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ment, dans un poème composé au midi de la France, probablement dans les premières années du treizième siècle, et intitulé par son éditeur La Cour d'Amour: « Au sommet du mont du Parnassus,» au milieu d'un magnifique jardin, s'élève un «< château, le plus beau qu'on ait jamais vu, car il n'y a pas une pierre des murailles qui ne resplendisse comme de l'or et de l'azur. De là on mène la guerre contre vilenie. Les clefs sont mérite et privauté... » Vers le milieu du siècle, un troubadour italien s'est amusé à bâtir avec des allégories un élégant Château d'Amour, que le temps n'a malheureusement pas assez épargné 34. Sur le même thème il y a un joli poème français par demandes et réponses 35 : Du castel d'Amours vous demanch

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g) Peut

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e) Carreaux d'arbalète. f) Regarder avec discrétion.

Qu'en des cerveaux nourris d'une semblable poésie l'idée, un beau jour, ait surgi d'identifier avec le château

d'Amour allégorique la forteresse défendue par des dames et assaillie par des chevaliers dans une bataille de fleurs, l'on ne saurait en être surpris. Cette identification, réalisée sur l'ivoire dès la fin du treizième siècle, s'est-elle d'abord produite dans quelque fête chevaleresque dont aucune chronique n'a gardé le souvenir, ou bien sous la main habile de quelque ingénieux artiste en train de décorer un coffret ou un miroir? L'une et l'autre supposition sont permises. Mais, si une telle innovation fût restée confinée dans le domaine des arts plastiques, si elle n'eût trouvé un favorable accueil dans le langage et les plaisirs de la société élégante, jamais, sans doute, on n'aurait vu les chevaliers de la reine Elisabeth défendre contre les assauts de Désir la citadelle de Parfaite Beauté. Jamais, à coup sûr, tant la survivance des idées et des usages des classes supérieures forme un élément essentiel de la tradition populaire, de « l'âme populaire » ! — jamais, à travers les riants coteaux vaudois, au temps heureux où les travaux de la campagne s'accompagnaient de perpétuelles chansons, n'eût volé de bouche en bouche et de bande en bande le joli refrain noté par le doyen Bridel et repris par M. BaudBovy:

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Château d'amour, te veux-tu rendre,

Veux-tu te rendre ou tenir bon?

ERNEST MURET.

NOTES

1. Pour que la mesure du vers soit juste, il faut élider le te ou supprimer le pas.

2. J'ai déplacé la virgule, qui, dans le texte de Bridel, se trouve non avant, mais après le mot incendié.

3. Conservateur Suisse, t. V, pp. 429 ss., à la suite de l'article sur Le Siège du Château d'amour (pp. 425-428), qui seul est signé des initiales

P. B. Dans mes citations, je me suis conformé à l'orthographe et à la ponctuation du Conservateur, les Etrennes étant très mal imprimées. 4. Daniel Baud-Bovy, Le Château d'Amour. Fête suisse. Musique de H. Bovy. Genève, 1897.

5. MM. J. Reichlen, à Fribourg, et A. Bovet, à Gruyères, et, par leur entremise obligeante, MM. F. Reichlen, Léon Remy, l'abbé Ducrest, et les deux archivistes fribourgeois, MM. Schneuwly et Remy.

6. Conteur Vaudois, 1880, no 23, p. 3. Dans un article publié en 1885 par le même journal (no 18) sur le Château d'Amour, on n'a fait que démarquer celui du doyen Bridel.

7. Copie communiquée à M. Jeanjaquet par M. Albert Henry, à Cortaillod.

8. Tome I, p. 387.

9. Trad. L. d'Hervey de Saint-Denis (Paris, 1849), I, p. 37.

10. Tome II, p. 407, art. Behourt.

11. Bulletin du Glossaire des patois, 1907, p. 13, § 9.

12. Variantes françaises et neuchâteloises dans les deux recueils du regretté Alfred Godet, Chansons de nos grand'mères (1re éd.), p. 28, et Echos du bon vieux temps, p. 49. Une version bagnarde a été publiée par M. L. Courthion dans les Archives Suisses des traditions populaires, t. I, p. 226 C'est M. S. Singer qui a attiré mon attention sur cette chanson, aussi bien que sur les poèmes allemands du Rosengarten et de la Minneburg, dont il sera question plus loin. Je suis redevable d'autres précieuses indications à MM. E.-A. Stückelberg, F. De Crue et L. Gauchat.

13. « Item dum erat proxima feria secunda post diem penthecostes fuerat hic ludus ante consistorium von dem Rosengarden... » Mention tirée des comptes du conseil de Langensalza, en 1381, par Jacobs, Rosengarten im deutschen Lied, Land und Brauche (Halle, 1897).

14. Tome II, pp. 23-24, et compte rendu du colonel Ed. Secretan, dans la Gazette de Lausanne du 10 octobre 1904.

15. Pages 184-187, sans indication de provenance.

16. Holinshed, Chronicles of England, Scotland and Ireland (1587), t. III, pp. 1315-1332. Je dois la connaissance de ce texte à l'obligeance de M. Alfred Nutt, qui a bien voulu le faire copier pour moi au British Museum. Dans l'édition de 1808, il occupe les pages 435-445 du t. IV. 17. Tome I, p. 528.

18. Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Comptes rendus des séances de l'année 1899, p. 15: « M. Müntz lit un mémoire intitulé l'Iconographie du Roman de la Rose. » Il « ne signale pas moins d'une vingtaine d'ivoires du xive et du xve siècle représentant le Siège du Château d'Amour. » La plupart sont énumérés dans les deux articles signalés ci-après (notes 19 et 20), dont les curieux pourront compléter, contrôler ou corriger les indications, en consultant: Pulzky, Fejervary Ivories

(Liverpool, 1856), no 47, le Catalogue de l'Exposition rétrospective de l'art français des origines à 1800 (Paris, 1900), nos 155, 159-161 et 165, et mes notes 21, 22, 23, 24, 25 et 27.

19. Ivoire de la collection Arconati-Visconti, décrit et reproduit par M. Marquet de Vasselot, dans la revue Les Arts, 1903, no 20, pp. 10

et 12.

20. R. Koechlin, Les ivoires gothiques, t. II, 1re partie, p. 494, de la grande Histoire de l'art publiée sous la direction de M. André Michel. 21. Coffret en os du musée de Boulogne-sur-Mer, décrit et reproduit par Viollet-le-Duc, dans son article Behourt déjà cité à la note 10.

22. Hefner-Alteneck, Costumes, œuvres d'art et ustensiles, trad. de l'allemand (Francfort s. M., 1880-97), t. III, pl. 153. Sous le même numéro et sous les numéros 156 et 161 (celui-ci décrit par M. Koechlin), on trouvera d'autres représentations du Siège. La sculpture reproduite au no 156 est peinte et dorée.

23. P. Lacroix, Vie militaire et religieuse au moyen âge et à l'époque de la Renaissance (Paris, 1873), p. 176, fig. 134: «Le prix du tournoi, d'après un couvercle de miroir sculpté en ivoire. Fin du treizième siècle. » La présence d'Amour ne permet pas d'accepter cette interprétation. On regrette que la provenance de cette pièce ne soit pas indiquée. 24. Hefner-Alteneck, pl. 161. Fr. Michel, au t. II de son édition de la Chanson des Saxons de Jean Bodel, pp. 192-193, mentionne, à propos des laisses 77-79 du poème, dont il sera question plus loin (p. 22), non seulement « les sculptures d'un coffret d'ivoire appartenant à Sir Samuel Rush Meyrick et... décrit par son possesseur »>, mais également << une miniature du célébre ms. Louterell, qui représente un château défendu par des dames armées de roses, et assiégé par des chevaliers couverts de leur armure... » Je n'ai, malheureusement, pas réussi à apprendre ce que c'est que « le célèbre manuscrit Louterell ». 25. Par exemple, les ivoires nos 93 et 94 du Catalogue de la collection Spitzer (dont la fausse attribution me rend également suspect le n° 114), et la fresque de la maison Zur Zinne, à Diessenhofen (canton de Thurgovie), décrite par MM. R. Durrer et R. Wegeli, dans les Mittheilungen der Antiquarischen Gesellschaft in Zürich, t. XXIV, fasc. 6, p. 277 (cf. pl. VIII F).

26. Ehrismann, Untersuchungen über das mhd. Gedicht von der Minneburg, dans les Beiträge zur Geschichte der deutschen Sprache und Literatur, t. XXII.

27. Rolandi Patavini Chronica (Monumenta Germanice, Scriptores, XIX), lib. I, pp. 45-46. Ce texte difficile, déjà auparavant signalé par Diez, a été traduit en allemand par M. A. Schultz, au tome I, p. 578, de son ouvrage classique, Das höfische Leben zur Zeit der Minnesinger (2e éd.; Leipzig, 1889). A la page précédente, M. Schultz a reproduit un ivoire du couvent de Reun, en Carinthie, qui représente le siège du Château

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d'Amour, et il en mentionne encore d'autres dans les notes des pages 232 et 233.

28. Littéralement, « de petites tourtes » (tortellis), suivant la définition de ce mot donnée par Papias (Ducange, 1. TORTA): « Artocrea panis carnem continens, vulgo Tortella, » Mais je crois plutôt qu'il s'agit de pâtisseries légères, de forme ronde ou annulaire, comme les gimblettes ou ces pains qu'on appelle en Savoie et en Suisse « couronnes » ou «< torches ». Sur quelques ivoires, notamment ceux qu'ont publiés M. Schultz et Lacroix (n. 23), on voit aux mains des dames assiégées des sortes d'anneaux ou de bourrelets circulaires, dans lesquels je ne puis reconnaître des couronnes de fleurs et qui pourraient bien être les tortelle de notre texte.

29. Publié, en dernier lieu, dans la Chrestomathie provençale de Bartsch, 6e édition, refondue par Ed. Koschwitz (Marburg, 1903-1904), col. 140, et dans le Manualetto provenzale de M. V. Crescini, 2e édition (Vérone et Padoue, 1905), p. 281. Si l'on avait accordé plus d'attention aux allusions politiques contenues dans cette pièce, personne ne se serait avisé d'y reconnaître un exemplaire unique d'un genre poétique dénommé carros ou carrousel.

30. Jeanroy, Notes sur le Tournoiement des dames, dans la Romania, t. XXVIII, p. 232.

31. Romans de Troie et d'Alexandre, du XIIe siècle.

32. S. Rush Meyrick, dans sa description du coffret mentionné plus haut (n. 24), d'après Fr. Michel. C'est le même qui nous apprend que le Château d'Amour «< was also termed the Castle of Roses. » Ce texte a été traduit par Fr. Michel dans l'introduction de son édition du Roman de la Rose, t. I, p. LVI, n. 1.

33. Dammann, Die allegorische Canzone des Guiraut de Calanso A leis cui am de cor e de saber und ihre Deutung. Breslau, 1891.

34. A. Thomas, Chastel d'Amors, fragment d'un poème provençal, dans les Annales du Midi, t. I, pp. 183 ss. A la page 187, il est parlé de la Cour d'Amour, publiée en 1882 par M. L. Constans.

35. Fragments d'une anthologie picarde (XIIIe siècle), publiés par A. Boucherie, dans la Revue des langues romanes, t. III (1872), p. 322. Ce poème «< est plus connu sous le nom de Demandes d'amour, » à ce que m'écrit M. A. Piaget, qui m'en signale des variantes dans trois manuscrits d'Angleterre, l'une publiée dans le Bulletin de la Société des Anciens textes français, 1875, pp. 25-26.

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