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Cour, François Le Gaigneur, aussi avocat à la Cour, pour son fils né de son mariage avec défunte Marie Patru, et Olivier Patru, le célèbre ami de Boileau. Le bail était passé pour quatre ans et six semaines, moyennant 800 livres par an. Ce ne fut pas Perrin, naturellement, qui paya d'avance la première année, mais bien Champeron pour Sourdéac et lui-même solidairement cautions dudit Perrin. Le sieur Nicolas Coudray maître raquetier-paumier, avait aussi donné sa garantie au poète « pour lui faire plaisir ». Ce bail a été découvert par M. Monval dans les minutes de M. Loyer, notaire de la Comédie Française.

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Les travaux d'aménagement de la salle du jeu de paume en salle d'opéra furent commencés aussitôt. Mais il était dit que l'enfantement du spectacle nouveau serait très laborieux. Ce fut d'abord la rentrée en scène de l'impitoyable conseiller La Barroire qui engagea de nouvelles poursuites contre Perrin. Heureusement pour celui-ci, Colbert intervint auprès du Roi qui, par une ordonnance du 3 octobre 1670, accorda au poète un Respy en connaissance de cause basé sur le fait qu'il revenait à Perrin 20.000 livres au moins de la succession non encore liquidée de Gaston d'Orléans, mort à Blois, le 2 février 1660. L'ordonnance valable jusqu'au 3 avril 1671 interdisait l'emprisonnement du débiteur de La Barroire « pour lui donner les moyens de continuer à s'appliquer à la conduite de l'Opéra. »

Ce danger écarté momentanément, il en survint un autre. On était en pleine œuvre d'installation de la salle de Béquet ou de Bel-Air, quand le lieutenant de police La Reynie fit verbalement défense de parachever les travaux et de faire suivre les représentations d'Opéra dans

ledit jeu de paume. Comment expliquer cette intervention inattendue? Nuitter et Thoinan y voient les conséquences d'un oubli de demande d'autorisation à M. de La Reynie. M. Expert, bibliothécaire du Conservatoire qui, depuis plusieurs années fait à la Bibliothèque nationale le catalogue de notre très riche fonds musical et qui est très versé dans l'histoire musicale, y voit une manoeuvre de Lulli fort inquiet déjà du succès espéré de l'entreprise de Perrin. Le fait est qu'il s'installera lui-même sans difficultés, au Bel-Air, en 1672. Toujours est-il qu'il fallut s'incliner devant l'autorité policière, abandonner les travaux commencés, liquider au mieux le bail du 13 mai et chercher un autre local.

On en trouva un au Jeu de paume de la Bouteille, rue des Fossés-de-Nesle, aujourd'hui rue Mazarine. Mais, cette fois, Perrin dont la situation financière était de moins en moins brillante, par suite des nouvelles menaces de La Barroire, ne figure plus dans le bail qui fut passé directement entre Sourdéac et Champeron, d'une part, et le propriétaire, Maximilien de Laffemas, le 8 octobre 1670. Il fallut cinq mois de travail et des frais considérables pour construire la salle d'Opéra. On n'en a pas le plan exact. On sait seulement que le parterre pour spectateurs debout qui existait dans les autres théâtres parisiens avait été remplacé par un amphithéâtre où tout le monde était assis. Au-dessus, il y avait des loges. On pouvait placer environ 800 spectateurs.

Quand les Comédiens du Roi s'y installeront, en 1673, après la mort de Molière, ils supprimeront l'amphithéâtre. La salle a disparu en 1688; mais il en est resté longtemps des vestiges encore visibles, au dire de Nuitter et Thoinan, sur un plan en élévation antérieur à 1849

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qu'ils reproduisent à la page 146 de leur ouvrage. L'emplacement même du jeu de paume est connu., Dans l'Estat et partition de la ville et fauxbourgs de Paris dressé au 1er janvier 1684, « la propriété Laffemas est indiquée à la suite d'une maison appartenant à

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une Vve Meignan et

comme la 23o de la

rue, en commençant à gauche du côté de la rue de Bussy. Ce serait donc l'immeuble qui porte aujourd'hui le n° 42, à côté de l'ancien passage du PontNeuf, presque en face le débouché de la rue Guénégaud.

Nos

auteurs espéraient, en 1886, qu'on apposerait une plaque commémorative, comme il y en a une dans le voisinage, sur l'emplacement de l'Illustre Théâtre, mais, si leur désir a été exaucé, la plaque a

disparu dans la démolition du passage.

N'oublions pas de dire que le bail avait été conclu pour cinq ans, à raison de 2.400 livres par an.

Le 3 mars 1671, eut lieu enfin dans cette modeste salle, ancêtre du gigantesque monument de Garnier, la première représentation de la Pomone de Perrin et Cam

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bert. Le succès fut brillant et durable. La pièce resta environ huit mois sur l'affiche, malgré des incidents dont nous dirons un mot tout à l'heure. Certains jours,

il

y eut même, à la porte, de graves désordres provoqués par les laquais qui voulaient forcer l'entrée suivant leur habitude et il fallut une ordonnance sévère du lieutenant de police pour ramener le calme, rue des Fossésde-Nesle. Perrin pouvait donc assister à la réalisation triomphale de son rêve; mais il faut bien avouer que ce furent bien plus la musique, les décors et les machines que les paroles mêmes qui enthousiasmèrent le public. Pomone commence la longue série des mauvais livrets d'opéras si bien représentée par ceux de la Flûte enchantée et de Robert le Diable. L'action de Pomone, pastorale en 5 actes et un prologue, avec des intermèdes musicaux, se passe en Albanie, au pays latin, c'est-àdire à Albe-la-Longue, dans le Latium. Elle est aussi peu compliquée que possible. Pomone, déesse des jardins, est bien résolue à ne pas connaître les fureurs de l'amour. Mais Vertumne, autre dieu pastoral de l'ancienne Rome, triomphe de sa résistance et nous assistons, au cinquième acte, au son des violons et des hautbois, au mariage solennel des deux amants. Pour corser un peu l'affabulation, Perrin a imaginé que Béroë, nourrice de Pomone et d'un âge respectable, est amoureuse de Vertumne qui ne s'en débarrasse qu'en la faisant enlever, sinon par le Diable, du moins par des follets déguisés en fantômes. Nous voyons aussi un faune ivre qui poursuit des bouteilles fugitives. Il en saisit une; mais elle est remplie d'eau. Tout cela est écrit en vers fort méchants, dit Saint-Évremond. Quant à la musique dont nous n'avons que celle du prologue, du

1er acte et d'une faible partie du second, elle est, paraîtil, encore intéressante. Pour la mise en scène, nous avons au prologue <«< une vue de Paris à l'endroit du Louvre »; puis se succèdent les vergers de Pomone, un parc de chênes, des rochers et des verdures, le palais de Pluton, le jardin et le berceau de Pomone, enfin le palais de Vertumne.

Perrin publia sa pièce en 1671 même, chez Robert Baillard, rue Saint-Jean-de-Beauvais. Sur le titre, il se déclare toujours introducteur des ambassadeurs près feu Me le duc d'Orléans. Dans sa dédicace au Roi, il invite respectueusement Sa Majesté à venir consacrer son succès par sa présence. Louis XIV ne se rendit pas à l'invitation; mais son frère, Monsieur, vint plusieurs fois avec sa fille, la princesse Louise, alors âgée de neuf ans.

Reste à savoir maintenant quel fut le résultat financier de l'entreprise. On a longtemps dit (et Ad. Jullien le répète) qu'il fut très fructueux et que Perrin toucha pour sa part 30.000 livres. La vérité est qu'il fut obligé, dès le 14 avril 1671, de solliciter du Roi de nouvelles lettres de répit contre son impitoyable créancier. Évidemment, il garda jusqu'au bout confiance dans la probité de son associé Sourdéac. Nous lisons dans sa dédicace au Roi placée en tête de Pomone : « J'ai eu le bonheur d'être assisté... des soins et de la dépense d'un des plus grands seigneurs tout ensemble et des plus beaux génies de votre Royaume. » Mais le grand seigneur et le magnifique génie, assisté de son fidèle Champeron, recevait, à la porte du théâtre, téte nue et en bras de chemise, les spectateurs dont il mettait l'argent dans sa poche, tandis que le frère cadet de Champeron, l'ancien

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