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conseillère s'enflamma très vite et, malgré la désapprobation de sa famille, contrat fut passé, comme nous l'avons dit, devant notaire, avec des avantages évidents surtout pour le poète qui laissait son modeste logis de la rue de Tournon pour la maison confortable de la rue Taranne. Il paraît cependant qu'il y eut, au dernier moment, des hésitations de la part de la fiancée; mais Mme Van Mol intervint encore et, toujours au dire de Tallemant des Réaux, fit avaler à la récalcitrante « un vin blanc mêlé avec du clairet » qui emporta toute résistance.

Le mariage fut donc célébré; mais ses tristes conséquences apparurent bientôt pour Perrin. Il lui permit d'abord une brillante opération, c'est-à dire, le 2 avril 1653, l'achat de la charge d'introducteur des ambassadeurs près la personne de Gaston, duc d'Orléans, à son titulaire Bénigne Bruno, abbé de Saint-Cyprien, qui la tenait lui-même de Vincent Voiture, depuis 1648. On convint d'une somme de 30.000 livres dont 7.000 furent payées comptant sur les deniers de la veuve, bien entendu, et pour le reste desquelles on contracta trois emprunts: de 12.000, de 6.000 et de 5.000 livres. C'est cependant cette opération qui causa tous les malheurs de Perrin. Gabriel Bizet de La Barroire, fils de la nouvelle mariée et conseiller au Parlement, dont les intérêts avaient été, du reste, à peu près garantis dans le contrat, ouvrit les yeux de sa mère qui, dès le 1er mai 1653, demandait, à la fois au Parlement et à l'officialité de Saint-Germain-des-Prés, l'annulation de son mariage. Les événements se précipitèrent. Perrin fut expulsé du domicile conjugal et, dès le 26 mai, le mariage était déclaré nul et clandestin. Mme Perrin redevenue veuve La Barroire ne résista pas longtemps à de telles émotions et mourut en laissant son fils légataire universel.

Celui-ci, pressé par les créanciers des dettes contractées pour l'établissement de Perrin, se retourna contre lui et le somma de restituer les 7.000 livres déjà versées, ce qui était assez difficile. Il y eut des arrangements pour les prêts consentis. Perrin se lança, comme on dit, dans le maquis de la procédure et n'accepta pas l'annulation de son mariage. Nous ne pouvons naturellement pas entrer dans le détail de ses procès et de ses incarcérations pour dettes. Il réussit jusqu'en 1658 à éviter la prison, mais, le 16 novembre de cette année, il fut condamné définitivement à payer au conseiller de La Barroire, la somme de 7.500 livres, sous peine d'emprisonnement dans les six semaines. Le délai écoulé, il fut amené ès-prisons de Saint-Germain-des-Prés, le 23 janvier 1659, et n'en sortit que le 29 septembre suivant, après qu'il eut fourni trois cautions dont celle de Mme Van Mol. Encore, restait-t-il sous la surveillance payée d'un huissier et il avait contracté une nouvelle dette envers Louis Jacob, geôlier de la prison de l'Abbaye, qui lui avait avancé 800 livres pour sa subsis

tance.

C'était une liberté provisoire qui prit fin le 16 février 1660, quand M. de La Barroire le fait de nouveau incarcérer à l'abbaye pour le contraindre à un nouvel arrangement. Mme Van Mol intervient encore et donne une hypothèque sur une maison sise rue Guisarde, à l'enseigne de l'Ane d'Or. Il est libéré cette fois, après deux jours d'emprisonnement; mais, en 1661, nous le trouvons au For l'Évêque. Le 21 octobre 1665, quatrième emprisonnement, toujours à la requête du terrible conseiller, cette fois à la Conciergerie où il reste cinq mois. Il n'en sort qu'après avoir consenti à la confirmation de la sentence portée contre son mariage, par un arrêt

d'accord du 7 avril 1666. Encore, ne lui accordait-on que deux ans de répit pour le paiement de ses dettes.

Il en profita cependant pour faire aboutir le grand projet qu'il nourrissait depuis plusieurs années, malgré tous les soucis que iui causaient ses procès et ses emprisonnements, et sur la réalisation duquel il comptait, du reste, pour le tirer définitivement d'embarras. Ce projet, il l'avait formé en écrivant beaucoup de pièces détachées, chansons d'amour, chansons à boire, cantiques spirituels, etc., dont un certain nombre eurent du succès, grâce à la musique de Cambert et autres compositeurs contemporains. Il voulait arracher aux opéras italiens la gloire et l'avantage d'être les seuls exécutés en France depuis le début du siècle. Or, dès 1658, Cambert lui ouvrit en quelque sorte la voie, en donnant au public qui l'applaudit une élégie dialoguée à trois voix, la Muette ingrate. Après avoir entendu cette œuvre, Perrin se mit à écrire une Pastorale dont le même Cambert composa la musique. Cette œuvre, représentée à Issy, dans la maison de campagne du Sieur de La Haye, orfèvre du Roi, au mois de mai 1659, tandis que l'auteur des paroles était enfermé à la prison de l'Abbaye, eut un tel succès que le cardinal Mazarin en fit donner une seconde audition à Vincennes, devant le Roi et la Reine.

C'était nettement un premier essai d'Opéra français, sans décors et sans machines. Encouragé par l'accueil très favorable qu'il avait reçu, Perrin compose dans sa prison même un véritable opéra, Ariane et Bacchus, toujours avec la collaboration musicale de Cambert. Mais, dix ans se passèrent avant que son rêve devint une réalité. Ariane et Bacchus ne put être exécuté, pas plus qu'une autre œuvre, la Mort d'Adonis, mise en

musique par Boësset. Cependant, au milieu de ses embarras privés et de ses travaux littéraires (préparation d'une seconde édition de sa fameuse Enéide française (1662), cantiques latins pour la Chapelle du Roi (1664), il continuait de chercher les moyens de toucher au but. Enfin, en 1667, il présenta au tout-puissant Colbert un volumineux manuscrit qui est aujourd'hui à la Bibliothèque Nationale (Msc. Fr. 2208), contenant la collection complète des vers français ou latins qu'il avait faits pour être chantés et précédés d'un AvantPropos où l'on trouve ce passage : « Il serait à désirer que... pour la conciliation de la poésie et de la musique, Sa Majesté voulut établir une Académie de musique et de voésie composée de poètes et de musiciens... qui s'appliquassent à ce travail; ce qui ne serait pas d'un si petit avantage au public ni peu glorieux à la nation ». Il n'eut pas de peine à persuader le Ministre qui l'assura de sa protection et lui fit adresser un placet au Roi. Le 28 juin 1669, comme nous l'avons dit déjà, Louis XIV, alors au château de Saint-Germain-en-Laye, comblait, par un privilège qui est donné tout au long dans l'ouvrage de Nuitter et Thoinan (aux pages 97-100) les désirs de Perrin. Il ne restait plus à celui-ci, pour les réaliser, qu'à se constituer un répertoire et une troupe de chanteurs et de musiciens et à se procurer une salle et, surtout, des ressources pécuniaires abondantes : ce qui n'était pas des plus facile. Le premier associé, le musicien Cambert, apportait son grand talent de compositeur; mais i' n'avait pas beaucoup plus d'argent que Perrin. Au moins, il n'avait pas de dettes. Les premières ressources qui vinrent aux deux associés leur furent procurées par le sieur Jean Laurent de Beauregard, hôtelier, qui avait

ste Hque DU VI. 1924.

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déjà accordé souvent une hospitalité généreuse au pauvre poète, lors de ses diverses levées d'écrou. Habitait-il, lui aussi, sur le VI arrondissement? Je n'en ai pas trouvé mention. Toujours est-il qu'en 1671, Perrin reconnaît lui devoir encore 4.000 livres pour nourriture fournie à ses musiciens. Dès le mois d'avril 1669, c'est-à-dire trois mois avant l'obtention du privilège royal, le recrutement du personnel avait été commencé. Il continua, bien entendu, plus activement, quand il eut été obtenu. On fit même venir des chanteurs de Bordeaux et de Toulouse. La pièce de début qui fut choisie était cette Ariane ou le Mariage de Bacchus composée par Perrin, dix ans auparavant, dans la prison de l'Abbaye. Quant au local nécessaire tout au moins aux répétitions, ce fut d'abord une salle au Cloître Saint-Honoré, chez le chanoine Brousse. On se transporta ensuite chez Cambert et enfin à l'hôtel de Philippe de Mancini, duc de Nevers et neveu de Mazarin qui prêta une salle disparue aujourd'hui dans les bâtiments modernes de la Bibliothèque Nationale. Elle faisait face à la place Louvois actuelle.

Les répétitions d'Ariane (et non de Pomone, comme le dit Adolphe Jullien), ne tardèrent pas à être très courues, surtout quand elles eurent lieu à l'hôtel de Nevers et, bientôt, elles attirèrent l'attention de deux personnages qui allaient devenir les co-associés de Perrin et Cambert pour le malheur de ceux-ci, c'est-à-dire le Mis de Sourdéac et le sieur Champeron.

Alexandre de Rieux, marquis de Sourdéac, baron de Neubourg en Normandie, possesseur, rue Garancière, d'un hôtel qui est aujourd'hui le siège de la maison Plon, n'est pas pour nous un inconnu. Notre secrétaire,

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