dont il avait toute la faveur, il agit avec décision et promptitude, pour devenir le maître de l'Académie de Musique.

Il se rendit à la Conciergerie et conclut avec Perrin un accord par lequel celui-ci lui abandonnait son privilège. Cet abandon était le quatrième; mais il fut définitif et on en a retrouvé la trace dans l'acte passé ensuite entre Perrin et La Barroire portant que « ledit S Perrin a cédé... avec toute garantie audit Sr de La Barroire... moitié de la pension qui lui sera cy-après faicte par le Sr de Lully, à cause du transport qu'il lui a faict du droit et permission... de l'establissement d'une Académie nommée Opéra de Musique ».

L'arrangement réglé avec Perrin, Lulli obtient un nouveau privilège daté de mars 1672 (sans doute le 13) où l'Académie de musique est cette fois qualifiée de royale et où l'on trouve la clause tyrannique portant défense à tout théâtre de donner aucune représentation accompagnée de plus de deux airs et de deux instruments, qui amène l'intervention de Molière auprès du Roi. Celui-ci la fait, du reste, effacer. Mais surviennent deux autres oppositions à l'enregistrement des lettres patentes; la pre

mière de Sourdéac et Champeron, le 19 mars; la seconde de Guichard et la Sablière auxquels Perrin avait déjà fait cession de son privilège. La lutte est particulièrement vive avec les deux premiers; mais elle n'est pas de longue durée. Le Roi intervient en faveur de son favori, en ordonnant à Me de La Reynie de fermer la salle du jeu de paume de la Bouteille; ce qui est exécuté le 31 mars.

Nous avons alors, les réclamations : d'une part, de Cambert et de plusieurs chanteurs non payés contre Sourdéac et son associé, d'autre part, de l'hôtelier Jean Laurent, sieur de Beauregard qui demande à Perrin le paiement d'environ 3.600 livres. Les unes et les autres sont admises par arrêt du 11 avril 1672. Elles n'empêchent pas Colbert d'intervenir directement par une lettre du 24 avril au premier président, M. de Lamoignon, disant que le privilège accordé à Lulli doit être exécuté « nonobstant les oppositions >>. Sourdéac et Champeron ne se tiennent pas pour battus et adressent au Parlement, le 30 mai, une requête contre Lulli. Possesseurs légaux d'une salle d'opéra bien aménagée, ils voulaient amener celui-ci à une transaction avec eux. Mais Lulli fait de nouveau appel à Colbert, le 3 juin et l'affaire est très vite jugée au Palais. Après de longues plaidoieries dont le texte existe, soit aux Archives Nationales, soit à celles de la Comédie française, l'arrêt est rendu, le 27 juin. Lulli est mis en pleine possession de son privilège; Sourdéac et Champeron seront remboursés de leurs frais de bail et d'aménagement, après expertise; Perrin recevra d'eux 1.000 livres d'indemnité; enfin Cambert et les chanteurs seront payés des sommes qui leur sont dues. Il n'est pas question de Guichard et de La Sablière qui semblent abandonner la lutte.

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En somme, Lulli n'apparaît pas, dans toute cette affaire, comme ayant joué à l'égard de Perrin le rôle odieux qu'on lui a longtemps prêté. On peut même dire qu'il a permis au malheureux poète criblé de dettes et incapable d'obtenir justice contre ses co-associés, le seul moyen de liquider une situation désastreuse.

Encore, le pauvre diable ne fut-il mis en liberté définitive que le 2 septembre, après arrangements avec les deux créanciers incarcérants dont l'un, le sieur Jacob, geôlier de Saint-Germain-des-Prés, recevait un à-compte de 300 livres payé par la duchesse de Guise et dont l'autre, le président La Barroire, touchait 2.000 livres du duc d'Orléans. Quand il mourut (Jal a retrouvé son extrait mortuaire sur les registres paroissiaux de Saint-Germainl'Auxerrois, daté du 26 avril 1675), il écrivait toujours des livrets d'opéras qui ne voyaient pas la scène et il n'avait pu éteindre complètement ses dettes.

Soudéac et Champeron parurent d'abord disposés à s'incliner devant l'arrêt du Parlement. Le 4 juillet 1672, ils choisissent pour experts Louis Goujon, bourgeois de Paris, et Lanoue, maître peintre, tandis que Lulli accepte ce dernier pour les constructions et le célèbre Lebrun pour la peinture et la sculpture. Quatre jours plus tard, ils déclarent qu'ils ne céderont pas leur salle, à moins de 60.000 livres. Protestations de Lulli et nouvel arrêt de la Cour, le 20 juillet, le déchargeant du remboursement des dépenses à la partie adverse. Lulli cherche alors une autre salle. N'ayant pu obtenir du Roi celle du Louvre qu'il avait sollicitée, il loue le 12 août, à Étienne Le Gaigneur, docteur en médecine, François le Gaigneur, avocat au Parlement, et Dile Patru, veuve de Pierre Adam, le jeu de paume de Béquet ou de Bel-Air, moyennant 1.800 livres

sté Hque DU vie.

1924.

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