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M. Huard, a eu notamment l'occasion de s'en occuper à l'occasion des représentations de la Toison d'Or de Pierre Corneille qu'il donna, dans l'hiver de 1660, à son château de Neubourg avec la collaboration du marquis de Croismare et de la troupe du Marais; ce qui lui coûte 10.000 écus. Comme le dit Tallemant des Réaux, il avait << de l'inclination aux mécaniques », travaillait « de la main admirablement ». Comme plus tard Louis XVI, il n'y avait pas «< un meilleur serrurier au monde ». Il avait une vocation irrésistible pour la machinerie et les décors, qu'il avait sans doute étudiés à fond près des Italiens. En son hôtel de la rue Garancière, il avait construit un théâtre où il donnait des représentations gratuites. Mais c'était aussi un personnage que son originalité ne rendait pas sympathique. Tallemant des Réaux dit encore de lui : <«< Il se fait courre par ses paysans comme on court un cerf et dit que c'est pour faire exercice. » Nous allons bientôt voir comment il traita Perrin, Cambert et la première troupe d'opéra français. Mais un document fort curieux, conservé dans les Archives de la Comédie Française et publié in-extenso par Nuitter et Thoinan (pp. 109113) qui le considèrent comme un rapport de police, est beaucoup plus sévère pour lui que Tallemant des Réaux. En voici quelques passages: « M. de Sourdéac... est un homme de la première naissance du royaume, chef des cadets de la maison de Rieux (donc de noblesse bretonne)... Avec cela l'homme du monde le plus roturier dans sa conduite et dans ses mœurs... A la faveur des guerres civiles (c'est-à-dire pendant la Fronde), il a piraté sur la côte de Bretagne... C'est un homme chargé de crimes, soupçonné toute sa vie de faire de la fausse monnaie... chargé d'une douzaine d'assassinats, usurier

public, prêtant sur gages ouvertement à deux sous pour livre par mois... Allant seul à la halle et au marché et en rapportant sous son juste-au-corps du gibier et de la morue... en continuel discord avec sa femme, ses enfants, frères, sœurs et toute sa famille qu'il ne voit point... entretenant publiquement des femmes dans sa maison... même jusque dans l'Académie (de Musique) où il en a deux logées avec lui, une nommée Manon dont il a eu un enfant... Outrageant les ouvriers, les symphonistes, les musiciens et les filles de l'Académie... paraissant sur le théâtre nud, en chemise (pendant les répétitions, évidemment), courant et dansant comme un insensé... etc. » Tout en faisant des réserves, surtout en ce qui concerne les assassinats, sur la valeur de ce document dont les phrases relatives à l'Académie de musique nous donnent la date (1671, année où Sourdéac était en procès avec ses associés et les artistes), on peut être certain que la plupart des faits allégués sont exacts. Le marquis a traité tous ceux qui ont eu affaire à lui avec la plus grande brutalité et le dernier cynisme. Quand il mourut, le 7 mai 1695, c'est-à-dire vingt ans après Perrin, il avait complètement ruiné sa maison. Un mémoire de la marquise explique que, dès 1687 o 1688, tous les biens de son époux étaient sous séquestre. Elle-même resta souvent sans pain et fut en procès avec son mari qui l'a été, on peut le dire, avec tout le monde. Ce qui se passa, à l'occasion des représentations de la Toison d'Or.de Corneille, explique déjà l'histoire agitée des débuts de l'Opéra. Mais nous n'avons pas à nous en occuper ici.

Le document que nous venons de citer est aussi sévère pour un homme qui fut vraiment l'âme damnée de Sourdéac, «<le soi-disant sieur de Fondant, se prétendant

écuyer et sieur de Champeron, qui s'appelait en réalité Laurent Bersac, « fils d'un sergent ou laboureur du bourg de Rancon en Limousin » et qui avait été lui-même sergent ou bas-officier de justice, « chargé de dettes et notoirement insolvable ». Il est donné comme ayant passé la meilleure partie de sa vie dans les prisons, pour dettes. Il était notamment à celle de Saint-Germain-des-Prés, en mai 1658. Voilà l'individu qui est présenté dans le résumé d'Ad. Jullien comme l'agent financier de notre premier opéra auquel il attacha, du reste, ses deux frères, l'un comme receveur des deniers, l'autre, ancien Bénédictin, comme préposé « au gouvernement des machines, sous le marquis de Sourdéac ». « Ce sont gens, termine notre rapport, chargés de crimes et de dettes qui ont trente procès en toutes juridictions. >>

Ce fut le sieur Champeron qui, selon Perrin lui-même, au bruit fait par les répétitions d'Ariane, appela Sourdéac de son château de Neubourg « pour saisir l'occasion d'une banque à faire profiter l'argent ». Cambert dit aussi que le marquis et son accolyte se présentèrent au poète et à lui-même « pour être de l'Opéra ». Quoique pourvus d'une réputation douteuse, ils apportaient, en somme, aux deux premiers associés ce qu'ils ne possédaient guère des connaissances techniques de la mise en scène et aussi de l'argent, le marquis n'étant pas encore ruiné. Il eut mieux valu, cependant, pour Perrin et Cambert, que l'Acte d'association avec Sourdéac et Champeron signé, vers le milieu de décembre 1669, n'eut jamais été passé.

Tandis que les répétitions d'Ariane continuaient à l'hôtel de Nevers, au début de 1670, le marquis et son aide s'occupaient de recruter et d'engager de nouveaux

chanteurs et musiciens. Mais, dès le mois d'avril de cette année, une autre transaction fut établie entre les quatre associés. Cambert devenait un simple gagiste (chef d'orchestre) à 250 livres par mois. Quant à Perrin, il restait bien titulaire du privilège de Saint-Germain-enLaye et associé des deux autres. Malheureusement, cette fois, il n'y avait pas d'acte écrit, imprudence dont les conséquences devaient apparaître l'année suivante.

Pour le moment, deux résolutions importantes furent prises d'abord l'abandon des répétitions d'Ariane que Sourdéac trouva sans doute trop coûteuse à monter pour une œuvre de début. Perrin se remit donc au travail et écrivit une sorte de Pastorale, Pomone dont nous dirons un mot plus loin. Cambert en composa naturellement la musique et les répétitions commencèrent dans une maison de campagne que le marquis possédait à Sèvres.

Mais il fallait songer à une installation durable. Comme il n'y avait pas de salle de théâtre disponible, on chercha un des nombreux jeux de paume qui existaient alors, notamment sur la rive gauche et l'on s'arrêta sur celui de Béquet ou de Bel-Air situé rue de Vaugirard et attenant, à droite, à l'hôtel de La Trémouille élevé en 1653. Ce bâtiment, déjà vieux de près d'un siècle en 1670, est très bien indiqué sur un plan dressé vers 1610 par les architectes Quesnel et Vellefaux, experts jurés dans un procès entre la Confrérie aux Bourgeois et l'abbé de Saint-Germain-des-Prés. MM. Nuitter et Thoinan l'ont reproduit à la page 130 de leur livre, d'après la Topographie du Vieux Paris de Berty qui l'a pris lui-même aux Archives Nationales (S. 869) et en ont donné l'emplacement actuel à la page 285, en superposant le plan ancien et le plan nouveau du quartier. C'est cette super

position agrandie par notre collègue M. Léon Gilon que je vais vous montrer; vous voyez que notre jeu de paume coupait complètement la rue de Médicis et entamait légèrement le jardin du Luxembourg, presque en face le théâtre de l'Odéon.

Il tire son nom de Béquet du maître estuvier Jean Béquet qui en acquit la propriété et celle de terrains

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avoisinants de

Rue

Héritiers
de
m" Buffet

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Hôtel
de

La Tremouille

Vaugirard

de

2

4

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14

16

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Ancien Territoire de Bel. Ain

JARDIN

DU

LUXEMBOURG

THEATRE

DE L'ODEON

1570 à 1576. A sa mort, vers octobre 1605, Jean Patru, procureur au Châtelet, en devint à son tour, par achat, propriétaire. Il ne devait plus quitter la famille Patru jusqu'au moment où nous sommes arrivés; mais le nom de son ancien maître lui était resté. Quant à celui de Bel-Air, il lui venait d'un terrain situé en face de lui et qui allait de la rue de Vaugirard à celle des Fossés-de-Monsieur-le-Prince.

Le 13 mai 1670, acte de location fut dressé devant Levesque et Leboucher, entre Perrin et les bailleurs, De Marguerite Patru, Vve de Pierre Adam, avocat à la

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