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on l'appelle palay1, tandis qu'à Montilier (de langue allemande) il est nommé Balze (m. (?). Pour le lac de Neuchâtel, les correspondants du Glossaire ont en outre indiqué palāyè (Vaugondry), palay (Portalban), cf. aussi paléa (Bridel). C'est à M. Schuchardt, Z. f. rom. Phil. XXX, 725, que revient le mérite d'avoir rattaché palaie au nom de poisson pelaica que Polemius Silvius nous a transmis dans sa liste de poissons. Selon M. Thomas, Rom. XXXV, 186, pelaica ne serait pas autre chose que pelagica, dérivé de pelagus « mer », mot latin d'origine grecque. J'avoue franchement que, vu le caractère savant et la faible vitalité de pelagus en vieux français, j'hésite à admettre l'existence d'un dérivé dans une région où ayo; fait complètement défaut. Il conviendra peut-être de reconnaître dans la palaïe, comme dans la bondelle et la gravenche une base d'origine préromane. M. Schuchardt a rappelé l'irl. pollan, l'écoss. powan, sans toutefois se prononcer sur le rapport phonétique et morphologique de notre mot romand avec ses parents d'Outre-Manche. Si l'on accepte l'étymologie proposée pour bondelle, comme « le poisson vivant et frayant au fond des eaux », on serait tout disposé à rechercher dans la palaïe le poisson qui, au contraire, fait sa ponte sur la grève ou sur le « mont» du lac, où les pêcheurs l'attendent pour l'attirer dans un filet ancré au bord. Mais il serait sans doute téméraire de vouloir rattacher pelaica, ou plutôt palaica (v. cidessous), au mot préroman pala, qui, au sens de << prairie traversée de bandes de rocher », est assez fréquent dans la toponomastique alpine des Grisons et de la Provence; cela ferait

«

1 Fromaigeat, Bulletin VI, 55. A Sugiez, le filet à palées s'appelle palèyoza, ibid. 58, v. aussi Liebenau : la paillauza, p. 120; à Marin et à Auvernier, palèyèr (frç. loc.)

2 Comment faudrait-il expliquer l'évolution du sens de pelagica « ce qui est particulier à la mer », au nom d'un poisson vivant dans le lac de Neuchâtel? Pour les représentants romans d'une base pelaica en dehors de la Suisse romande, cf. les articles de MM. Thomas et Schuchardt; v. aussi Rolland XI, 202, 208, 231.

3 V. v. Ettmayer, Germ.-Rom. Monatsschrift II, 364.

de la palaie le « poisson frayant sur la bande de rochers le long de la côte ou, pour me servir de l'expression technique des pêcheurs, sur la « beine du lac ». Mais en attendant que les recherches toponomastiques de MM. Muret et Fankhauser viennent confirmer ou démentir l'existence de pala dans les noms de lieu de la Suisse romande, je me permets d'attirer l'attention sur le mot Balchen (<peláica avec recul de l'accent sur la première syllabe) de nos patois allemands, qui, de même que la forme palatae, relevée dans les textes, atteste la présence de l'a protonique au moment où le nom du poisson est entré dans le vocabulaire des pêcheurs allemands. Mais, si l'existence de palaica ne peut guère être mise en doute, comment faudra-t-il interpréter la latinisation d'un palaie dialectal en palatae? Avons-nous affaire à une tendance des notaires ou des scribes à forger machinalement des formes latines arbitraires en -atae à tous les mots patois en -aye? Comme à dzornaya correspond diurnatas, il se pourrait qu'ils eussent latinisé palaya en palatas1.

II. coregonus fera.

1. féra fém.: (vaud. fèra (Savigny); genev. fárà (Dardagny); frib. fara, ferra (Bridel). Le témoignage le plus ancien du

1 Voici du reste les noms de la féra dans la Suisse allemande (v. la carte à la fin de l'article]. : Seelen (Id. VII, 709), Heuerling (Id. II 1585), Midel (Id. I, 1102; IV, 84), Stüben (Fatio V, 116), Gangfisch (Id. I, 1100) (aussi: Sandgang fisch, cf. la gravenche), Kilchen (Id. III, 237), Blauling (Id. V, 245), Hägling (Id. II, 1080), Brienzling (Id. V, 646, 768), Kropflein (Fatio V, 182), Bratfisch (Id. II, 1103). — Parmi les mots d'origine préromane, je rangerais kamp <<< saumon mâle » (< cambos) v. Jud, Bulletin de dial. rom. III, 4 n. et Schuchardt, Z. f. rom. Phil. XXX, 719, renke « mâle de la féra » (Id. VI, 1142, d'origine gauloise, v. Schuchardt, Z. f. rom. Phil. XXX, 719) et enfin albick, alpke (et par étymologie populaire ?) albock « féra » (sur les bords des lacs de Wallenstadt, de Thoune et de Brienz, Id. I, 185, et albucos, Liebenau 47 ss), qu'on serait tenté de rapprocher du poisson nommé ambicus dans le Laterculus de Polemius Silvius (Rom. XXXV, 167). La liquide à la place de la nasale pourrait être expliquée par l'influence d'autres noms de poissons comme albele, etc. Les corégones ont été introduits, il y a seulement une vingtaine d'années, dans les lacs subalpins au sud des Alpes.

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mot se trouve dans un traité de 1150, selon lequel les chanoines de Sainte-Marie d'Aoste donnèrent au prieuré de Saint-Jean de Genève l'église de Saint-Eusèbe d'Aoste moyennant une redevance annuelle de deux setiers de vin, deux setiers de froment et les gros poissons nécessaires à leur réfectoire: si vero pisces grossi reperiri non potuerunt, pro ipsis quinquaginta palate recipiende vel ducente ferrate recipiende persolvende sunt1. Le même nom revient ensuite dans la liste de vente de Villeneuve (1350) ferratarum (Forel 334). Les chartes et les comptes de dépenses, publiés par M. Bruchet dans son beau volume Le château de Ripaille, font assez souvent mention des ferras. En 1471, l'administration qui pourvoit au menu de la table ducale paye les pêcheurs savoyards: pro quibusdam grossis bisolis et 3 ferratis...; una ferrata, 2 truttelle, I parva ferrata, de bisolis...; pro 50 ferratis, emptis pro salsando...; pro 1 ferrachone (= « fératson »?), 3 bisolis et de serulis... (p. 318). A la fin du 16° siècle, Jean du Villard relève parmi les poissons vendus au marché de Genève : la bezole se treuve jusqu'à dix livres et se prend au profond.....; les bezoles, soit ferra, qui se prennent à la Bennaz... (Forel 331). Enfin, fait important, le mot est entré dans le dialecte des colons alamans établis depuis le 9e ou 10e siècle sur les bords des lacs de Morat et de Bienne sous une forme qui concorde avec les témoignages conservés par les chartes latines du moyen âge: en face du roman: férṛ masc. (Sugiez, lac de Morat), les patois voisins de l'alaman offrent: färig (Montilier, all.); lac de Bienne pfärig (Gléresse, Douanne), masc.; pfärit (Lüscherz) masc. (Pfärig au lieu de Pfärit par échange du suffixe -ig contre -it, rare ou inconnu dans les patois alamans, v. Id. I, 903, Liebenau 95, 126). Ces formes font supposer

Historia patria monumenta II, 271, Forel 335 ss. (Texte tiré de l'original des Archives de la cathédrale d'Aoste).

2 Les Pfäritnetze « filets à féras » sont mentionnés dans les statuts des pêcheurs du lac de Bienne dès le 16e siècle (cf. Liebenau p. 127 et Pferit p. 95, 128.

un romand *ferrada1 qui est resté féminin même dans les patois alamans voisins.

S'il n'y a aucune difficulté à ramener féra, Pfärit à la base ferrata, attestée dès le 12° siècle, on est plus embarrassé d'indiquer le rapport qui doit exister entre la ferrata romande et son pendant Felchen de la Suisse allemande. Cette dernière forme remonte à un type fer(r)icu ou fer(r) acu ou, si l'on admet que Felchen a suivi aussi en v. h. all. la flexion faible en -a -on, à un type ferricone ou ferracone (accus.), dont l'évolution phonétique serait conforme au grec zupazov, qui a abouti chez nous à Chilche en regard de l'all. Kirche. Mais quel est le rapport morphologique entre la base romande fer(r)ata et le type alaman fer(r)acu? Deux hypothèses sont possibles: I. La forme romande ferrata représente un type plus primitif ayant aussi vécu à l'origine sur les rives du lac de Constance, où son suffixe -ata aurait été remplacé (sous l'influence de Balchen <palaica?) par -acu ou -icu, fréquent surtout dans les noms d'animaux (cf. Elch <ahd. ëlaho, Bilch < ahd. bilih; Lerche <lêrahha, Kranich <ahd. chranih, etc). II. La forme allemande Felchen serait plus voisine du type primitif. De même que pelaica ou palaica a abouti à Balchen et à la palaie romande, un type ferraica aurait évolué vers felche alle

1 Pour l'évolution phonétique de ferrada > Pfärrit, v. Solodurum > Solothurn, Sedunum > Sitten, Rhodanu > Rotten, fruda > furt et pour la chute de l'-a, v. en dehors de fruda > frut, aestiva > L'Etivaz (l'evua) (Vaud), qui réapparaît dans les villages voisins du canton de Berne sous la forme de Lessi (Ablentschen) et Lessi (Gsteig); Genava dont la forme dialectale à Berne était yänf; Hauterive (Fribourg) Alta ripa, pat. utṛrūvą, dans le dialecte all, du village voisin de Saint-Sylvestre altərīf, etc. (Je dois une partie des matériaux toponomastiques à l'obligeance de mon collègue M. Fankhauser.)

2 Felchen est surtout employé sur les bords du lac de Constance. 3 L'Id. I, 800 cite la forme bavaroise Ferch qui, d'après une communication de M. Bachmann, rédacteur en chef de l'Idiotikon, repose sur une erreur: Ferch doit être une formule dialectale pour forelle (ferchma, cf. Kluge, s. v.).

4 La substitution du suffixe s'est répétée, comme nous l'avons constaté, à une époque relativement récente dans Pfärrit> Pfärig (v. p. 24).

mand et *feraie des patois vaudois et genevois. En effet, un texte de la fin du 12e siècle nous offre le passage suivant: pisces qui dicuntur romana lingua feraies1 (Mém. et Doc. XVIII, 388), qui, à première vue, correspondrait phonétiquement à la palaie du lac de Neuchâtel. Mais il reste à écarter une grave difficulté: c'est le passage phonétique d'un type *feraie à la forme actuelle fera. Dans son article: Encore manducatum=manducatam (Rom. XXVII, 270 ss.), M. Gauchat a démontré que, dans nos patois, le résultat régulier d'-ata est -ā, tandis que -aie est d'importation française relativement récente; cette manière de voir est fortement appuyée par les noms de lieu tels que strata, prata qui aboutissent régulièrement à Estra(), La Pra(2). Les formes actuelles férā exigent, d'après la phonétique régionale, un type ferrata et semblent exclure *ferraica, à moins qu'on ne veuille admettre qu'à l'époque où, dans certains patois vaudois (p. ex. de Lausanne) on hésitait entre dzornaye et dzorna (< diurnata), les patoisants auraient refait de *feraies, par fausse analogie, une forme féra. Je n'ai aucune hypothèse plausible à présenter sur l'ori

1 MM. Gauchat et Fankhauser, avec qui, à plusieurs reprises, j'ai discuté la question de -ata dans nos patois romands, préféreraient voir dans feraies le résultat régulier d'un pluriel ferratas > ferraies en regard de ferrata > fera. M. F. s'est chargé d'examiner sommairement en vue de l'histoire d'-ata dans les patois romands, les formes des noms de lieu conservées dans les chartes qu'a publiées Gremaud dans ses Documents relatifs à l'histoire du Vallais 1895 ss. Voici le résultat de ses recherches. Le nom de lieu Planta, près de Sion, revient en 1244 SOUS les graphies: Plantaes (< Plantatas, Grem. I, 377); Plantaves (1318, Grem. II, 290), Plantatis (1339, Grem. IV, 237), Plantayes (1339, Grem. IV, 240). Un certain Andreas de Pratis des environs de Loèche apparait fantôt comme Andreas Prayes (Grem. VI, 204) tantôt comme Andreas Prues (Grem. VI, 332).

2

A Sugiez (lac de Morat), le filet pour prendre les féras s'appelle féréyir, cf. Fromaigeat, Bulletin du Gloss. VI, 58.

3 Comme pratum a donné prā, *pratas par contre praies, on pourrait supposer que d'après ferraies plur. on aurait reconstruit un singulier analogique ferrā.

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