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foin, au blé', mot qui semble identique au français cours < cursum1. Ce même compartiment s'appelle kartay, quartier' dans les Alpes vaudoises.

X. Conclusion.

Dans l'ensemble des travaux agricoles, la fenaison, telle que nous l'avons étudiée, est un domaine relativement conservateur. Depuis que l'homme récolte le foin pour en nourrir son bétail pendant l'hiver, on aura coupé l'herbe, on aura étendu les andains, on aura entassé le foin, en rouleau ou en tas, pour le transporter plus facilement à une place abritée (meule, fenil ou grange). Dans ces opérations fondamentales, le progrès de la civilisation n'aura guère apporté de changement2.

On pouvait donc s'attendre à une grande uniformité d'expression. En réalité, il n'en est rien. Le total des mots que nous avons étudiés dépasse la centaine3. Tous ne sont pas, bien entendu, des termes de fenaison proprement dits, c'est-àdire des mots qu'on n'emploie qu'en parlant des foins (ou de la moisson); de ceux-là, il y en a relativement peu, une bonne vingtaine tout au plus (v. le tableau p. 53).

Quant à l'origine de ces mots, la grande majorité peut s'expliquer soit directement par le latin (foin, sèyi, rétreindre), soit par un dérivé du latin (andain, moué, épancher, etc.). Un petit nombre sont d'anciens mots germaniques (rin, rintsèta, tèche, vouayïn). Comme ils font tous partie de l'ancien fonds

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1 Le développement du sens n'est pas évident. Cours' signifie entre autres, rang continu de pierres dans une bâtisse' (Littré) ce qui s'accorde assez bien avec ko, qui désigne chacune des divisions de la grange marquées par des colonnes.

2 Il est évident que cela ne s'applique pas aux outils (faux, faucheuse, râteau, fourche, char, etc.). Les anciens outils non mécaniques du faucheur ne sont pas de la même importance au point de vue du développement que le sont, par ex., les ustensiles du fromager pour la fabrication du fromage.

3 Ne sont pas comptés les innombrables dérivés dont nous n'avons cité qu'un petit nombre."

Regain', du radical weiden. Le regain fera le sujet d'un article à part.

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du vocabulaire français, ils ne prouvent rien pour l'influence que pourraient avoir eue les Allemands dans la façon de récolter le foin. Il n'en est pas de même des mots empruntés aux patois de la Suisse allemande: valamon, gas, tchoup, svèy (?), ouazon , regain', de l'allemand wasen gazon'. La diffusion double de valamon dans le Jura et dans le Valais peut indiquer, dans les régions où il s'est répandu, un changement, si léger soit-il, dans les habitudes du faneur1.

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Essayons de présenter au lecteur un tableau d'ensemble (v. p. 53) qui montrera la répartition des termes techniques proprement dits dans le domaine de nos patois. Il fallait faire un choix: on ne trouvera dans ce tableau que les termes les plus importants, c'est-à-dire ceux qui sont matériellement indispensables au faneur et partant bien ancrés dans la mémoire linguistique d'une région un peu étendue. Pour ne pas grossir la liste, nous avons dû, non sans regret, en écarter les mots peu ou mal attestés dont l'emploi semble occasionnel ou strictement local. Ces mots sont très nombreux, j'en compte jusqu'à 80. Ils sont d'une importance capitale pour la vie du langage, ils en représentent la partie mobile, ils témoignent de la faculté imaginative des patoisants, c'est par eux que le vocabulaire se renouvelle et s'enrichit. Où ils ne sont plus, le patois est mort.

Il va de soi que les dérivés ne figurent pas non plus dans notre tableau.

Que nous apprend ce tableau sur le caractère linguistique de la Suisse romande ? Les mots français, communs à tous les cantons, soit littéraires (comme foin, etc.), soit provinciaux (comme scier, virer, bailler) offrent peu d'intérêt 2. Quant aux termes, romands', ce qui frappe le plus, c'est l'absence d'unité. Il faut insister sur le fait que pour seize idées essentielles de la

1 Seule une étude détaillée et comparative de la fenaison romande et allemande en Suisse pourrait trancher la question.

2 Notons toutefois que de tous les termes exclusivement employés pour la fenaison, foin est le seul qui ait eu déjà ce sens en latin classique.

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fenaison, domaine agricole primitif et indigène s'il en fut, il n'y a pas un seul terme exclusivement romand qui soit répandu dans tous les cantons; et de ceux qui en approchent le plus: recor, come1, tèche et valamon, les trois premiers se retrouvent en dehors de la Suisse et le quatrième, valamon, est un emprunt visible fait aux patois allemands limitrophes.

La région qui se détache le plus nettement du gros des cantons romands, c'est, comme chacun sait, le Jura bernois. Cela saute aux yeux pour, tas à la grange' et pour, regain'. En outre, il faut relever un certain nombre de termes qui ne sont que jurassiens et en partie franc-comtois: pèrè, boudin, tchéyon, retrouns, monsé, tchinpè. Ainsi, pour la fenaison, le Jura bernois présente avec le Valais le plus grand nombre de termes particuliers.

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Parmi les autres cantons, Genève manque presque totalement d'originalité. Des termes qui figurent dans notre tableau, le patois fribourgeois ne possède à lui que la rintsèta, Neuchâtel ne peut revendiquer que le moul et la savèy. Ce sont Vaud et Valais qui cachent les grands trésors, tantôt à eux seuls (épancher), tantôt en commun avec d'autres (moué, valamon), tantôt c'est Vaud, - jamais Valais, - qui s'accorde avec Fribourg (tsiron, toula, tira, lever), tantôt, rare, - Vaud est seul à posséder un terme (kira), le plus souvent c'est le Valais, vrai paradis pour le lexicographe, qui fait bande à part; c'est lui la patrie des matson et des katson, des tsoton et des piron, et sans doute de mainte autre formation caractéristique qui aura échappé à nos recherches.

mais c'est très

1 Quant à come, je ne lui trouve en France (Savoie, Midi) que le sens de crinière'.

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Je ne puis terminer ce travail sans m'acquitter de la dette de reconnaissance particulière que j'ai envers MM. les correspondants qui m'en ont fourni les matériaux. Ce qu'ils ont noté dans les formulaires du Glossaire, j'ai essayé de le résumer, de le grouper, de le commenter, La présente étude est loin d'être définitive, elle a des lacunes, dont je sens l'importance mieux que personne. Il faut les combler avant de rédiger le Glossaire. Qui nous a aidé nous aidera. De nombreux termes, qu'on trouvera dans cet article, ont besoin d'être précisés pour la forme et surtout pour le sens. Le lecteur patoisant versé dans les travaux rustiques, à la compétence duquel je fais appel en terminant, ne manquera pas, j'espère, de compléter et de rectifier notre information1.

E. TAPPOLET.

1 Le mode le plus pratique pour nous, c'est de présenter ces rectifications sous forme de fiches envoyées au Bureau du Glossaire. Nous recommandons tout particulièrement l'usage du croquis, quelque sommaire ou grossier qu'il soit, surtout lorsqu'il s'agit d'indiquer la forme du rouleau ou du tas et la répartition du foin sur le pré.

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