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dans ces localités des « Assises » pour entendre les plaintes des habitants, se rendre compte si les officiers de justice s'acquittent de leurs devoirs, si la police et la voirie sont observées. Cette coutume tend d'ailleurs à tomber en désuétude, et les officiers des juridictions subalternes n'acceptent pas sans murmurer la suprématie du bailli de l'abbaye. Loyseau, au commencement du XVIIe siècle, nous a fait connaître les abus des justices de village (1). Un petit ouvrage fort curieux et rare, publié en 1623, sans nom d'auteur ni d'imprimeur, traite le même sujet sur le mode satirique. Cet opuscule est intitulé « Les Assises tenues à Gentilly par le sieur Balthazard, bailli de Saint-Germain des Prés. » Gentilly était en effet une possession de l'abbaye, et Balthazard après avoir été lieutenant du bailli de Rochefort, a vraiment tenu l'office de bailli de Saint-Germain vers 1605, comme nous l'avons mentionné plus haut.

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L'auteur qui est évidemment quelque clerc de la Basoche, gouailleur, cynique et impertinent, s'y moque de tout le monde :

Du bailli de Saint-Germain qu'il représente, quarante ans avant Racine, comme un Perrin Dandin, atteint de la manie de juger, et comme un grotesque fantoche;

Du village de Gentilly, qu'il appelle « un lieu plaisant et récréatif »>:

Du sergent Guimbert «< dont la plus grande suffisance est de boire au Chapeau-Rouge » (2);

Du greffier auquel «< il fait prêter serment de ne point se laisser corrompre en sa charge pour remplacer les

(1) Loyseau. Discours sur l'Abus des justices de village.

(2) Le Chapeau-Rouge était l'auberge cabaret se trouvant à l'angle de la rue du Four, en face le pilori, à deux pas de la prison de l'Abbaye.

deniers dotaux de sa femme qu'il a baillés à constitution aux jeux de paumes et cabarets >>;

Du procureur Bignon « qui n'est pas en forme pour plaider »;

Du procureur Petit-Vasseur « qui a mis sa robe en gage pour payer le chirurgien qui l'a pansé ces jours derniers; » le bailli l'autorise à plaider en manteau;

D'un autre procureur qui est toujours en retard, d'un qui bredouille, d'un qui débauche ses servantes, d'un autre qui n'a plus son jugement, et « d'un qui a un habit de satin et qui est le procureur à la mode. »

Il y a évidemment là des portraits humoristiques et des allusions personnelles qui ont amusé à cette époque le monde de la Basoche.

Eh bien, les procès-verbaux trouvés dans les archives. du greffe sont presque aussi burlesques que les scènes de cette publication satirique.

En voici quelques exemples:

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Le dimanche 27 septembre 1620, le bailli Jacques Plantin, accompagné du procureur fiscal, du greffier et de plusieurs sergents, se transporte au village d'Issy pour tenir des assises extraordinaires. Les deux terres de Vaugirard et d'Issy ne formaient qu'une seule seigneurie et n'avaient qu'une justice l'auditoire et les prisons étaient à Issy. La visite du bailli a été annoncée au prône et publiée dans les rues. Les magistrats se rendent d'abord à la maison seigneuriale d'Issy où se tiennent les audiences. Ni le prévôt, ni son lieutenant, ni le greffier, ne sont là pour les recevoir, comme ils le devraient. D'ailleurs ils habitent Paris. On va chercher le commis ou substitut du procureur fiscal, Louis de la Salle, qui seul habite le village. Il ne vient pas et refuse

le registre du greffe. Néanmoins le bailli de Saint-Germain, pour la forme, ouvre l'audience en vue de recevoir les plaintes des habitants. Il fait assigner pour le lendemain les officiers de justice d'Issy, au bourg SaintGermain, afin qu'ils rendent compte de leur conduite. Ils ne se dérangent pas.

A Suresnes, même comédie peu de jours après. Les assises du bailli ont été annoncées au prône et affichées au poteau de la seigneurie et prévôté de Suresne. On envoie un des sergents chercher le procureur fiscal et lui demander s'il a bien averti les autres officiers de la prévôté. « Au lieu d'obéir le substitut s'est absenté. » Le bailli de Saint-Germain descendu de cheval dans une auberge, envoie à la maison seigneuriale de Suresnes le greffier et les sergents. Après avoir longtemps heurté à la porte, pendant la pluye, l'ouverture de la porte leur est refusée par le nommé Cirot, frère du lieutenant, lequel requis de dire son nom répond à travers la porte, qu'il se nomme Albin, mais qu'il n'ouvrira point, que son frère le lieutenant est à Paris, et que le prévôt de Suresne le lui a deffendu » et qu'il ne connaît point le bailli de l'abbaye. Gaudin, le greffier, rapporte ce propos au bailli qui l'envoie avec des sergents chez M. Guillaume Préjean, prévôt de Suresne, avec ordre formel de le ramener. Celui-ci ne bouge pas et répond qu'il fait appel.

Néanmoins le bailli tient ses assises, « cet appel étant nottoirement frivol et impertinent, puisque luy prévôt a été reçu et a prêté serment devant nous et que ses appellations ressortissent de notre bailliage ». Nous suivons mot à mot le procès-verbal.

Le bailli va ensuite faire dans Suresne la visite des

poids et mesures. Puis il décide

dans la rue

que

l'appellation du prévôt ne peut pas arrêter la justice, il se transporte avec ses sergents à la maison seigneuriale. Albin finit par ouvrir. Nouveau débat, constaté au procèsverbal, pour avoir les clefs de la salle d'audience. Le greffier est absent et les a emportées. On fait venir un serrurier qui force la porte. Voilà les officiers du bailliage en possession de l'auditoire. Ils font sonner les cloches. de l'église pour annoncer aux habitants de Suresne que les assises sont ouvertes et qu'ils peuvent venir faire leurs plaintes. Personne ne vient et le procès-verbal se termine là. Les sergents sont chargés d'assigner tous les officiers de la prévôté de Suresnes à venir le samedi suivant, à Saint-Germain des Prés, s'expliquer à l'audience du bailli.

Évidemment le bailli de Saint-Germain et le prévôt de Suresnes, tous deux avocats au parlement de Paris, se connaissaient, et le second tenait à honneur de ne point reconnaître la supériorité de la juridiction du premier. Il est probable qu'il était particulièrement froissé que celui-ci vînt dans le village même où il rendait la justice, lui rappeler cette supériorité, devenue peu à peu purement nominale. Il savait d'ailleurs que le Châtelet le soutiendrait, les juges royaux, suivant la formule de Loyseau «< se faisant un jeu d'usurper la connaissance des causes des juges seigneuriaux... » Loyseau le savait bien et en avait, même conservé quelque amertume, lui qui avait été juge seigneurial à Sens et à Châteaudun.

Ce n'est pas sans raison que le bailli de village est présenté comme ridicule dans les récits des basochiens, et qu'au théâtre c'est un rôle-type confié aux mêmes acteurs que les ganaches.

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Faut-il rapporter d'autres histoires d'assises?
Un jour, c'est le 27 janvier 1648,

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les magistrats de l'Abbaye se rendent à Villeneuve-Saint-Georges à la suite d'une plainte des habitants. Ils mettent en demeure le substitut du procureur fiscal Vincent, qui est en même temps et avant tout cabaretier, d'opter entre cette profession et son office. Les pâtissiers, boulangers et marchands de vin achètent au marché des volailles, du beurre et des œufs dès 6 heures du matin, en sorte que les particuliers et les maisons de la noblesse en sont privés : ordonnance que les marchands ne pourront rien acheter au marché avant 10 heures du matin, pour que les simples particuliers soient d'abord pourvus. Les sergents de Villeneuve font quelque difficulté de signifier des appels sur les sentences du prévôt, et ce sont les sergents du Châtelet de Paris, épars dans la campagne, qui font les appels et les portent au Châtelet: vive remontrance' aux sergents de la prévôté de Villeneuve qui privent ainsi de beaucoup de causes la justice de l'Abbaye.

Les parties et surtout leurs conseils ont une tendance très accentuée, dès cette époque, à sauter par-dessus la justice de l'Abbaye. Les procureurs au Châtelet détournent les justiciables de cette juridiction qu'ils considèrent comme une superfétation. Quant aux juges du Châtelet, ils se déclarent toujours compétents, et restent sourds aux plaintes du bailli de Saint-Germain des Prés. Un autre jour, c'est le 6 octobre 1659, assises tenues par le bailli à Suresnes, celui-ci résoud un conflit entre le prévôt de Suresnes et son lieutenant. Ce dernier ayant condamné un voleur de raisin de vigne, à 24 sols d'amende, le prévôt a annulé la sentence, de sa

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aux

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