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ÉTYMOLOGIES

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Avalanche, mayen et romwentsə.

On a reconnu en ces dernières années, dans le vocabulaire usuel et les noms de lieu de la France méridionale, de l'Italie septentrionale et de la Suisse italienne, l'existence d'un suffixe -incus et d'un suffixe plus rare -ancus, qui semblent être les débris d'une langue morte, celle des Ligures, peut-être un temps parlée dans tout le bassin du Rhône et les Alpes occidentales1. Dans un article qui paraîtra dans la Romania, je montrerai que ces suffixes se retrouvent dans maint nom de lieu de la Suisse romande et de la Savoie et que le plus commun des deux a servi chez nous, comme dans le midi de la France et en Sardaigne, à créer des appellations ethniques du type Ormonnan, Ormonnanche. Ici, je voudrais signaler la présence du suffixe -incus et de sa variante -ancus dans quelques termes, patois ou francisés, par lesquels on exprime certains aspects caractéristiques de la nature alpestre et de la vie des populations campagnardes et montagnardes. L'un de ces termes a déjà été relevé par M. Gauchat, dans son article Comment on nomme le fromage dans nos patois (Bulletin, VI, p. 20, X), et les pages qui vont suivre y perdront quelque chose de la nouveauté qu'elles auraient pu avoir auparavant pour maint lecteur.

1 H. d'Arbois de Jubainville, Les premiers habitants de l'Europe (2o éd.; Paris, 1889-94), t. II, pp. 3-215. Salvioni, Ancora i nomi leventinesi in -engo (Bollettino storico della Svizzera italiana, XXV, 1903, pp. 93 ss.). — E. Philipon, Provençal -enc, italien -ingo, -engo (Romania, XXXV, 1906, pp. 1-18). Cf. Archives suisses des traditions populaires, XI,

p. 155, n. 1, et p.

162.

Avalanche, autrefois avallanche (Cotgrave, 1611), avalange (1697, 1771); lavanche (Pelletier du Mans, La Savoye, 1572), lavange (forme la plus usitée au XVIIIe siècle)1.

Midi de la France: lavanca, vers 1200, dans une poésie du troubadour Pierre Vidal (Raynouard, Lexique Roman, IV, col. 33); lavanchiarum (gén. plur.), en 1323, dans une charte latine du Dauphiné (Ducange, art. lavanchia). - Mistral, dans Lou Trésor dou Félibrige, enregistre les formes patoises: avalanco, valanco, avalancho (Limousin), eivalancho, eilavanchi (Dauphiné), valancho, lavancho (Alpes).

(Scheuchzer, Itinera,

Suisse romande et Savoie : « Helvetii Gal[lica] Ling[ua] Levanze, Vallantze, à valle... vocant 1723)2; avalantzche et avalantze (Bridel); avalantsè et évalantsè (Mme Odin, Glossaire du patois de Blonay, sous presse); évalanche et évalancher, v. intr., « s'ébouler», dans le parler vulgaire de Genève (Humbert, Nouveau Glossaire genevois, 1852); lavents, laents23 (Valais); lavenda (Constantin et Désormaux, Dictionnaire savoyard, art. lavênçhe). — Un dérivé par le suffixe -arium (Lavancher, Lavanchy) est fréquent dans la toponymie alpine pour désigner des lieux exposés aux avalanches.

Italie: lauanche (f. pl.), dans un ancien texte lombard1; lavanka, lavenka, dérivé lavankal (Val Brozzo); laventchi (Val

1 Je complète les données de Littré et du Dictionnaire général par des renseignements que je dois à la complaisante érudition de mon collègue M. Alexis François. MM. Gauchat et Jeanjaquet m'ont fourni aussi quelques utiles indications concernant les mots avalanche et mayen.

2 Cité par F. F. Tuckett, Note on the terms Lauine, Lawine and Avalanche (Alpine Journal, V, pp. 346-349).

3 Cette prononciation, propre au Valais central, ne justifie pas l'identification établie par M. Jaccard, dans son Essai de toponymie (p. 221), entre lavents ou lavanche et le mot lanche, usité dans les Alpes fribourgeoises et vaudoises, dans le Bas-Valais et en Savoie, sous les formes lants ou lants, langa, lanste, et différent aussi par sa signification. Je compte revenir quelque jour sur ce mot, qui nous offre peut-être un exemple de plus de l'emploi du suffixe -anca dans les parlers alpins.

4 Archivio glottologico italiano, VII, p. 26, 1. 21, et XII, p. 410.

Soana). La forme littéraire (peu ancienne) valanga, qui passe généralement pour empruntée au français, provient plus probablement de l'un des dialectes parlés sur le versant méridional des Alpes 2.

Contrairement à l'opinion de M. Körting3, qui attribue la priorité à la forme avalanche, ce mot francisé et ses correspondants patois doivent être issus du type lavanca ou lavenka, par métathèse et moyennant l'agglutination de l'a de l'article, sous l'influence du verbe avaler, pris au sens primitif de « descendre, tomber». Les formes originaires *lav-inca, lav-anca sont dérivées du verbe latin labi, « glisser, tomber », comme les synonymes: allemand lawine, réto-roman lavina, livina (avec le dérivé lavinal, livinal), tessinois levina3, provençal lavino, « roche calcaire en décomposition, lieu raviné » (Mistral), dont le prototype lab-īna (cf. ru-īna, de ruere) était déjà usité dans la latinité chrétienne au sens d'« éboulement » 6. Dans les formes comme eilavanchi, évalanche, celle-ci déjà mentionnée en 1768, on retrouve le verbe composé elabi (ou plutôt un verbe recomposé, ex-labi), qui a la même signification que le simple. Ces formes, aussi bien que la différence sémantique, interdisent de rattacher, avec Nigra, *lavinca et lavanca à l'italien lava (lave).

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1 Nigra, Arch. glott., XIV, p. 284.

S. Pieri, dans les Studj romanzi, I, pp. 54-55.

3 Lateinisch-romanisches Wörterbuch (3e éd.), nos 5355 et 284.

4 Cf. E. Tappolet, dans notre Bulletin, II, pp. 22 ss., et dans la Festschrift zur 49. Versammlung deutscher Philologen und Schulmänner (Basel, 1907), pp. 324 ss.

5 Dictionnaire géographique de la Suisse, art. LAUENEN. LÆUENEN, etc. Josias Simler, dans sa Vallesiæ et Alpium Descriptio (1574), dont M. Coolidge a publié récemment une nouvelle édition, copieusement annotée (Grenoble, 1904), parle du danger qui résulte pour les voyageurs (p. 222): « à decidentibus conglomeratis nivibus quas nostri Louwinen, Rheti Labinas vocant, haud dubie à labendo... » J. Wagner (1680) et Scheuchzer, cités par Tuckett, appellent les avalanches labinæ ou labena.

7 Ou *labinca (c'est tout un); mais non *labīn-ica, comme le suppose M. Pieri. Dans tous les patois alpins, le c latin prononcé après

Les formes française lavange et avalange résultent probablement de la substitution du suffixe -ange de vidange, mélange (quelquefois féminin), barange, louange, à la désinence très rare -anche. En Italie, les adjectifs terminés au masculin en -eng (prononcez -enk), au féminin en -enga, -enka, -inkja, et les noms de lieu de même désinence du Piémont et de la Lombardie ont pour correspondants, dans la langue littéraire et l'usage officiel, des formes en -ingo, engo, inga ou enga. Plusieurs noms propres, comme Marengo (nom de lieu) et Marenco (nom de famille), Landarenca, parfois Landarenga (Grisons), s'écrivent ou se prononcent tantôt d'une façon, tantôt de l'autre1. Valanga nous offre, à ce qu'il me semble, un spécimen de ces procédés maladroits d'adaptation par lesquels maint nom de lieu a été déformé, en passant de l'usage oral dans l'usage écrit et officiel.

Mayen, mayen, maen, mèen, s. m. Terme par lequel on désigne, dans la plus grande partie du Valais romand, les pâtu rages, appelés au Tessin maggenghi ou monti 3, où les vaches séjournent au printemps et en automne, avant d'aller paître l'herbe des montagnes ou de redescendre au village. On en a des formes médiévales dans les noms de Petrus dol Mayench, mentionné vers 1250, de Johannes dou Maeyng, habitant de Sion en 1306. Il se traduit en allemand par maiensäss ou vor

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une voyelle pénultième atone est devenu sonore (cf. dominica, prononcé dəmẹndza en Suisse, dəmende en Savoie). Le changement d'7 en i ou e fermé sous l'influence d'une labiale est fort hypothétique et ne rendrait pas compte des formes du type lavanca.

↑ Salvioni, dans l'article précité, pp. 98-99.

Pour ne pas m'écarter de l'orthographe usuelle de ce mot, on me permettra de noter ici par en le son nasal habituellement transcrit par in dans le Bulletin. Pour distinguer des voyelles nasales les voyelles orales suivies de la consonne n, je mets une barre entre l'n et la voyelle précédente.

3 Annales de géographie, XV, p. 338, n. 1.

4 Documents relatifs à l'histoire du Vallais, publiés par J. Gremaud, I, p. 456; Zimmerli, Die deutsch-französische Sprachgrenze, III, p. 19.

«

säss, et il a pour synonyme, dans l'ancien Valais savoyard, en aval de Saint-Maurice, forier, en patois fourį, qui signifie proprement << printemps » 1. Dans le canton de Vaud, c'est un mot rare, sans être tout a fait inconnu. A ce que m'apprend notre correspondant M. A. Neveu, il n'est employé à Leysin que pour dénommer le pâturage et la Tour de Mayen, la tòr dè Mayä. A Blonay, d'après Mme Odin, mayen est un synonyme « très peu usité de tsale et de grandzè, qui désignent les nombreux petits chalets disséminés sur les hauteurs, au-dessus des villages et à mi-chemin des grands pâturages de la montagne. Dans le Jura vaudois, on connait un mot mayon, qui figure ou figurait au cadastre, dans les lieux dits ès Méon et Plat-des-Mayons (commune du Chenit). Ce mot mayon, lisons-nous dans la notice de L. Reymond sur La Vallée de Joux (p. 83 de la seconde édition), « est le même que mayen employé encore aujourd'hui dans les montagnes du Valais et ailleurs pour désigner ces petits bâtiments où l'on serre provisoirement des fourrages au moment de la récolte (on dit aussi quelquefois mazots). »

Le diminutif mayentset, maentsèt, mayentse se rencontre assez souvent parmi les noms de lieu valaisans. Dans la vallée de Louèche, où l'on a parlé des patois romands jusqu'au XVIe siècle, il est prononcé mantchèt à Varonne, manchet à Inden et Louèche-les-Bains, dans le nom de famille Mayenzet et le nom de lieu Manschetgraben (commune de Louèche-les-Bains). Je relève des mentions, en 1366 de Perrodus de Mayncheto, en 1380 de Petrus de Maencheto, à Louèche 2.

Dans le lieu dit i mayentson, au-dessus de Lourtier (Bagnes), orthographié Mayentzon au registre foncier, es Mayenzons en 1800, apparaît un autre diminutif, juger par les noms de lieu, l'heure dans un autre emploi.

Cf. Bulletin, III, p. 51.

2 Gremaud, VI, pp. 538 et 198.

plus rare, si j'en puis

que nous retrouverons tout à

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