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qu'il est intéressant de rapprocher de la chanson si connue: Mon père avait cinq cents moutons, j'en étais la bergère, le loup m'en a pris quinze; le fils du roi vint à passer, m'a rendu ma quinzaine. · Belle que me donneras-tu ?- Quand nous tondrons nos blancs moutons, vous en aurez la laine. Ce n'est pas la laine, c'est ton petit cœur, bergère, que je veux. - Mon petit cœur n'est pas pour vous, il est pour Pierre que j'aime. (Savoie.)

Ces comparaisons, qu'on pourrait et qu'on devrait multiplier dans un travail plus approfondi, aboutiraient aux conclusions suivantes : D'assez bonne heure et non loin de son pays d'origine (si celui-ci est en effet le Forez) la Pernette a glissé quelques-uns de ses vers dans des chansons, pastourelles ou chansons de filles à marier; celles ci ont réagi sur une Pernette tronquée et, en échange d'une strophe, lui ont rendu un couplet adventice. Si cette supposition est hasardée, un exemple final fera voir qu'elle est au moins plausible. Il existe de La claire fontaine une version que j'abrège :

En revenant de noces, j'étais si fatiguée
Qu'auprès d'une fontaine je me suis reposée.

Au bord de la fontaine croissait un peuplier,
Sur la plus haute branche un rossignol chantait.

C'est pour mon ami Pierre qui ne veut plus m'aimer.

L'ami Pierre est emprunté à la Pernette, cela ne fait pas de doute, et peut-être à la Pernette que caractérise ce vers:

Et sur la même branche nos deux corps s'uniront.

La claire fontaine, à son tour, s'est trouvée en rapport avec la ritournelle militaire la Jeannette1 et lui a donné l'équivalent de ce que la Pernette lui avait prêté :

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Nous te marierons
Ou celui d'un baron.

Ni même d'un baron.

Qui est dans la prison.

-

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Ne pleure pas, Jeannette, Avec le fils d'un prince Je ne veux pas d'un prince Je veux mon ami Pierre Tu n'auras pas ton Pierre-Nous le pendouillerons. Si vous pendouillez Pierre, — Pendouillez-moi-z-avec. Et l'on pendouilla Pierre, — Et la Jeannette aussi. Sur la plus haute branche Le rossignol chanta : « Ne pleure pas, Jeannette, - Nous te marierons.... » Ainsi, en étudiant les chansonniers populaires, nous voyons les chansons se transformer, se décomposer, se contaminer, se reconstituer sans cesse. Même les plus beaux morceaux ne sont pas épargnés. La Pernette fribourgeoise n'a conservé, assez bien du reste, qu'un fragment de l'original; l'entrée en matière est empruntée à un autre groupe de chansons, le refrain est encore d'origine différente. Comme c'est généralement le cas, la petite poésie a beaucoup perdu en voyage; seule la reconstruction de M. Doncieux, citée plus haut, en fait goûter tout le charme primitif.

W. HIRSCHY.

1 Chanson recueillie au service militaire et que tous les soldats neuchâtelois connaissent. Elle dérive de versions franco-provençales et n'a pas suivi le même chemin que La Pernette fribourgeoise.

TEXTE

La pir də mlain.

CONTE EN PATOIS DE PLAGNE (JURA BERNOIS.).

Sãe da Kòr an ain mäer

Kɔ nɔ pà pu rò bãer ;

O sòli a n y a pè gró mó :

Pòr ain măr, s n é pè ain défő.
O la kòvrè a-l-a parju la tét,
San pòr sòli ò-n-étrɔ mant pu bét.
Tòt u hó d la montain,

Pòr ain tò na məlain,

LA MEULE

Ceux de Court ont un maire qui ne peut plus rien boire; à cela, il n'y a pas grand mal: pour un maire, ce n'est pas un défaut. A la corvée, il a perdu la tête, sans pour cela en être beaucoup plus bête. Tout au haut de la montagne, pour un

Note de la Rédaction. On raconte dans le Jura bernois les fameuses histoires de Gribouille, de la vache qu'on étrangle en la hissant au haut d'un clocher où croît une belle touffe d'herbe, de la graine de poulains, etc., en les mettant sur le dos des voisins, ici les habitants de Court. Parmi celles de ces facéties que notre excellent correspondant, M. Grosjean, a mises en vers, nous choisissons l'histoire, très répandue, du maire qui passe sa tête dans le trou d'une meule qu'on fait rouler du haut de la montagne pour pouvoir signaler l'endroit où elle s'arrêtera. Le patois de Plagne est intéressant à plusieurs égards: il forme la transition entre le type jurassien et ceux du canton de Neuchâtel; il renferme un grand nombre d'archaïsmes et de germanismes très curieux. Nous rendons par ain une diphtongue nasale unissant an et in avec leurs intermédiaires en une émission de voix.

D ain véy grijon săe d Kòr prụrain la pīr,
Por fèr en mal. A n savain d két manir
O pyãe la pròr avó:

O-l-arãe trò də mó

Auā ain tchèr; la tcharér, bain trò rồi,

Nalae pè u bó do la kết ;

Pòr a dò la pòrtè,

Ani fayãe pè muzè,

Y ếtāe bain trò pā qan-n;

O la yǝdjan, a fòdrae bain la snan-n,
Pòr ò vǝni a bou,

A pà sòli étae bain trò dondjrou.
A désidirain, tò drā, də la bèkyi
Avó la kot. Pòr la bain diridji,
A pòr savae ouvé la rǝtròvè,
Kan i saràe arivè tòt u bè,
Kékain dava pròr pyas

Dan la partu d sal mas.

La mãer sa dévoua.

La mal drasi, dǝdan a sə

fora,

tout nouveau moulin, d'un vieux granit ceux de Court prirent la pierre pour faire une meule. Ils ne savaient de quelle manière ou pouvait la descendre (prendre en bas): on aurait trop de mal avec un chariot; la route, beaucoup trop rapide, n'allait pas au haut de la forêt; pour la porter à dos, il n'y fallait pas penser, elle était beaucoup trop lourde; en la glissant, il faudrait bien la semaine pour en venir à bout, et puis cela était beaucoup trop dangereux. Ils décidèrent aussitôt (tout droit) de la rouler en bas la côte. Pour la bien diriger, et pour savoir où la retrouver, quand elle serait arrivée tout au bas, quelqu'un devait prendre place dans le trou de cette masse. Le maire se dévoua. La meule dressée, il se fourra dedans, et puis en bas,

A pà avó, kontrǝ you'r bé vəlèdj,

A lansirain, ò karyan « bon vouayèdj, »
Mal avae prézidan.

Ran tan plan, ran tan plan,
Sòli fò dainch avó la kot
I vò-z-è dae k yér rồt! —
A-l-akoutirain londjamò.

Tò bru pyaka, ò n òyãe rò.
Lǝ mãer davã, arivè chu 1 tchanpay,
Karyè bain fòr, pòr ka tò lǝ mond ay
La rǝtròvè la ddò,

Tòt u fain fon du bò.

O déchòdan avó la næv tcharér

Ka vè kontra la prér,

>>

Lé-z-òm də Kòr, chu lé pio, chu lé man,

Fuain, sótain, ravizan, akoutan,

Tròvan k lǝ mãer davae bayi siny d vi3,

Ka-l-alae lon dəvan d'òyu hatchia.

Kan a furain u fon,

A s murain pòr də bon

dans la direction de leur beau village, ils lancèrent, en criant: < Bon voyage! » meule avec président. Ran tan plan, ran tan plan, cela fit un tel bruit en descendant la côte, je vous ai dit qu'elle était rapide! Ils écoutèrent longtemps. Tout bruit cessa, on n'entendait rien. Le maire devait, arrivé sur le pâturage, crier bien fort pour que tout le monde aille le retrouver là-bas, tout au fin fond du bois. En descendant le long de la nouvelle route, qui conduit à la carrière, les hommes de Court, sur les pieds, sur les mains, couraient, sautaient, regardant, écoutant, trouvant que le maire devrait donner signe de vie, que cela (il) allait long[temps] avant qu'on entende hucher. Quand ils furent au fond, ils se mirent pour de bon à chercher

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