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et des Chartreux, l'ancien chemin de Vanves, le chemin de Vaugirard, l'emplacement de l'École militaire et l'extrémité des rues de Grenelle et de Saint-Dominique. Le Pré-aux-Clercs formait une enclave qui était l'objet de la lutte ancienne et bien connue de l'Abbaye et de l'Université.

A cette époque une modification profonde est intervenue dans l'établissement des juridictions de Paris. C'est la suppression des justices seigneuriales, qui ne sera pas définitive, mais qui marquera une étape vers leur déclin.

Déjà, sous François Ier, un édit du 16 février 1539 avait réuni au domaine de la Couronne les justices seigneuriales existant dans l'enceinte de Paris. Cet édit n'avait été appliqué ni aux justices ecclésiastiques ni aux seigneuries des faubourgs. Louis XIV voulut achever l'œuvre commencée 135 ans auparavant. Un édit de février 1674 créa un nouveau Châtelet à Paris, sur la rive gauche de la Seine, et supprima toutes les juridictions subalternes de Paris qui étaient encore au nombre de 22. Cet édit s'appuie sur l'incommodité de ces nombreuses justices seigneuriales, les conflits qui s'élèvent entre elles et les juridictions royales, les lenteurs qui en résultent pour les justiciables; il promet, assez vaguement d'ailleurs, des dédommagements aux seigneurs ecclésiastiques.

La justice de l'Abbaye de Saint-Germain des Prés qui était l'une des plus considérables, fut supprimée par cet édit. Les officiers de l'abbaye cessèrent leurs fonctions. La justice royale prit possession, dans les bâtiments mêmes de l'Abbaye, de l'audience du bailliage, où s'installa de 1674 à 1677 le second Châtelet. On n'excepta pas même de la dépossession, dit Dom Bouillart, « la geôle bâtie aux dépens de l'Abbaye et dont la construction avait été très

coûteuse »> (1). Elle devint prison royale et sous le nom de prison de l'Abbaye, elle a eu un rôle dans l'histoire, notamment au cours de la Révolution, et n'a été démolie qu'en 1857.

Pellisson, maître des requêtes, alors chargé par le roi de l'économat de l'Abbaye, adressa à Sa Majesté un mémoire faisant ressortir le tort considérable que cette réunion faisait à l'Abbaye, non seulement par l'effet direct de la suppression de la justice, mais encore par la privation des droits de déshérence, d'aubaine, de bâtardise et de confiscation qui lui appartenaient dans un territoire aussi grand et aussi peuplé que le faubourg Saint-Germain. L'auteur de ce mémoire énonce les droits de franchise, de marché, de police, de voirie et autres, attribués aux hautes justices, le pouvoir d'accorder deux lettres de maîtrise de chaque art et métier à l'avènement de l'abbé, les offices dont l'Abbaye tirait finance. La charge du bailli valait plus de 50.000 livres, celle de procureur fiscal plus de 26.000 livres, celles des procureurs dont le nombre n'était pas limité 500 livres, chaque office de sergent (au nombre de 26) 300 livres. Le greffe était affermé 3.000 livres par an.

Les réclamations de Pellisson ne paraissent pas avoir abouti à des indemnités pécuniaires. Mais il obtint un arrêt du Conseil en date du 21 janvier 1675, qui interprétant et modifiant l'édit de 1674, décida que le roi n'avait pas entendu retirer à l'Abbaye la haute justice dans l'enclos du couvent et du Palais abbatial, ni dans les lieux occupés par les religieux et par leurs domestiques. Cet arrêt maintint à l'abbé un bailli, un procureur fiscal,

(1) Dom Bouillart, Histoire de Saint-Germain des Prés.

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un greffier et deux huissiers, et lui confirma le droit, pour le bailli, de juger les appels des sentences rendues dans les seigneuries dépendant de l'Abbaye, en dehors de Paris.

La justice de l'Abbaye demeura complètement interrompue pendant dix-sept ans. Sur cet arrêt du conseil, il ne fut expédié de lettres qu'en 1691. Le nouveau Châtelet quitta les bâtiments de l'Abbaye en 1677 pour occuper le Petit Châtelet, établi à la tête du Petit Pont, sur la rive gauche de la Seine. Puis il fut à son tour supprimé, ou plutôt réuni au Grand Châtelet, par un édit de septembre 1684, après avoir fonctionné assez mal pendant dix ans. Paris eut un tribunal unique, ce qui n'a pas changé. jusqu'à nos jours, sauf pendant quelques années au cours de la Révolution, où l'institution de six tribunaux de district ne put s'acclimater.

La justice de l'Abbaye fut rétablie en 1692 (1) pour l'Enclos seulement. Elle devait durer encore un siècle.

On sait que l'Enclos correspondait à peu près au quadrilatère formé par la rue Saint-Benoît, la rue SainteMarguerite, la rue de l'Échaudé et la rue Jacob. Un pilier d'une des portes de l'Enclos existe encore à l'angle de la rue Jacob et de la rue de Furstemberg.

D'après un registre du commencement du XVIIe siècle, contenant des déclarations de tous les chefs de famille habitant l'Enclos, au nombre de 520 environ, on peut évaluer à 12 ou 1.500 les laïcs formant à cette époque la population soumise à la justice du bailliage.

Une profession y est fort répandue, c'est celle de perruquier et marchand de cheveux. Ces commerçants sont légion, le nombre en augmente chaque jour, au point

(1) Delamare, Traité de la police.

qu'en 1722, on prend des mesures pour expulser de l'Enclos ceux qui n'ont pas la maîtrise, et les compagnons qui n'ont pas de maître et vivent en marge de la stricte organisation corporative.

A partir de son rétablissement le bailliage se trouve réduit à la connaissance de causes peu importantes, questions de police, difficultés entre propriétaires et locataires, exécution de baux, réparations locatives, paiement des droits de lods et ventes, validation d'offres réelles, questions de maîtrises et de compagnonnage, séparations judiciaires entre époux, différends relatifs aux gages et aux salaires des ouvriers et employés.

Le bailli fait encore, au criminel, les enquêtes et les informations. Il est, comme les juges de paix d'aujourd'hui, officier de police judiciaire. Mais peu de procès criminels se déroulent devant lui, il est toujours «< pré venu >> par le Châtelet.

La première affaire du bailliage de l'enclos est une information contre un meurtrier, François Marmotte,.chef cuisinier du maître des requêtes Pellisson, demeurant dans la maison de ce dernier, basse cour de l'Abbaye. Un porteur de chaise de Pellisson, nommé Vervolle, s'est plaint que Marmotte «< ne lui donne pas assez de beurre pour faire son souper. » Marmotte a répliqué vivement. Vervolle s'est jeté sur lui. Le chef cuisinier a tiré son épée se trouvant en légitime défense, et en a porté un coup à l'agresseur. Il reste un mois dans la prison de l'Abbaye, pendant que l'information suit son cours. Grâce à Pellisson, des lettres de rémission interviennent, bien que la victime soit morte quelques jours après sa blessure. Ce Pellisson, qui reparaît encore ici, et qui pendant une longue vacance de l'abbaye de Sain-Germain des Prés,

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l'administra pour le roi, n'est autre que l'ancien commis de Fouquet, enfermé, comme l'on sait, lors du procès de son maître, à la Bastille où il resta quatre ans, ami de M11e de Scudéry, d'abord protestant, puis converti au catholicisme, historiographe de Louis XIV, membre et historien de l'Académie française, homme de lettres et homme d'affaires (1). Un tiers des revenus des abbayes dont l'économat lui était confié, servait à constituer ce fonds des nouveaux convertis dont le fonctionnement n'alla pas sans abus.

Lors du rétablissement du bailliage, des assignations sont envoyées à beaucoup de censitaires pour obtenir le paiement d'arrérages de cens dus par eux, pour justifier de leurs derniers titres de propriété, pour acquitter les lods et ventes qui sont dus sur les mutations. Les cens sont dus parfois depuis vingt-neuf ans et vont se prescrire. Or, bien que ces droits soient minimes pour chaque propriété, au point que les détenteurs n'en connaissent pas le chiffre, et que les notaires se dispensent de le mentionner dans les ventes, comme le prescrivent les ordonnances, l'ensemble de ces redevances anciennes ne laisse pas de constituer un gros revenu pour l'Abbaye, puisqu'on le voit figurer dans son budget à la veille de la Révolution pour 182.000 livres, année commune.

LE PERSONNEL JUDICIAIRE.

Les officiers du bailliage sont le bailli, le procureur Escal et le greffier.

Le bailli apparaît tard à Saint-Germain des Près; on

(1) Préface aux lettres de Pellisson par l'abbé d'Olivet.

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