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enfin à Ayent et Arbaz1. Le changement de st en est constaté dans toutes ces localités, hormis les cinq communes de la Noble Contrée, où a prévalu let commun à tout le reste du Valais. On trouvera plus loin le détail de ces faits, avec l'indication de mes sources et la preuve de mes allégations. Or, à l'exception d'un seul, tous les noms de lieu dans lesquels un p, un t, un c initial nous apparaissent semblablement modifiés par la liaison avec une s finale, ont été recueillis au-dedans des limites qui circonscrivent l'aire de chacune des modifications observées dans le corps du mot. L'unique exception tout à l'heure mentionnée est du petit nombre de celles qui confirment la règle. Dans la commune de Granges, située entre Sierre, Lens et Chalais, il y a un lieu dit i horbè, où l'on reconnaît sans peine notre substantif féminin « courbe ». Le lieu dit a l'èkala, prononcé l'èhala par les habitants de Chalais et les vignerons anniviards de Sierre, les prononciations èkòrtchyè, <écorcher (d'où le lieu dit a l'èkòrtya), et èkaouva, « balai », notées à Granges par M. Jeanjaquet, témoignent que le groupe sk n'y est pas changé en h. Mais les vignes des Horbes, situées aux confins des communes de Granges et de Chermignon, appartiennent à des montagnards, dont la façon de prononcer ce nom s'est imposée à leurs voisins de la plaine.

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A l'occident, la limite entre l'fd'amont et le p d'aval, attestés d'une part par le mot èfina (spina) d'Ayent, de l'autre par le lieu dit ij èpini, à Grimisuat, coupe une vaste étendue de prés situés aux confins de ces deux communes et dénommés par les Ayentots i fris, par les habitants de Grimisuat i pris. A l'orient, l'h et l'f issues des groupes sk et sp débordent la frontière

1 Commune et paroisse séparée au xixe siècle de celle d'Ayent.

2 M. Jaccard (p. 209) croit reconnaître une permutation de k en h dans le lieu dit aux Hornes, à Gryon (Vaud). Mais l'h n'est ici que graphique. Si je suis bien informé, elle ne fait pas obstacle à la liaison de l'article avec le substantif, qui n'est sans doute pas autre chose que l'afr. orne.

actuelle des langues romanes et germaniques et se continuent en bouche allemande, dans quelques noms de lieu romands des communes de Sierre 1, Sarquène 2, Varonne, Louèche-laVille, Louèche-les-Bains et Albinen. Dans ces noms de lieu, germanisés au XVe et au XVIe siècles, dans les noms de famille et dans quelques mots usuels se retrouvent, sous des formes archaïques, les traits caractéristiques des patois actuellement parlés dans la Contrée de Sierre. Au ts romand, continuateur d'un latin palatalisé avant a, y correspond habituellement l'une des consonnes tch ou ch3, tandis que le s germanique

1 L'ancienne population de Sierre est de langue allemande. Mais la plupart des Anniviards y ont des habitations et s'y transportent en masse au printemps et à l'automne pour le soin de leurs vignes. Le français est de plus en plus la langue prédominante: les plans du cadastre, établis en 1903, sont en français.

* Officiellement Salquenen, en français, et Salgesch, en allemand; dans les patois romands d'alentour, chūrkè̟no. La forme française Sarquène, employée quelquefois dans la première moitié du XIXe siècle, est bien préférable à l'hybride Salquenen et mériterait d'être remise en usage.

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3 Sierre: Champêtre, 1903, all. tchampè̟trò, a tsampéðró (Anniviards); Tschétroz, 1903, all. tchyètró, a tséħro (Gilliéron, Glossaire de Vissoie) ou tsedró (patois d'Ayer). Sarquène: Tschallong, 1904, Champs-longs, jetzt Schalong, 1851 (cf. le l. d. chālon-ǹ à Bramois, francisé en Jalon); Tschenderen, 1904, Tschentern, 1851; Schachtalar, 1904, Chachtelar, 1851; Schampedu, 1904, Champ-petû, 1851; Schampitro, 1904; Schanderuno, 1904, Champs de Rhône oder Schanderunen, 1851; Scharsu, 1904; etc. Varonne Flantschang (cf. p. 64), Glotscheten, Grandschang, Gulantschi, planitchat, Plantscheten, Praderotschi, Tschablen, Tschabonetta, Tschampitren, Tschanen, Leischier, etc. Louèche-la-Ville: Meretschen, Trutschard, Tschablo, Tschenifieri, Tschüdenet, Roschetten, etc. Louèche-les-Bains, 1881: Tschablen, Tschalmeten, Schachtalar, léichīr (cf. lēcha, « marais »), Albinen, Inden, 1895: Tschablen, Tscharboniry, Tschareien. 1881 Rotschy, Tscherminong, Schamonieren, etc. Noms de famille : Witschard (Louèche-la-Ville); ma-ntchèt, à Varonne, ma-nchèt, à Inden (écrit Mayenzet). — Il faut signaler encore le curieux verbe tchāne, qui signifie « ramasser la feuille du chêne pour en faire de la litière ».

etc.

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Sur les conditions linguistiques de la commune de Bramois (près de Sion), mentionnée ci-dessus et plus loin, voyez Zimmerli, Die Sprachgrenze in Wallis, pp. 26 ss.

est demeuré intact dans tous les patois allemands du Valais'. Preuve évidente, preuve décisive que le ts franco-provençal n'est qu'une modification récente du tch prononcé en français jusqu'au XIIIe siècle et continué par notre ch moderne ! J'ai dit tout à l'heure que, dans les patois romands voisins de la frontière des langues, une s est issue de la liaison du c palatalisé avec une s finale. Le remplacement du tch normal par ch, qu'on remarque dans maint nom de lieu germanisé du district de Louèche, ne serait-il pas un effet de la même cause? Supposerons-nous que l's romane résulte de la liaison avec ts ou avec tch? Ce sont là des problèmes difficiles, dont la solution n'importe pas à mon propos et que je n'entreprendrai pas de discuter ici. L's romane apparaît, d'ailleurs, dans les lieux dits Maressen, à Louèche-les-Bains, et en Maressi, mentionné à Sierre en 1812; mais je n'en connais aucun exemple à l'initiale du mot.

L's dont la liaison avec l'une des consonnes initiales p, t, c a donné lieu aux modifications étudiées dans le présent mémoire, peut être la désinence d'un adjectif qualificatif accordé avec le substantif suivant au pluriel, ou d'un substantif au pluriel accompagné d'un déterminatif quelconque. Ordinairement c'est l's de l'article joint à un substantif au pluriel. Dans la prononciation du lieu dit ei flandòrens, à Evolène, se font sentir les doubles effets de la présence de l'article et d'un qualificatif précédant le substantif « torrents ». Je ne connais que deux cas où l'initiale modifiée apparaisse dans un nom de lieu du singulier les lieux dits a la sèvalir (ou səvalṛr), à Evolène, et a la hondamina, à Chermignon. Cette anomalie se justifie aisément,

1 Voir les formes patoises du mot zeit, énumérées par M. Zimmerli, op. cit., p. 127. Le c latin palatalisé avant e et i est également représenté par ts dans les lieux-dits Zenglen, à Louèche-les-Bains, et tsingle, à Varonne (cingula).

2 Cf. pp. 73 et 78. Je ne connais pas la Houmaz, que M. Jaccard (p. 209) mentionne comme lieu dit d'Ayent et qu'il identifie avec l'appellatif «< combe », en supposant, contre toute vraisemblance, une influence de la forme germanisée kumme.

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en supposant que le singulier actuel est issu d'un pluriel antérieur. L'agglomération et le morcellement alternatifs de la propriété foncière font souvent passer d'un nombre à l'autre les noms de lieu, dont beaucoup varient, dans l'usage actuel des campagnes, selon qu'on désigne le lopin d'un seul propriétaire ou l'ensemble des propriétés du même nom. Cette considération rend également compte, sans qu'il faille recourir à l'hypothèse d'une dissimilation préventive, du sort différent des deux initiales dans les noms composés i flamprặs, à Chalais, et ei flantorens, à Evolène. Ce devaient être, à l'origine, des singuliers, qui, en passant au pluriel, ont été traités comme des mots simples, à la façon du français « plafond », où ce n'est qu'à la réflexion que nous reconnaissons un composé. La différence entre les lieux dits flantòrens et flandòrens fait pendant à celle de nos pluriels << plafonds » ou « aubépines » et « bonshommes » ou petits-enfants ».

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Le polymorphisme des consonnes initiales, tel qu'on l'observe dans les parlers sardes et italiens, répugne au français et à nos patois, qui n'admettent de variation syntaxique qu'à la fin du mot, selon qu'il est indépendant ou lié à un autre et que le mot suivant commence par une voyelle ou par une consonne. Pour que, dans les groupes syntaxiques illas primitias, illos pratos, illos planos torrentes, illos campos, illas cumbas, les consonnes liées sp, st, sc aient éprouvé les modifications en train de s'accomplir dans les mots spina, crista, musca, scopa et autres semblables, pour que, dans les patois d'Hérens, d'Anniviers, de Lens, de Chalais, d'Ayent, à Blonay (Vaud) et dans tout le canton de Fribourg, le pronom « tu» ait reçu dans la phrase interrogative une forme nouvelle, dissérenciée de la normale par l'effet de sa liaison constante avec l's finale du verbe, il a fallu que le terme ainsi modifié ou différencié fût, comme «prémices », isolé dans la langue, ou bien que, par sa fonction, son emploi spécial, il eût cessé d'évoquer à la mémoire les notions ou les images qui demeuraient associées à la forme ordinaire, à la forme « normale » du mot. Le

nom propre ou l'appellatif, le substantif ou l'adjectif employés à former des noms de lieu abdiquent en partie ou complètement leur nature et leur valeur propre, si bien qu'il nous faut un effort d'attention pour y percevoir autre chose que de purs noms et en évoquer la signification originelle, fût-elle la plus claire du monde. Ajoutez que, s'il y a un article, il fait partie intégrante du nom de lieu et qu'il n'est pas loisible de le suppri mer, ce mariage sans prêtre n'admettant aucun cas de divorce.

Ces variations d'un seul et même mot que nous rangeons sous la rubrique de la « phonétique syntactique» ou «syntaxique » dépendent de conditions si complexes et de causes si ténues que l'on n'y saurait découvrir de règle fixe et que les exceptions y foisonnent. Aussi les effets de la liaison des consonne initiales p, t, c avec s finale ne s'offrent-ils à nous que d'une façon irrégulière et sporadique. Dans certaines localités, il y en a proportionnellement beaucoup plus d'exemples qu'ailleurs. Dans la grande commune de Chandolin, je n'en ai recueilli qu'un ou deux, dans les petites communes de Chippis, Veyras et Venthône aucun. Côte à côte apparaissent, dans des noms de lieu formés des mêmes éléments, des initiales intactes et des initiales modifiées. La plupart des noms de la première catégorie peuvent avoir été formés postérieurement aux modifications que l'on observe dans la seconde ; mais il serait hasardeux de supposer qu'ils l'aient été tous. Pour qu'une partie d'entre eux y fût soustraite, il suffisait que la signification originelle y fût moins oblitérée que dans les autres. On remarquera que, dans certains noms, la prononciation hésite entre la consonne intacte et la consonne modifiée.

Dans la région des Alpes qui s'étend du Mont Rose jusqu'au Mont Genèvre, l'abbé Rousselot1 a signalé des modifications des groupes sp, st, sc, identiques ou fort analogues à celles dont j'ai constaté l'effet au nord des Alpes pennines. Pareille

1L'S devant T, P, C dans les Alpes (Etudes romanes dédiées à Gaston Paris, pp. 475 ss.).

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