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RITOURNELLE PATOISE

SUR LES NOMS DES JOURS DE LA SEMAINE

Le refrain populaire patois ci-dessous nous a été communiqué en 1904 par un correspondant du Glossaire, M. R. Chassot, qui l'avait noté à Villargiroud, dans le district fribourgeois de la Glâne :

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Lé rakontra Marian-na dəmikrou, J'ai rencontré Marianne mercredi,
Ko pòrtavè a vandr on kraviyou.
Dəmikrou, on kravi̟you, etc.

4.

Lé rakontra Marianna dǝdza,
Kǝ pòrtavè a vandrə din-j-ā.

Dɔdzā, din-j-ā, etc.

5.

Qui portait à vendre un couvercle.
Mercredi, un couvercle, etc.

4.

J'ai rencontré Marianne jeudi,
Qui portait à vendre des œufs.
Jeudi, des œufs, etc.

5.

Lé rakontra Marian-na dəvindrou, J'ai rencontré Marianne vendredi, Ko pòrtavè a vandr on chindzou. Qui portait à vendre un singe. Vendredi, un singe, etc.

Davindrou, on chindzou, etc.

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Cette petite composition appartient à un genre bien connu dans la littérature populaire orale, celui des énumérations en série progressive, à laquelle une formule constante quelconque sert chaque fois d'introduction. Ici ce sont les noms des jours de la semaine, accouplés chacun à un autre mot formant assonance, qui constituent la kyrielle croissante. Nous ne saurions dire, faute de moyens d'information suffisants, si cette ritournelle a été signalée ailleurs qu'en Suisse. Ce qui est certain, c'est qu'elle n'a pas pu être empruntée au français ni se répandre par son intermédiaire, puisque la terminaison uniforme du français lundi, mardi, etc., détruirait la base même de l'agencement de notre texte patois. Son origine doit être cherchée dans la partie du domaine gallo-roman qui a adopté le type de formation dies lunae au lieu de lunae dies pour les jours de la semaine. On sait qu'en Suisse romande les patois du Jura bernois sont seuls d'accord à cet égard avec le français. Partout ailleurs on a dǝlon, dǝmar, etc.

La chanson sur les jours de la semaine paraît particulièrement répandue dans le canton de Fribourg. M. J. Reichlen l'a publiée

avec la mélodie dans ses Chants et coraules de la Gruyère, p. 72-73, et un ancien correspondant du Glossaire, M. le Dr Nicolet, l'a aussi recueillie à Farvagny. Abstraction faite des particularités de dialecte, ces deux textes diffèrent fort peu de celui de Villargiroud. Ils s'accordent à donner pour assonance à dəmi̟krou, dou tri̟dzou « du triège », au lieu de on krəvizou, et la variante gruyérienne a pour refrain Tinka Madǝlon « Voilà M. », qui sert aussi de titre. Mais à côté de la version fribourgeoise, le hasard des recherches nous a fait connaître deux autres rédactions patoises, qui attestent que cette chanson n'a pas seulement un caractère local et qu'elle est ancienne dans le

pays.

Nous tenons de M. le Dr H. Stauffer, à Neuchâtel, une variante neuchâteloise que sa mère aimait encore à répéter, et qui, paraît-il, faisait la joie des veillées de fileuses aux Verrières vers 1840. Le texte est très voisin de celui de Villargiroud; quant au patois tel qu'il nous a été prononcé, il est passablement francisé.

I.

Dlon i rankontrāv ma mī,

Ki portiv1 vindr d l'ònyon,

Dlon d l'ònyon.

1.

Lundi je rencontrais ma mie

Qui portait vendre de l'ognon.
Lundi de l'ognon.

Atsī vò, ma mi, jukank3 a dəman! Adieu, ma mie, jusqu'à demain !

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1 Forme inexacte pour portāv, par confusion avec les imparfaits des verbes

en i.

2 Formule de salutation, contractée de A Dieu soyez-vous !

3 Contamination de jusqu'à et tant qu'à, qui avait le même sens.

Dmindz dé mindz,

Dsand' dé sandr1,

Dvindr dé dind,

Djœ dé-j-ά,
Dmēkr kouvěky,

Dmoué du byé,

Dlon d l'ònyon.

Dimanche des manches,

Samedi des cendres,

Vendredi des dindes,

Jeudi des œufs,
Mercredi couvercle,
Mardi du blé,

Lundi de l'ognon.

Atsī vò, ma mī, jukank' a dəman! Adieu, ma mie, jusqu'à demain !

La version valaisanne que nous a transmise M. Maurice Gabbud, à Lourtier, a été recueillie par lui à Verbier (Bagnes), où elle est courante. Le texte est altéré, des formes étrangères au patois local trahissent l'importation et la plupart des mots en rime n'ont plus aucune signification. Mais le sens joue un rôle si secondaire dans les productions de ce genre que sa disparition ne nuit pas au succès. On se contente du cliquetis des assonances. On y prend même tant de plaisir que le jeu a paru trop court et qu'on l'a prolongé par l'addition de nouveaux couplets sur les mots « semaine », « mois », « an» et << siècle ». A remarquer aussi que la première syllabe de dǝlon, dəmā, etc., disparaît dans le refrain.

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1 Forme française amenée par la rime.

2 Surnom donné aux libéraux dans les luttes politiques du Valais et qui

signifie proprement accrocheur.

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