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LE VI ARRONDISSEMENT BERCEAU DE L'OPÉRA FRANÇAIS AU XVII SIÈCLE

Dans un ouvrage du critique musical Adolphe Jullien intitulé: Paris dilettante au commencement du siècle (le XIX) et publié chez Firmin-Didot, en 1884, on trouve, au début d'une étude sur les salles de l'Opéra, un résumé des origines de l'Opéra français présenté sans aucunes références et qui ne contient pas moins d'une dizaine de très grosses erreurs imputables en grande partie à l'histoire du théâtre des frères Parfait.

C'est cependant ce résumé qui m'a donné l'idée de la communication que j'ai l'honneur de faire ce soir. J'ai pu heureusement mettre la main sur le livre capital de MM. Nuitter et Thoinan paru chez Plon, en 1886, et qui a pour titre les Origines de l'Opéra français, d'après les minutes des notaires, les registres de la Conciergerie (à la Préfecture de police) et les documents originaux conservés aux Archives Nationales, à la Comédie-Française et dans diverses collections publiques et particulières.

Grâce à ce livre et aux recherches que j'ai faites moimême dans le fonds imprimé de notre Bibliothèque Nationale, il ne m'a pas été difficile de reconnaître que les premières représentations d'opéras français, c'est-à-dire d'œuvres musicales écrites sur paroles françaises et jouées

par des troupes également françaises et non plus italiennes, comme cela se passait depuis 1600, ont été données de 1671 à 1673, dans des salles construites ou plutôt aménagées sur le territoire du VI arrondissement.

Nous allons voir de plus que, sur les quatre fondateurs de l'Opéra français, deux nous appartiennent bien, non pas par droit de naissance, mais parce qu'ils ont vécu assez longtemps chez nous, c'est-à-dire le sieur Pierre Perrin et le marquis de Sourdéac.

On sait que, le 28 juin 1669, des lettres patentes de Louis XIV, datées de Saint-Germain-en-Laye, donnaient permission au sieur Perrin d'établir « des Académies d'Opéra ou Représentations en musique, en vers français, à Paris et dans les autres villes du royaume, pendant l'espace de douze années ».

Ce privilège était la réalisation d'un projet poursuivi depuis longtemps par ledit Perrin, mais dont il semble bien qu'il doive partager la paternité avec son premier associé, l'organiste et compositeur Cambert.

Celui-ci, quelque remarquable musicien qu'il soit, ne peut nous retenir longtemps. Il appartient, en effet, au IVe arrondissement, étant né d'une famille de fourbisseurs établis dans la Cité, et aussi au Ier, puisqu'il tenait l'orgue de l'église Saint-Honoré aujourd'hui disparue. Quant à Perrin qu'on a l'habitude de qualifier d'abbé, quoiqu'il n'ait été jamais désigné ainsi de son vivant, ni sur les titres de ses ouvrages, ni sur les nombreux actes qui le concernent (à commencer par son Privilège), il est originaire de Lyon où il naquit vers 1625. Mais, dès 1645, nous le trouvons à Paris où il publie un curieux recueil de poésies sur divers insectes: le papillon, l'abeille, le grillon, le ver à soie, la puce, la «< formy » et le mouche

ron. En 1647, nouveau poème: la Chartreuse ou la Sainte Solitude, sur la Grande-Chartreuse, à propos duquel il nous dit dans une Adresse au Lecteur mise en tête du Recueil de ses œuvres paru à Paris, chez Loyson, en 1661 : « Je fis la Chartreuse... à la prière d'un frère que j'avais alors Religieux de cet Ordre, prieur d'une Chartreuse voisine, et pour gage de l'amitié que j'avais avec le R. P. Léon, général de l'Ordre, alors vivant, lequel j'allai visiter deux fois dans ces montagnes >>. Est-ce pour ce poème? Est-ce par confusion avec son frère religieux? Est-ce pour les poésies sacrées qu'il écrivit plus. tard pour la Chapelle du Roi et qui furent mises en musique par divers compositeurs du temps, qu'en 1676, c'est-à-dire un an après sa mort, nous le trouvons appelé l'abbé Perrin par deux hommes qui, cependant le connaissaient, c'est-à-dire Henri Guichard qui appartenait comme lui à la Maison d'Orléans et le médecin-architecte Charles Perrault? Il est impossible de le savoir. Ce qui est certain, c'est que sa vie privée qui va se dérouler maintenant, en grande partie, sur notre territoire, ne justifie en rien cette appellation.

Pendant plusieurs années, nous le voyons occupé à une traduction de l'Énéide en vers français dont les 6 premiers livres paraissent en 1648 et les six derniers en 1658. Le succès en fut, paraît-il, très modéré. Cependant, il y en eut une nouvelle édition en 1662. Boileau, dans ses lettres ou ses conversations, lui prodiguait notamment ses sarcasmes qui vinrent aux oreilles de l'auteur, lequel riposta par une satire en forme de virelai débutant ainsi :

<< Vite un cotret, une trique,
Que j'assomme ce critique,
Cet insolent de Boileau. »

Au xvII° siècle, les querelles littéraires se terminaient assez souvent par le bâton. Perrin s'en tint aux menaces. Il faut bien avouer, du reste, que Boileau avait raison de juger sévèrement son œuvre.

Voici, par exemple, quelques vers que j'ai lus, au hasard, dans le VI chant. C'est la Sibylle de Cumes qui parle à Énée.

<< Tandis, outre cela, qu'amusé dans ma grotte,
Tu demandes l'oracle, éloigné de ta flotte,

Un des Troyens est mort, hélas! tu ne sais pas !

Et trouble tout le camp du deuil de son trépas.

Et voici la traduction de cet admirable vers, du VIe chant aussi, dans lequel Virgile peint la marche d'Énée et de la Sibylle vers le royaume de Pluton.

« Ibant obscuri sola sub nocte per umbras », qu'il est, du reste, presque impossible de rendre littéralement en français.

«Ils allaient parmi l'ombre, obscurs et ténébreux », dit Perrin! Cela vaut presque le Virgile travesti de

Scarron !

Ces œuvres n'auraient pas évidemment suffi à nourrir leur auteur, s'il n'avait pas eu un autre gagne-pain. Dans le contrat qui fut passé, le 22 janvier 1653, devant notaire, au sujet de son mariage (dont nous allons parler tout à l'heure), il est qualifié de conseiller et maistre d'hostel ordinaire du Roy et de son Altesse Royale Madame la duchesse d'Orléans, femme de Gaston, et il habite les communs de ladite duchesse, rue de Tournon. Mais, il semble bien qu'il appartenait déjà depuis plusieurs années au service de la maison d'Orléans et aussi, par conséquent, à notre arrondissement; car, entre 1648 et 1652, il compose beaucoup de sonnets en l'honneur des

princes et princesses de cette famille, de la Grande Mademoiselle, en particulier.

Nous arrivons à l'acte le plus grave de son existence, acte qui ne prouve pas un sens moral bien développé et d'où sont sortis, du reste, tous ses malheurs. Il avait pour amie la veuve d'un peintre connu, Pierre van Mol, anversois, élève de Rubens et un des fondateurs de l'Académie de peinture et de sculpture de Paris, mort le 6 avril 1650. Cette dame dont l'amitié lui fut toujours. fidèle (elle mourut, le 24 novembre 1675, rue Saint-Germain, sept mois après lui), habitait rue Taranne, une maison voisine de celle d'une dame Elisabeth Grisson, veuve Lallemand, puis veuve du sieur Bizet de La Barroire, conseiller au Parlement, âgée de soixante et un ans et mère d'un fils de vingt ans, qui avait hérité de la charge de son père. La demeure de celle-ci était exactement «‹ à côté de la porte pour entrer dans l'église de la Charité ». Les deux femmes avaient des relations très étroites, malgré la différence d'âge, la veuve du peintre étant beaucoup plus jeune que la conseillère. Mais, d'après Tallemant des Réaux qui les connaissait bien, elles manquaient également de pondération. Il dit de Mme Van Mol qu'elle était << une grande étourdie » - (et cependant, elle avait eu 8 enfants, de 1640 à 1648, dont deux étaient morts rue Taranne, en 1647,)— et de la veuve La Barroire, qu'elle n'avait pas << la plus grande cervelle du monde ». Il ajoute pour celle-ci qu'elle s'était longtemps consolée de son dernier veuvage avec le bailli de Saint-Germain-des-Prés, Messire de Beausoleil, qui logeait chez elle et qui lui escroqua quelque argent. Or, ce fut Mme Van Mol qui manigança le mariage de son amie avec le sieur Perrin qui n'avait alors que vingt-sept ou vingt-huit ans. Mme la

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