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mement que leur permettaient à tous deux des occupations absorbantes. Le célèbre capucin (1) semblait déconcerté par la méthode de saint François qui mortifie la volonté plus que les sens. Quand il comparait la Visitation à ses chères Calvairiennes, le Père Joseph s'emportait, avec fougue, contre une ascèse nouvelle qui ne lui disait rien qui vaille! » Il traitait ceux qui ne se tenaient pas aux bonnes vieilles macérations d'autrefois, «< d'esprits chimériques, voulant commencer à bâtir par la couverture ».

Nous n'avons pas à trancher un pareil différend. Il suffit d'expliquer, autant que possible, le jugement contestable de dom Tarrisse, à l'égard de saint François de Sales.

Toutes les acquisitions furent emportées à Saint-Germain des Prés, lorsque le Supérieur général s'y installa, en 1631.

La bibliothèque de cette abbaye fut établie en 1537, dans un bâtiment spécial, construit par Maître Anthoine d'Artois, architecte. Le même local semble avoir été conservé jusqu'en 1713. A cette date, on entreprit une construction nouvelle, destinée aux ouvrages imprimés, tandis que les manuscrits étaient placés dans les galeries du cloître. Si on consulte la gravure insérée dans l'ouvrage de dom Bouillart (2), on voit que la bibliothèque s'étendait en équerre, une partie au-dessus du cloître et parallèle au flanc gauche de l'église, l'autre perpendiculaire à la ligne constituée par la rue actuelle de l'Abbaye; les salles étaient assez délabrées comme on peut en juger

(1) L'ŒŒuvre des dix jours, préface de M. Albert Dufourcq, Toulouse, les Voix Franciscaines. Les Filles du Calvaire appellent exercice des dix jours le recueil de vingt-huit exhortations du Père Joseph rédigées par son inséparable compagnon, le Père Ange de Mortagne.

(2) Histoire de Saint-Germain des Près, in-fol. 1724.

par la citation suivante (1): « L'eau qui tombait le long des murailles les avait fort endommagées, la voûte semblait s'en vouloir séparer. Cela obligea les religieux de transporter les livres ailleurs, qui étoient fort gastés de la pluie, qui tomboit journellement dessus. Les pupitres étoient aussi tout pourris ».

En 1635, dom Tarrisse voulut y mettre les ouvriers. Les architectes le détournaient de ce projet et parlaient de reconstruire de fond en comble parce que, prétendaient-ils, si on se bornait à des réparations, tout s'écroulerait. Dom Tarrisse reculait devant une pareille dépense. Il consulta d'autres personnes. Enfin, un frère convers, qui s'appelait Pierre Lopineau, lui assura que si on se confiait à lui, rien de fâcheux n'adviendrait. C'était un habile homme. Les murailles furent raffermies par des barres et des crampons de fer. On construisit une gouttière pour éviter les infiltrations. Bref, le frère convers conduisit si bien les travaux qu'il consolida ces ruines dont on désespérait. Le supérieur du monastère, dom Anselme des Rousseaux, acheva, en 1637, la menuiserie des armoires, on nettoya les murs ainsi que le plancher et on rangea les livres. L'installation laissait encore à désirer, comme en témoigne dom Michel Germain, le 5 février 1646.Il faudrait, écrit-il à Placide Porcheron, un autre vaisseau que celui qui est à présent. L'air en est malsain pour les gens et pour les livres (2) ».

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Restait à classer les ouvrages. Dom Tarrisse jeta les yeux sur un moine qui devint célèbre dans la suite, mais qui, alors, végétait dans l'infirmerie, car sa santé

(1) Abrégé des choses les plus remarquables de l'abbaye de Saint-Germain des Prés, Bibl. n1o. man. f. f, 18816 fo 21.

(2) Manuscrit franç. 19645. Voir Léopold Delisle : Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nat1., t. II, p. 44.

mauvaise ne lui permettait de remplir'aucun office, jusqu'à ce moment. Nous voulons parler de Luc d'Achéry. Le Supérieur général lui proposa l'emploi de bibliothécaire. Comme les réparations entreprises n'étaient pas encore terminées, les livres semblent avoir été répartis en deux sections, une grande et une petite. Dom Luc choisit cette dernière et s'y essaya. Mais laissons-le raconter lui-même ces détails :

J'acceptai (ce poste) très volontiers, mais ce ne fut point sans difficultés n'ayant jamais (manié) que les livres de classe. Néanmoins, il sembla que Notre-Seigneur me donnoit cette occupation pour me faire passer doucement le temps et m'ôter la pensée de mes infirmités continuelles, ainsi que je l'ai reconnu sensiblement par après, dont je rends grâce humblement à sa Diviné Bonté. Le Révérend Père étoit tous les jours à voir mon petit travail. Pour m'encourager, il me témoignoit une satisfaction extraordinaire et m'en louoit, en présence des supérieurs (quoiqu'il n'y eût rien digne de louange), ce qu'il faisoit afin de m'encourager ainsi qu'il m'a assuré par après, car il avoit coutume de faire paroître une estime de ce que les religieux faisoient et, par ce moyen, il les portoit à l'aimer et à bien employer le temps avec contentement. Or, il m'accordoit tout ce que je lui proposois, pour l'ornement et perfection de cette petite bibliothèque, soit pour relier les livres, soit pour en acheter des bons qui étoient nécessaires, selon les advis que je recevois des personnes capables. Il m'accorda aussi d'avoir un frère convers, relieur de son métier, lequel, par son ordre, fit faire des instruments. les frères menuisiers et moi j'achetai des lettres de cuivre et autres marques pour dorer le dos des livres, ce qui servit beaucoup à raccommoder les livres de la grande bibliothèque ».....

par

Luc d'Achéry, plus expérimenté, entreprend de classer la grande bibliothèque, quand les travaux sont terminés.

« Le Révérend Père ayant approuvé l'ordre que je mis aux livres, après l'avoir changé diverses fois, il me faisoit paroître

de plus en plus en agréer, me donnoit de bons advis, tant pour l'augmenter que pour entretenir avec édification, ceux qui la viendroient voir. J'entrepris, m'ayant fort incité à cela, de faire le catalogue des livres, ce que je fis avec beaucoup de peine, l'un suivant l'ordre des matières, l'autre alphabétique, avec quelques advis, au commencement de chacun (1). Je renoircis, dorai et fis relier plusieurs livres gastés, par ordre du Révérend Père qui en fit achepter assez bon nombre par divers prieúrs, particulièrement dom Anselme des Rousseaux qui en fit achester, en une seule fois, pour 900 livres.... On changea aussi de ceux qu'on avait plusieurs fois semblables (c'est-à-dire qu'on fit des échanges) dont on en eut de très bons. Dom Tarrisse agréa aussi qu'on donnât l'après-dîner des mardi et jeudi aux externes (c'est-à-dire au public) pour y étudier auxquels jours il y vint bon nombre de personnes doctes, mêmes étrangers, comme Allemands, Anglois, Hollandois, etc. Ce qui l'occasionna de permettre cela est que moi ne pouvant assister au service divin (à mon grand regret), je demeurais, pendant ce temps, à la bibliothèque (2) ».

Un des fonds les plus précieux de la bibliothèque de Saint-Germain des Près était celui des manuscrits de Corbie. Leur transport à Paris s'opéra à la suite de circonstances assez mouvementées qui méritent d'être relevées.

En 1636, le cardinal infant Don Fernando, gouverneur des Pays-Bas, franchit la frontière, poussa droit à la Somme et le 15 août prit Corbie, qui gardait le passage. Les coureurs s'avancèrent jusqu'à Pontoise. Un moment,

(1) Les catalogues se trouvent à la Bib. n1e. manuscrits latins 13082 13084. En tête du premier volume se trouve un avis au lecteur, en latin. Dom Luc y explique son système de classement. Il donne la date de la fin des réparations à la bibliothèque Restaurata bibliotheca anno Domini 1639, et il termine par ces mots : << hoc fruere et ad gloriam Christo qui est sapientiae omnis fons et origo. Sexto nonas Julii 1643 ».

(2) Archives de la France monastique, t. V, p. 60 et suiv.

l'épouvante fut grande dans Paris. Beaucoup de bourgeois alarmés faisaient filer leur argent et leurs meubles à Orléans. Les bruits les plus défavorables, comme en toutes les paniques, circulaient dans la capitale contre les bénédictins de Corbie. Les véritables coupables de cette reddition détournaient sur eux les colères, en les calomniant. On prétendait qu'ils n'auraient donné l'absolution aux soldats français qu'en leur faisant promettre de mettre bas les armes. Cette fable s'ancra si bien dans les esprits que le roi, lui-même, ordonna au procureur général Molé de poursuivre cette affaire devant le Parlement. Dom Tarrisse, averti, alla trouver le père Joseph pour essayer de défendre ses confrères. Il échoua. Le capucin avait l'esprit prévenu par un gentilhomme compromis avec M. de Soyecourt, défenseur de la place. Les Parisiens étaient si montés que Dom Tarrisse défendit à ses religieux, sous aucun prétexte, de se montrer dans les rues, pour éviter un malheur. Lui-même courut un très grand danger. Il allait avec Dom Cyprien Le Clerc, prieur de Saint-Denis, tenter une visite auprès du chancelier, lorsque arrivé près du Pont-Neuf, un héraut cria à tue tête que Corbie avait été livré par les bénédictins. Aussitôt, la populace entoure les deux moines, en vomissant contre eux toutes sortes d'injures, les force à rebrousser chemin et les reconduit, jusqu'à Saint-Germain des Prés, au milieu des vociférations et des me

naces.

Dom Tarrisse, lorsque le cardinal de Richelieu eut repris Corbie sur les Espagnols, y envoya dom Cyprien Le Clerc, avant l'entrée solennelle du premier ministre. Le 20 novembre 1636, le prieur de Saint-Denis marcha en tête de la communauté bénédictine de Saint-Pierre. A sa

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