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NOTES

Le titre de fablyď donné au morceau ci-dessus ne doit pas faire croire à un apologue d'origine littéraire mis en patois. Fåblya a aussi le sens de conte populaire, facétie, et c'est bien à une composition de ce genre, recueillie dans la tradition orale de Bernex par M. Fleuret, que nous avons affaire ici. Les aventures du loup et du renard, et les bons tours joués par ce dernier à son compagnon, sont un des sujets favoris de la littérature populaire. En comparant notre récit à d'autres versions patoises qui en ont été publiées, on pourra s'assurer que, si les détails varient quelque peu, le fond traditionnel reste identique. Voir, par exemple, pour les régions qui nous avoisinent, les ouvrages de Richenet, Patois de Petit-Noir Jura), Dôle, 1896, p. 250-259, où se trouve aussi une version lorraine, et Ch. Roussey, Contes populaires de Bournois (Doubs), Paris, 1894, p. 23 et suiv.

Pour la transcription, il est à noter que a en finale atone diffère de l'a tonique non seulement en intensité, mais aussi par le timbre, plus voisin de a.

1räkontrivon. La finale -on, qui correspond au français -ent, est atone. A Bernex, tous les imparfaits de la première conjugaison sont en -iv-; on lit plus loin ratrapiv', pasivon, äpadiv', étrangliv', etc. Cette désinence ne devait appartenir à l'origine qu'aux verbes dont l'infinitif est en -i (anc. fr. -ier), comme moi, manger, baudi, bouger, kmäsi, commencer. Elle a été étendue par analogie à tous les autres verbes de la première conjugaison et a supplanté leur terminaison régulière en -av-, qui subsiste cependant dans certains patois de la région. Duret, Grammaire savoyarde, p. 42, ne donne d'amivo que comme forme secondaire à côté de la forme normale d'amavo. D'après Fenouillet, Monogr. du pat. sav., p. 64, les patois du Chablais et du Faucigny ont -iv- à la seconde personne du singulier et du pluriel et -av- à toutes les autres personnes.

2 érä. Dans le canton de Genève et dans les patois savoyards environnants, on a tiré du pluriel les reins un substantif l'érein, qui s'emploie comme équivalent du français dos. C'est un cas d'agglutination (type écornes) à ajouter à ceux énumérés dans le Bulletin, II, p. 24.

3 p'tra, du latin *péctore. L'assourdissement de la tonique, suivi du déplacement de l'accent au profit des voyelles plus sonores, se présente fréquemment dans les patois genevois. Notre texte nous offre encore les exemples òr❜lya <aurícula, l'nå < lúna, può'nå <* pullicína, v'non < véniunt.

òblyèdia. A Bernex, comme en général dans la partie occidentale du canton de Genève, les terminaisons -ia, -oua portent l'accent sur i, ou; moja, mangé, boudia, bouchée, pịa, pied, foud, feu, etc., tandis qu'à l'est, au delà de l'Arve, on a moya, bouya, pya, foua, etc. Cependant, dans le domaine de ja, qua, l'accentuation est souvent flottante et subordonnée à la structure de la phrase; -ja, -qua passent à -ya, -oua si le mot qui présente ces finales est étroitement lié syntaxiquement à un autre qui le suit: d'é mó u pịa, j'ai mal au pied, mais: u pya dra, au pied droit; na boudja, mais: na boudya d pan, etc. 5 täkt ä-n-é? litt.: est-il que tu en es? La périphrase avec est-il, abrégé en tä, est très usitée comme formule interrogative: tak to vu? veux-tu ? t ä ké vän? vient-il? etc.

6 päså t vi, dans le français populaire régional: pense-toi voir. 7 na fra, une froid. L'emploi du féminin, qui se retrouve aussi avec vó, est peut-être dû à l'influence de l'idée abstraite de froidure, chaleur.

8 glyaf. Le passage des groupes latins cy, ty à f, par l'intermédiaire de, est une particularité phonétique commune à tous les patois genevois: calceone > aufon, *dulcia > daufè, cantione > vanfon, captiare > dèfi, etc. Elle s'étend à travers la Savoie jusque dans le Bas-Valais.

9 on-n-ira. La construction avec nous pour la première personne du pluriel a à peu près complètement disparu de l'usage

dans les patois genevois et savoyards; nous chantons est rendu dans la règle par on chante.

10 aträ, trident, est un cas particulier aux patois genevois d'agglutination avec l'a de l'article féminin (type aglan, voy. Bulletin, II, p. 23). Les autres patois de la Suisse romande ne connaissent le mot que sous la forme: la trin ou la tran.

11 dalyǝ, mot usité dans toute la France méridionale pour désigner la faux (voir Atlas linguistique de la France, carte 546). En Suisse, il n'est connu que dans le territoire genevois. J. JEANJAQUET.

ETYMOLOGIES

I. Bas-valaisan garzin, eau-de-vie.

Pour désigner l'eau-de-vie en général, le Bas-Valais à partir de Sion et les vallées latérales (Bagnes, Entremont, Val d'Illiez) se servent d'un mot inconnu au reste de la Suisse romande, garzin, dont il existe aussi un dérivé garzinta, distiller, faire de l'eau-de-vie. Dans beaucoup de localités, cet ancien terme patois tend à être supplanté par le français goutte, adopté tel quel ou patoisé en gòta.

Quelle peut être l'origine de cette appellation d'apparence énigmatique? La variante égarzin, relevée à Champéry et dont l'équivalent a existé dans les Alpes vaudoises (égarzun, dans le Glossaire manuscrit du doyen Henchoz, de Rossinières), nous mettra sur la voie. Elle doit évidemment être identifiée avec les formes éguérzên (Saint-Paul, arr. Thonon), égarjhé (Sevrier, arr. Annecy) enregistrées par le Dictionnaire savoyard, et celles-ci ne sauraient à leur tour être séparées de égardin (Montricher, Maurienne) et de toutes.

les variantes analogues qui, de la Savoie jusqu'aux Pyrénées, servent à désigner l'eau-de-vie et remontent au latin aqua ardens, « l'eau qui brûle. » (Voir pour le détail Mistral, Trésor, vo aigo ardent et Atlas linguistique de la France, carte 433.) Le domaine de aqua ardens, dont le terme valaisan apparaît comme le poste le plus avancé vers le Nord, s'étend au Sud bien au delà des limites du territoire galloroman avec l'espagnol aguardiente, le portugais aguardente et l'italien acquarzente. Eau ardente a aussi été usité en ancien français pour désigner l'eau-de-vie. Godefroy, v° ardent, en cite deux exemples du seizième siècle et Du Cange, vo aqua, en a un de 1447. On peut y joindre le suivant pour notre région : pour l'eau ardent pour affeyter les bossetz neufs. (Comptes des baillis de Lausanne, 1537, dans la collection manuscrite Millioud.)

Il reste à expliquer le passage de aqua ardens au valaisan égarzin, garzin. La présence de ég' dans la première partie du mot, au lieu de la forme indigène jvouè, eau, indique qu'il s'agit d'un mot d'emprunt, importé probablement de la Savoie. Quant à la chute de l'é, c'est un cas spécial de ce que M. Tappolet a appelé la « déglutination » (v. Bulletin, II, p. 41). De même que les patois valaisans disent sans article dè vin, du vin, dè palyè, de la paille, d'ivouè, de l'eau, on a dit à l'origine d'égarzin, de l'eau-de-vie, et c'est cette combinaison, faussement interprétée en dè garzin, qui a donné naissance au substantif garzin.

Il est plus difficile de rendre compte du rapport de ardens à arzin. Il ne saurait s'expliquer par un développement phonétique, et nous pensons qu'il faut voir dans arzin une formation analogique verbale. A l'ancien infinitif ardre, brûler, on a donné jadis un participe présent arzin, de même qu'aujourd'hui à Champéry prindra fait prinzin; tò(r)drə, tò(r)zin ;

mò(r)drə, mò(r)zin, etc. Ajoutons que arzin, arzinta, existe encore comme mot isolé dans le patois actuel de Bagnes, avec le sens de mordant, bien affilé, en parlant d'un tranchant. D'après le Glossaire valaisan du chanoine Barman (manuscrit), le mot s'applique aussi dans l'Entremont à un liquide trop alcoolisé. J. JEANJAQUET.

II. lóvr (s. m.).

Ce mot, qui signifie la veillée, n'appartient qu'aux patois neuchâtelois et bernois. Pour l'idée de la veillée, les patois vaudois, par exemple, ne connaissent que l'expression la vèlya (à accentuer sur l'a final), qui vient, comme le mot français, du latin vigilata. A côté de cette expression, le canton de Fribourg (districts de la Gruyère et de la Veveyse) possède un mot vieilli alå in vla = aller en ville, où villa signifie encore village. Cette locution a donc probablement été employée d'abord par des gens qui demeuraient dans des fermes distantes du village. Le Jura bernois emploie une locution tout analogue: alè an vèl', qui signifie faire une visite de jour, tandis que alè a lóvr désigne la visite nocturne (voir Daucourt, Noëls jurassiens dans les Archives des traditions populaires, III, p. 51). Nous assistons là à une différenciation basée sur l'existence de deux termes à peu près synonymes.

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Dans les patois neuchâtelois, nous trouvons les formes suivantes: la lavr, ala u lavr, la lavrèy la soirée, veillée (au lǝ Val-de-Ruz); à Cressier: la lævr = fréquentation nocturne entre amants; à la Sauge: la louvrèy soirée (Urtel, Beiträge zur Kenntnis des Neuchateller Patois, p. 62); à la Montagne : ala a louvr - aller à la veillée, la louvréy, louvra = veiller, lè louvrtè (proprement les louvrettes ») = nom d'une petite société qui se réunissait vers 1857, à la Chaux-de-Fonds, pour discuter des travaux d'utilité publique. On appelle aussi ‘lou

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