Page images
PDF
EPUB

semble être attesté dans la glose latine: squilla genus piscis est optimi et delicati, quem vulgo vocamus iotam, que M. Wessner, Arch. f. lat. Lex. XIII, 279, propose de reconstituer en lotam.

II. Vaud. motaila (Bridel), motaila (Chenit), motäla (Vallorbe), frib. movåla (Portalban), mótè̟ila (Sugiez, Fankh.). C'est le lat. mustela « belette », qui continue à vivre dans les patois de l'Est et du Midi de la France 1. Les pêcheurs sont unanimes à déplorer l'appétit féroce de ce poisson carnassier, qui, guettant sa proie comme une belette, est toujours prêt à fondre sur l'objet de sa convoitise et cause des ravages considérables parmi les chabots, les jeunes truites et les jeunes féras et bondelles de nos eaux suisses'. Il est cependant curieux de constater que, selon Rolland III, 137; XI, 155, 212, 220, mustela ne désigne pas dans les patois français la lotte, mais surtout des variétés de l'espèce cobitis (la loche franche): en effet, Conrad Gessner, qui a eté professeur à l'Académie de Lausanne, de

1 Voir Atlas linguist., carte belette, anc. fr. moustoile (God.), anc. prov. mostela (Levy), sans relever les nombreuses formes dialectales recueillies dans les dictionnaires. Le lexique latin nous offre déjà mustela pour désigner un certain poisson, sans que les gloses nous renseignent exactement sur l'espèce dont il s'agit (v. Corp. gloss. lat. III, 89, 16: mustela: ṛaτoç); déjà Pline, Hist. naturalis, livre IX, c. 29, vante la délicatesse du foie de la mustela du lac de Constance: proxuma est mensa jecori dumtaxat mustelarum, quas (mirum dictu) inter Alpis quoque lacus Rhaetia Brigantinus æmulas marinis generat. Et l'auteur du beau poème qu'est la Mosella nous dépeint notre poisson (mustela) de la manière suivante :

quis te naturae pinxit color! atra superne
puncta notant tergum, qua lutea circuit, iris
lubrica caeruleus perducit tergora fucus:
corporis ad medium fartim pinguescit, at illinc
usque sub extremam squalet cutis arida caudam.

Ausone, Mosella, v. 110 ss. Mon. Germ. hist. Auct. antiqu. V, 89. 2 C'est pour cette raison, sans doute, qu'on donne à la lotte au Lauraguais (Gascogne) les noms de loup, gendarmo (Rolland III, 109).

3 Mais c'est peut-être aussi la coloration du poisson, en dessus grise, fauve avec des taches irrégulières, qui lui a valu son nom; cf. motellā <«< tacheté », Wissler, Volksfranzösisch, 82.

4

Burgundi et alii minimum etiam pisciculum fluviatilem (quem supra

1537 à 1540, cite comme nom de la loche le nom motella, qui, dans ce sens, est resté vivace sur les bords du Léman.

Rien n'empêche donc de supposer qu'avec l'immigration relativement récente de la lotte dans le bassin du Léman, le nom de mustela, qui désignait la loche chez nous, comme dans tout le reste de la France, a passé à la lotte1 à une époque qui reste encore à déterminer 2.

La carpe, cyprinus carpio, offre en français, comme dans les patois romands, des formes où manque la palatalisation de

descripsimus inter gobios, Cobitidis barbatule nomine, fundulum aliqui vulgo vocitant, Germanici nominis imitatione, mustelam appellant, nec immerito aliquis mustelam minimam nominarit. De hac, vir quidam literatus Lemani lacus accola, his verbis nuper ad me scripsit : motella (sic vulgus profert pro mustela) dictus pisciculus, magnitudine fere piscis chassot (id est gobii capitati) cinerei est coloris et stellis insignis, in deliciis maxime, et propter caritatem a divitibus tantum delicatulis emitur. (Historia animalium, IV, p. 714. Tiguri (1568), v. Forel 333.

1 Le passage des noms de poisson d'une espèce à l'autre représente un phénomène fréquent dans l'onomastique ichthyologique: la lotte <«<lota vulgaris » désigne la loche « cobitis barbatula » dans la Vienne et à l'embouchure de la Mayenne (Rolland III, 137), tandis que la loche «< cobitis barbatula» serait le nom de la lotte dans les lacs jurassiens (Rolland III, 109). Pour d'autres exemples, v. Schuchardt, Z. f. rom. Phil. XXXI. 641.

2 La jeune lotte porte dans les patois alamans les noms de Schlängli, Id. IV, 472, Moserli, Id. IV, 472, Wellfisch, Id. I, 1105; le poisson adulte a reçu le nom. de Quappe, Fatio 469, sur les bords du lac de Constance, tandis que les autres dialectes de la Suisse l'appellent Trische, Treusch, Trüsche, Trischeln, Treische, Schwarztrische (Fatio V, 469, et v. la monographie sur la lotte («< Trüsche ») dans Schw. F. Ztg. I, Beilage 2 zu no 10, no 13 zu no 22). A Gléresse (lac de Bienne): trīšša (Fankh.). Ce dernier mot doit évidemment remonter à la même base que trinscia (Fatio V, 469) du lac Majeur, et string, strinzàl, << pesce del genere dei ghiozzi, ma più piccolo; ghiozzo ancora giovane » du lac de Côme (Monti, Cherubini): la forme Trüsche s'expliquera par la vocalisation de l'n devant s, qui est un phénomène particulier à un grand nombre de nos patois alamans. Mais il est curieux de constater l'existence d'une forme trisca dès le onzième siècle, dans une liste de poissons qu'Ekkehard IV établit pour le monastère de Saint-Gall (Liebenau, 39-40). Il m'est impossible d'aborder ici l'examen des autres noms tessinois de la lotte.

ca

' (carpe, carpa1 au lieu de charpe, tsarpa): le mot n'appartient guère au vieux fonds du vocabulaire gallo-roman. Let résultat de l'examen phonétique est donc en parfait accord avec l'hypothèse des naturalistes, qui admettent la migration du poisson (et de son nom) partant d'un centre d'irradiation oriental inconnu: nous ignorons à quelle langue il faut attribuer le mot carpa, qui se retrouve aussi bien dans les langues germaniques que dans celles du groupe slave 2.

Restent onze espèces lacustres indigènes, ou dont l'introduction par immigration ou par importation doit être en tout cas très ancienne: la perche, la tanche, l'ablette, le rotengle, le gardon, la chevaine, la féra, la gravenche, l'omble-chevalier, la truite, le brochet, et six espèces fluviatiles indigènes, qui arrivent plus ou moins souvent jusque dans les eaux du lac: le chabot, le goujon, le spirlin, le vairon, la loche, l'ombre.

Passons d'abord à l'examen des noms du dernier groupe, que les naturalistes rangent parmi les espèces erratiques.

Le chabot, cottus gobio, vaud. tsaso (Vulliens, Penthalaz, Bière, Oron, Montherond), -cho (Château-d'Ex), genev. séðo (Aire-la-Ville), frib. tsacho (Gruyères), chatso (Lessoc), tsaso (Romont, Montbovon, Sales). Nous lisons dans la carte du syndic Jean du Villard, de Genève, en 1581: Le chassot est en sa saison au mois de Febvrier (Forel 331); Bridel offre:

1

A Sugiez (lac de Morat), M. Fankh. a noté la forme kārfo masc., qui a subi l'influence de l'allemand dər kārpf, masc. (Douanne).

2 Cf. Thesaurus L. lat., s. carpa, Thomas, Rom. XXXVI, 93, MeyerLübke, Et. Wtb. s. carpa; Schrader, Reallexikon, s. Karpfen, qui suppose à tort l'existence de débris de la carpe dans les palafittes de Moosseedorf (près de Berne) et de Robenhausen (Zurich), cf. Forel 61. Le premier témoignage de carpa dans les patois romands nous est conservé dans la liste de vente, rédigée en latin, des poissons de Villeneuve, de 1376: carpe [génitif] (Forel 334). Peu après, les comptes de dépenses du château de Ripaille mentionnent: 30 corpes, que l'éditeur, M. Bruchet, propose de lire: carpes (p. 315, a. 1381 et Gloss.). Le Glossaire offre corpa « carpe » aussi pour le patois du Vully (Frib.). - Les patois allemands ont karpfen (< karpo -on masc., Id. III, 477), et cùrpan (Monti), mil. carpen (Cherubini) sont usités sur les bords des lacs italiens au pied des Alpes centrales, v. aussi Rolland III, 148.

tsassot, tschasso, setzot, séchot, séchau « chabot »1 (353, 388), avec le dérivé tsassota « aller à la pêche des chabots avec un filet appelé chassotière» (Genève). La tête massive, large et déprimée qui caractérise le poisson explique aisément les noms de grosse tête à Metz, tête d'âne, têtard dans diverses provinces françaises (v. Rolland III, 174) et de même le chabot de la langue littéraire, lequel, d'origine méridionale, semble avoir remplacé un plus ancien chevot, dérivé de caput. Pour refaire l'histoire du mot romand, il ne faudra peut-être pas oublier le fait que le même poisson porte le nom de scazzun dans le val de Poschiavo et que le même vocable se retrouve sur les bords du lac de Côme sous la forme de scazòn « sorta di pesce del genere dei ghiozzi, cottus gobio» (Monti). Je ne saurais reconnaître d'autre étymologie possible pour les formes lombardes que celle qui prendrait comme point de départ le substantif com. scazòn « cazzuola », caza << creuset » (Monti), tosc. cazzuola (< cyathiu). En effet, le toscan cazzuola sert à désigner aussi « la larve de la grenouille », caractérisée par sa grosse tête et

1 Ces formes de la rive droite du Léman semblent être en désaccord avec celles de la Savoie : sassò s. m. « chabot » et sassotā « fouiller les pierres ou la vase pour en faire sortir les sassò»: Les premières remontent à un ca initial, les dernières à sa. Les formes genevoises sèchot, setzot et le verbe séchoter « prendre des s. », relevées par Bridel et Humbert, et saçho (Const. et Dés.), représentent peut-être une étape intermédiaire entre le vaud. tsaso et sav. sassò : est-il permis de postuler une métathèse consonantique entre ts -s > s - ts (conservée dans le fr. popul. de Genève sous la forme: séchot, cf. la forme de Lessoc, citée ci-dessus) et l'assimilation postérieure de l's intérieure à l's initiale? Ce qui me frappe, c'est que la forme sassot se retrouve, d'après Fatio IV, 107, dans le français local de Neuchâtel; faudra-t-il admettre encore ici la même évolution phonétique que pour la forme savoyarde, tandis que Razoumowski dans son Histoire naturelle du Jorat I, 126, 1789, prétend que chassot est le nom du poisson le long du lac de Neuchâtel? Comment interpréter d'autre part chassu (Bourget) «chasseur, poisson de la Leysse, servant d'amorce » (Const. et Dés.)? Est-ce le même poisson que le sassò?

Dict. gén. s. v., P. Barbier fils, Rev. de phil. frç. XX, 111.

3 Le mot tétard désigne aussi le chabot, v. Rolland III, 174, et l'un

son menu corps. Or, la larve de la grenouille est connue en français sous le nom de têtard, qui, comme nous venons de voir, est précisément l'un des noms provinciaux du chabot; scazzon aurait servi à désigner le chabot pour les mêmes raisons que l'it. cazzuola a été appliqué à la larve de la grenouille en Toscane1. Mais il subsiste de sérieuses difficultés que je m'empresse de signaler.

[ocr errors]

Si, dans l'Italie septentrionale, la base cyathiu jouit d'une grande vitalité jusque dans les dialectes modernes, il faut dire que, pour la Suisse romande et la Savoie, Bridel et ConstantinDésormaux se bornent à enregistrer le seul cassa (sav. cassa, cafe) poêlon, vase de cuivre étamé, grande cuiller de métal pour puiser l'eau dans les seilles de cuisine, poêle à frire », qui, par l'absence de la palatalisation ca (> ts), se révèle plutôt comme un emprunt fait au vocabulaire piémontais ou provençal (cf. aussi frç. casse, Dict. gén. s. v.). Pour maintenir

des noms savoyards du chabot est têtu ou têtard (Fatio IV 107. Const. et Dés. s. v.). A Yverdon, on appellerait le chabot: tête à maillot (Humbert, s. séchot), à Neuchâtel: tête à mailloche (Jeanjaquet), dont l'explication est donnée par l'existence de malyé «têtard » dans les patois vaudois.

1 Le têtard est souvent comparé à la truelle ou à la cuiller: gallic. culleres « têtard » (Piñol), valais. culyerèta « têtard » (= « cuillerette »), v. Atlas. linguist. c. têtard, Vallée de Non (Tyrol) kjážole « têtard », v. Ettmayer, Zeitschr. f. rom. Phil. XXXIII, 602, qui doit être rapproché de cazza. Au milieu des noms des reptiles du Laterculus, cités plus haut, nous rencontrons aussi le nom de popia (Rom. XXXV, 167), qui s'est conservé, à mon avis, dans le sav. poche « têtard de grenouille » (Const. et Dés.), Jura bernois potchat, identique sans doute avec poche << cuiller à potage » (v. Cornu, Rom. XXXII, 126). Pour d'autres exemples, v. maintenant Rolland XI, 122.

2 Pour la famille de cyathiu, dans l'Italie supérieure: v. anc. lomb. caça « tazza, ramajuolo », caço « catinello », Salvioni, Arch. glott. it. XII, 393; XIV, 206; anc. gén. cassola, Parodi, Arch. glott. it. XV, 53 ; anc. tess, cazolo « mestolo », Salvioni, Bollett, storico della Svizz. ital. XIX, 149, sans parler des formes modernes; v. aussi Lorck, Altbergam. Sprachdenkm. 191; dans les patois méridionaux, v. anc. prov. cassa « poêlon, grande cuiller » -ola (Levy); en outre: casso dans Mistral et Atlas linguist., c. cuiller.

« PreviousContinue »