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sont ligottés et déposés dans le plus sale cachot de la geôle. Le bailli qui les délivra 24 heures plus tard, les trouva à moitié assommés. Le geôlier lui-même était très mal en point, ayant une oreille à demi arrachée. Il prétendit que les deux sergents s'étaient introduits chez lui pour faire évader des prisonniers, ce qui fut démenti par l'information, puisque les prisonniers les avaient accueillis non en libérateurs, mais en ennemis. Fait peut-être unique dans les annales judiciaires, ils avaient fait le coup de poing avec leur geôlier et pour le défendre. Peutêtre aussi avaient-ils quelque grief personnel contre les sergents, qui, moitié huissiers, moitié gendarmes, étaient les agents ordinaires des arrestations (1).

En 1673, un ancien geôlier de la prison de l'Abbaye, Louis Jacob, poursuit le trésorier du feu duc de Verneuil, abbé de Saint-Germain, pour avoir paiement des frais des inhumations des gens noyés et tués dans l'étendue de la juridiction, et qui ayant été apportés au dépôt de la geôle, servant de morgue, n'ont été reconnus ni réclamés par personne. Il allègue que de tout temps ces inhumations sont demeurées à la charge de l'Abbaye, qui doit lui en rembourser les frais.

Le personnel subalterne comprenait encore un exécuteur des sentences criminelles du bailliage; on le payait ordinairement en lui concédant le produit de certains jeux dans la foire Saint-Germain, tels que les droits de quilles et de brelan.

COMPÉTENCE DU BAILLIAGE.

Le bailliage, aux xvi et xvII° siècles, a la compétence aussi bien du criminel que du civil.

(1) Arch. Nat, Zo 3413.

Cependant il existe, dès le moyen âge, des cas royaux, qui sont hors de la compétence des seigneurs hauts justiciers. Ce sont le crime de lèse-majesté, le sacrilège avec effraction, les rébellions et séditions, la fausse monnaie et le rapt. Ces cas sont absolument réservés aux juges

royaux.

L'hérésie est aussi hors de la compétence des justices seigneuriales. Une ordonnance de 1549 la réserve aux juges d'église, à moins qu'elle ne soit accompagnée de scandale public ou de commotion populaire. La juridiction de l'official a d'ailleurs la connaissance de toutes les causes concernant les sacrements, les vœux de religion et la discipline ecclésiastique. Les prêtres et même les diacres ne sont justiciables que des juges d'église, même pour les crimes de droit commun, et il faudra l'ordonnance de 1695 pour confier l'instruction des procès criminels à faire aux prêtres, aux baillis royaux, concurremment avec les juges d'église.

Dans les pièces de l'officialité de l'abbaye royale de Saint-Germain des Prés au XVIe siècle, on trouve confondues des dispenses de bans, des requêtes à l'official, des procès en nullité de mariage, des interdictions de prêtres, des enquêtes concernant les maîtres d'école, des monitoires prononcés à la demande des juges criminels, des procédures criminelles contre des prêtres (1).

Le bailliage n'a pas non plus la compétence pour les débats entre marchands, actes d'association et règlements de comptes commerciaux, qui sont confiés aux Jugesconsuls institués à Paris, dès le milieu du xvie siècle. Voilà pour la compétence ratione materiæ.

En ce qui concerne la compétence ratione personæ, (1) Arch. Nat. Zo 3643.

'elle s'étend à tous les habitants du territoire de l'Abbaye. Dans les procès civils, c'est le domicile du défendeur qui décide de la compétence du bailli. Dans les procès criminels, c'est le lieu du crime. Il n'est pas rare que des conflits de juridiction s'élèvent entre des juges, quand le lieu du crime n'est pas bien établi. Il en est de même en matière de duel et de suicide. On faisait autrefois le procès aux morts. L'ordonnance de 1670 maintint cet usage pour les cas de lèse-majesté, duel, suicide et rébellion, en prescrivant de nommer au défunt un curateur chargé de sa défense.

La justice du bailliage est à la fois cour d'appel et tribunal subordonné à deux juridictions supérieures. Le bailli, juge unique, ou son lieutenant, tranche en appel les procès jugés en premier ressort par les justices des fiefs qui appartiennent à l'Abbaye. Il est lui-même assujetti à l'appel devant les deux juridictions royales de Paris: le Châtelet et le Parlement. Ainsi un procès civil et criminel peut, au commencement du xvir° siècle, être porté successivement devant quatre juridictions différentes. Notez que la ville de Paris est la seule où il n'y ait que deux degrés de juridiction royale. Dans beaucoup de régions de la France il en existe davantage, et il est des pays où certaines causes peuvent être portées successivement devant 6 ou 8 juridictions.

Mais la pratique corrige ce que cette organisation a d'excessif et de suranné. Les officiers des justices subalternes de l'Abbaye favorisent les appels au Châtelet, au détriment du bailliage. Le Châtelet se reconnaît compétent pour juger de ces appels, et il supprime ainsi virtuellement le rôle du bailliage. En outre, en matière civile le scel du Châtelet est attributif de juridiction, en sorte

que ce tribunal royal connaît seul des contestations qui s'élèvent sur les actes des notaires et des commissaires au Châtelet. Enfin le Châtelet a le droit de « prévention » qui lui permet de « prévenir » l'action des juges seigneuriaux pour la répression des délits et des crimes, et de continuer les informations quand il les a commencées. D'ailleurs, les juges seigneuriaux, après avoir, dans le cours des siècles antérieurs, revendiqué ardemment leurs droits à la justice criminelle, paraissent à partir du xvi® siècle, beaucoup plus tièdes. Ils sont surtout disposés à s'effacer volontiers quand les coupables sont pauvres, comme c'est souvent le cas, et hors d'état de payer les frais des procès, frais qui retombent sur eux-mêmes ou sur les seigneurs. La tendance du Châtelet à se substituer à la justice seigneuriale est au contraire onéreuse à l'abbaye, en ce qui concerne les procès civils. Un mémoire du Châtelet, en date de 1667, le reconnaît clairement, mais fait remarquer que la prospérité du faubourg compense amplement la diminution de ces procès civils. Voici comment s'exprime le défenseur du Châtelet :

« Si c'est un préjudice, ne se trouve-t-il pas bien compensé par l'augmentation prodigieuse du revenu de ce fief (l'Abbaye de Saint-Germain), dont le sol qui, au temps de la concession, pouvait valoir à peine 50 ou 60 sols l'arpent, se trouve valoir aujourd'hui 50 ou 60.000 écus l'arpent. Et il est peut-être de quelque considération que, par ce changement si avantageux, les seigneurs de SaintGermain perçoivent à présent des lods et ventes et des droits seigneuriaux, sur un fonds dont une seule partie vaut aujourd'hui plusieurs millions » (1).

(1) La valeur du terrain vers 1667 a été ici manifestement exagérée pour les besoins de la cause.

Plus que jamais après le rétablissement de la justice en 1692, les Parisiens qui ont des différends avec les habitants du faubourg les assignent devant le Châtelet, contrairement à la règle qui veut que le domicile du défendeur décide de la compétence. Par une procédure qu'on ne s'explique pas bien, le bailli intervient pour faire défense à son justiciable de plaider devant le Châtelet. En trois ans, à une époque où la justice est réduite à l'Enclos, on trouve trois sentences semblables sur cette question aux dates du 9 février 1703, 6 juin 1704, 6 mars 1706. Il semble bien d'ailleurs que ces chicanes n'aboutissent à rien. Mais c'est surtout à propos des justices subalternes de l'Abbaye que les conflits de juridiction revêtent un caractère procédurier, ferrailleur, et souvent même tout à fait burlesque.

LES JUSTICES SUBALTERNES.

Du bailliage de Saint-Germain des Prés dépendent les justices subalternes établies dans les seigneuries appartenant à l'Abbaye Issy, Vaugirard, Suresne, Thiais, Villeneuve-Saint-Georges, Fresne, Berny, Choisy, Cachan, Antony, Verrières, etc. L'énumération de ces seigneuries serait fort longue, elle a varié avec le cours des siècles. Dom Anger a publié en 1906 trois gros volumes sur les dépendances de l'Abbaye à diverses époques (1). . Non seulement le bailli de Saint-Germain juge en appel sur les sentences rendues par les prévôts de ces diverses seigneuries, mais il va de temps à autre, tenir

(1) Dépendances de l'Abbaye de Saint-Germain des Prés, par D. Anger 1906.

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