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d'aspect rouklo est identifié avec la bise noire (Salvan); dans la vallée de Bagnes, ròɣlèyạ ou ruɣlèya, s. f., désigne une bourrasque ou rafale, un vent violent mêlé de pluie, un tourbillon. Ces dernières formes sont dérivées d'un verbe ròɣlèyè, où l'on reconnaît le radical de notre ruɣlyo, auquel est venu se souder le suffixe -èyè = lat. -idiare, qui se retrouve dans bizèyè, faire de la bise, et d'autres verbes employés en parlant des vents.

Voilà tous les renseignements, contradictoires et épars, qu'offrent les matériaux du Glossaire. Quelques recherches rapides faites dans un certain nombre de dictionnaires de différents pays m'ont fait découvrir les vocables: ruscle 1, s. m., pluie qui fouette, pluie battante, averse passagère (Mistral, Trésor) et rôsc2, aquazzone, pioèuv a rôsc, piovere a rotta, a secchi, diluviare (Monti, Voc. di Como).

Les formes de la Suisse romande reconduisent toutes à un radical hypothétique *ruscl; cf. pour le traitement du groupe cl après consonne les formes de circ(u) lu> cherɣlyo (Gruyère), cherdo (L'Etivaz). Les dialectes lombards nous font saisir le radical, non diminutif, *rusc, signifiant toutes sortes de choses qu'on peut ramener à l'idée de amas. Comparez Cherubini, Voc. milanese, sous ròsc: 1. tutte le interiora dell'animale, 2. stormo, 3. gregge, 4. penzolo, 5. il pene con l'altre appartenenze. M. Salvioni (Arch. glott. it. XVI, p. 234) me paraît avoir tort de dériver ce mot de *roteu qui ne convient guère aux patois français. Ce sera plutôt rusceu, attesté deux fois, avec le sens de sordidus, dans le Corpus gloss. lat., voir t. VII, p. 218, et qui doit être un autre rusceu que celui dont parle M. Schuchardt, Rom. Etym. I, p. 62 ss. Ce dernier est tiré du nom de plante ruscum, qui ne doit avoir aucun rapport avec notre mot. Rusceu, tas, se retrouve dans toute la Haute-Italie et dans les parlers rétoromans. Voir des listes de formes dans Lorck, Altberg. Sprachd., p. 203, et Schneller, Die rom. Volksmund. in Südtirol, p. 171.

1 Se dit aussi rascle.

2 Prononcer roch; sc comme dans l'italien scemo, etc.

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Les patois romands offrent certaines analogies: róla, s. f.r amas (Val de Bagnes); ruklyon, tas de boue, balayures et autres immondices, gadoue, débris divers (Vaud et Genève)1. L'énorme répertoire de Du Cange donne ruscum, quodvis immundum, ut videtur, et ruscus, sordidus, d'après le Vocabu larium latinum du lexicographe Papias (XIme siècle).

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Sommes-nous allé trop loin dans nos identifications? Le lien qui unit les divers mots de cette famille, si c'en est une, nous échappe. Le type rusc, différent de rusca écorce, s'est croisé avec d'autres, par exemple avec rifl dans la forme de Blonay rizlya, mentionnée ci-dessus. La voyelle u du gruyérien ruɣlyo pourrait bien aussi représenter un ancien i devant *fl. En tout cas, cette petite promenade étymologique montre combien difficiles et souvent illusoires sont nos tentatives de reconstituer l'histoire des appellations d'un groupe déterminé (vents) à l'aide des matériaux si fragmentaires des vocabulaires dialectaux.

IV. Vaudaire.

Le principal domaine de ce vent est constitué par les rives orientales du lac Léman, qui le reçoivent des Alpes et du Valais. C'est un vent très fort et chaud, qui souffle souvent par rafales. Les navigateurs le craignent. Il arrive du sud dans le Pays-d'Enhaut et dans la vallée fribourgeoise de la Veveyse. Il entre par l'ouest dans la plaine du Rhône, à laquelle il amène de la pluie. On le connaît jusqu'à Saint-Maurice d'un côté, jusqu'à Genève de l'autre. C'est le fahn de la contrée, qui fait rapidement fondre les neiges. Un proverbe vaudois dit: Vaudaira (lire -aire) dau né fá chétzi lé gollé; Vaudaira dau matin få veri lé moulin — « Vaudaire » du soir fait sécher les flaques, « vaudaire » du matin fait tourner les moulins.

Les plus anciennes mentions à nous connues datent du XVII* siècle. On sait que dans les vieux actes on indiquait souvent la

1 Fenouillet, Pat. savoyard, cite un verbe rucllä, râcler, curer, enlever la saleté.

situation des lieux par le nom des vents (devers bise, etc.). Vaudeire désigne l'orient dans un acte de Chillon d'environ 1650, la même direction dans un document de Villeneuve de 1619.

Un de nos correspondants, qui faisait à l'occasion de l'étymologie, M. L. Ruffieux, voulait tirer le nom de ce vent de *validaria, parce que c'est un vent fort. Mais le suffixe -aria ne se joint guère, chez nous, à des adjectifs, et l'on ne voit pas quelle en serait ici la signification. On a pensé que le terme se rattache à l'un des noms du diable (proprement « sorcier »), à vaudai, que M. Muret a dérivé, comme le faisait déjà le doyen Bridel, des hérétiques vaudois (Arch. suisses des trad. pop., II, 180-181). La chaleur du vent et son impétuosité peuvent, en effet, le faire considérer comme une œuvre diabolique. L'imagination des peuples n'a pas manqué d'établir des rapports entre les vents et des entités surnaturelles, voir Sébillot, Folk-Lore de France, I, p. 66 ss. « A Guernesey, par exemple, le tourbillon d'été est conduit par Héroguias, la reine des sorcières; en Haute-Bretagne, il contient un sorcier» (ib. p. 82). L'un ou l'autre de nos correspondants confirme cette manière de voir en qualifiant la vaudaire de « vent du diable », et Mme Odin, sous voudairè, remarque: « il va sans dire que nos bons ancêtres faisaient souffler le vent par le voudai, quand il avait besoin de déblayer les neiges pour pouvoir passer ». Un Hexenwind est aussi mentionné par M. Wehrle dans son étude Volkstümliche Windnamen, p. 168 (Zeitschr. f. deutsche Wortforschung, t. IX).

Et cependant, cette étymologie se heurte à une grosse diffi culté comme vaodai vient de Waldensis, on s'attendrait à une forme vaudaiza1, scil. oura (aura). Voyons donc s'il y a moyen de proposer autre chose.

M. Singer avait cru reconnaître dans notre vaudaire une survivance du vent latin volturnus, avec échange du suffixe

1 C'est ainsi qu'on appelle dans nos patois les sorcières.

inusité1 contre aria (Arch. suisses des trad. pop., I, 207, n. 3). Mais outre que cette opinion n'est pas appuyée par la phonétique le radical vult- ne saurait donner que vout- et non vaud, cette appellation est trop locale et trop isolée pour perpétuer un souvenir antique. Les noms latins des vents paraissent avoir été oubliés. Pas de traces chez nous de Eurus, Auster, Notus, Aquilo, etc., pas même de Favonius, qui s'est pourtant conservé chez les Rétoromans et qui est parvenu à l'allemand (Föhn) à travers les dialectes suisses-allemands (cfr. Wehrle, Zeitschr. f. d. Wortf.).

Je pense donc, en fin de compte, que le radical de vaudaire contient le nom géographique Vaud. Le suffixe -aria servirait, comme si souvent, à désigner le lieu. Le nom entier se rangerait avec les très nombreuses appellations de vents d'après leur provenance: Vent de Savoie; Bise de Berne, de Soleure, de Lausanne; la Loɔrin.n (lorraine), la Biennoise, la Tramelote (soufflant de Tramelan), etc. Cette idée a déjà été exprimée par Fenouillet, dans sa Monographie du patois savoyard, où on lit: vaudeire, vent d'Est sur le lac Léman (de Vaud). Terme de bateliers savoyards à l'origine, ce nom se serait répandu et fixé au delà de son domaine primitif, sans toutefois devenir très populaire dans le canton de Vaud, comme le prouve le petit nombre d'attestations que nous possédons pour ce canton.

(A suivre.)

L. GAUCHAT.

1 -urnus paraît cependant bien s'être conservé dans subturnus, voir Bulletin IX, p. 30.

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