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l'étymologie que nous venons de proposer, il serait donc nécessaire de supposer l'existence d'un plus ancien tsase1 (< cyathia), qui aurait cédé sa place à un intrus postérieur casse; mais les matériaux dont je dispose ne me permettent pas de donner un appui solide à cette hypothèse 2.

Je n'ai que peu de chose à dire sur le goujon, gobio fluviatilis. Le latin (gobius) gobione, d'origine grecque (Bis), a triomphé dans la Suisse romande comme dans tout le reste de la France' sous la forme godzon. Déjà le syndic

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Cerlogne connaît pour le Val d'Aoste la forme tsas « cuve pour cuire la vendange ».

2 Les patois de la Suisse allemande offrent Groppe, qui réunit aussi les deux sens de «< cottus gobio » et de « têtard », v. Id. II, 788; les parlers ladins des Grisons, selon Fatio IV, 107, désignent le même poisson par ramboz, rambottel (le dernier est aussi enregistré par Pallioppi sous la forme du bas engad. rambot, v. encore Carigiet s. v. M. Melcher m'informe que rambòt est vivant dans le surselv. et le bas engad., tandis que les dialectes sousselv. (Andeer, Obervaz, Lenz, Filisur), offrent rambòttel, rumbòttel; le second élément du mot . le premier est rana, cf. posch. ranabóttol « girino » (Monti) ne doit pas être séparé du com. beutt, bôttrisit (Fatio IV, 107 et Cherubini, s. bottrisa) «goujon ». Le même radical sert aussi à désigner le têtard de la grenouille, cf. mil. bottaranna «girino, cazzuola », Sainéan, Z. ƒ. rom. Phil., Beiheft. X, 118, 123, 126, 132, Lorck, op. cit. 216, vaud. bô, bot «grenouille de la plus petite espèce » (v. Bridel, Rolland III, 46, 67, XI, 88, 122, Const. et Dés. s. bò, Atl. ling., c. crapaud, tétard) et surtout Schuchardt, Zeitschr. f. rom. Phil. XV, 104.

3 Bridel connaît encore un autre nom du goujon sur les bords du lac Léman : veiron, vouairon, mais il est probable qu'il s'agit ici d'une confusion entre le goujon et le vairon (phoxinus lævis). Enfin Const. et Dés. relèvent blajhon « goujon » (Annecy), dont j'ignore l'étymologie (mais cf. blavie « sparus alcedo », Rolland III, 171, M. P. Barbier fils, Rev. des 1. rom. LI, 388, et Fatio IV, 606, qui offre pour le squalius agassizii le nom de blavin à côté de celui de blageon pour la Savoie).

4 Cf. Rolland III, 146; Horning, Z. f. rom. Phil. XXI, 4553 A. Thomas, Mélanges, 51, et Rom. XXXV, 189; Pieri, Arch. glott. it. XV, 213, et Studi romanzi IV, 168 n. Parmi les noms de la Suisse allemande (Kressling, Id. II, 852, Grundeli II, 776, Ammel, I, 217), il y en a un seul qui soit d'origine romane: gütsche, dont l'Id. II, 566 n'indique pas la répartition géographique (à Douanne, lac de Bienne : guš, à Gléresse: gütsch). Le poisson fait défaut dans les eaux du

canton du Tessin.

du Villard nous donne à la fin du 16° siècle le plus ancien exemple du mot légèrement francisé: gogeon (Forel 332).

Comme le goujon, le spirlin, spirlinus bipunctatus, ne fait nulle part l'objet d'une pêche spéciale: il sert surtout d'amorce aux pêcheurs à la ligne.

Selon Fatio IV, 393 et Forel 62, le poisson porte sur la côte vaudoise le nom de baroche, sur les bords du lac de Neuchâtel celui de barré; Bridel enregistre: borotha, borotsa1 < cyprinus bipunctatus», dont je n'ai réussi ni à retracer l'histoire ni à retrouver l'étymologie. Un autre nom aussi attesté par les patois actuels, est plyatè, platè (Vaud), pyaton, pyèton (Frib.). Il est vrai qu'il désigne fréquemment aussi le rotengle, scardinus erythrophthalmus, qui, sur la côte savoisienne du Léman, s'appelle: plate, platelle et à Vevey plateron. Pour les mêmes raisons, il m'est impossible de dire si pllatta s. f., pllattet, pllatton, pllatziron « cyprin, soit palée, sorte de poisson. du Léman » (Bridel) s'applique plutôt au spirlin qu'au rotengle. M. Schuchardt, Z. f. rom. Phil. XXX, 725, a consacré à ce groupe de mots une page nourrie d'idées et de faits, à laquelle je ne saurais ajouter rien d'essentiel 2.

Tout enfant habitant les bords de nos rivières connaît les compagnies de petits vérons aventureux et entreprenants, qu'on est bien étonné de retrouver jusque dans les petits lacs de nos Alpes neigeuses. L'imagination populaire s'est beaucoup

1 L'idée de chercher dans borotsa un dérivé de borri « canard » se heurte à la difficulté de la forme neuchâteloise (barre) qui postule plutôt l'existence d'un a protonique dans la base du mot.

2 Cf. aussi une note de M. P. Barbier fils, Rev. des. 1. rom. LXVI, 179, et Rolland XI, 208, 210. Les noms du spirlin des patois alamans semblent être d'origine germanique: Bambeli, Bämmeli (Id. IV, 1257, v. p. 15), Schneider (Fatio IV, 393), Bringli (Fatio IV, 393, que je ne retrouve pas dans l'Id.), Alantblecke (Id. I, 171), Laugele, qui désigne aussi l'ablette (Id. III, 1172), Bachbumbeli (IV, 1260), Ärtzeli (I, 498), Blingge (V, 121), Weissfisch (Fatio IV, 393). Il est difficile de se prononcer sur Ischer liplatte, attesté pour les lacs de Thoune et de Lucerne (Id. I, 547, Fatio IV, 393); on serait tenté de reconnaître dans le second élément la même base que dans pyaton, pyate de la Suisse romande.

occupée de ce petit être curieux qui réjouit l'œil de l'observateur par sa coloration variable selon la saison et l'âge.

Le phoxinus lævis est appelé dans nos patois romands:

1. vairon (Vaud., Neuch.), viron, véron (Jura bernois). Ce sont les couleurs changeantes, variables qui ont frappé l'imagination. C'est le latin *varione (dérivé de varius), dont l'existence semble être assurée par la grande diffusion géographique à travers l'Italie et la France1.

2. valais. grisetta (Bridel), grisette (Fatio IV, 640).

3. neuch. blavin, dérivé de * blau « bleu » [bllu, bliau, blavet << bluet » (Bridel)].

4. petit saumon, terme qui ne doit pas être très populaire, puisque le mot saumon est d'origine toute récente dans la Suisse française.

5. vouardon (Bridel). C'est le frç. gardon, qui est toutefois le nom d'une autre espèce de poisson: le leuciscus erythrophthalmus, très petit, comme le vairon.

6. lebette (Rolland III, 140 et Fatio IV, 639), sur la côte savoisienne, d'origine obscure'.

7. gremoillon, gremohllon (Bridel). Le même radical, muni d'un autre suffixe: gremelhetta (Bridel), sert à désigner la loche franche (cobitis barbatula) et le lézard gris (lacerta agilis). La gremelhetta « lézard gris» est vivante dans les patois francoprovençaux aussi bien que dans les dialectes méridionaux de la Provence: lagramusa, lagramuso, lagramué, lagromué, qui remontent à la crimusa, attestée déjà dans le Laterculus de Polemius Silvius. D'autre part le frç. gremille est le nom de

1 Cf. P. Barbier fils, Rev. des 1. rom. LXIV, 188.

2 V. p. 12 n. 3.

3 La confusion entre les deux variétés se répète dans la Charente où le vairon porte le nom de gardon, gardon malin (Rolland III, 139). Pour l'étymologie, v. Schuchardt, Z. f. rom. Phil. XXX, 730, et Behrens, Beiträge zur frz. Wortgeschichte, 360.

4 Il faudrait évidemment connaître la vitalité du mot avant de se prononcer sur son étymologie. Peut-être le mot ne sera-t-il pas autre chose que « le bête » (= le sot), parce que le vairon, confiant et aventureux, est souvent la victime de sa trop grande curiosité.

Fatio IV, 639, Forel 64, offrent gremoillon pour le vairon, et selon

l'acerina vulgaris, qui s'appelle à Metz gremeuille, et grémaou au dép. du Gard (Rolland III, 180). Le mot est peut-être d'origine préromane1. cf. le verbe vaudois gremelli, frétiller).

8. bambella (Bridel), qui trouve son pendant parfait dans le suisse all. bambeli, Bachbambeli (Id. IV, 1257), sans qu'on puisse dire de quel côté il faudra chercher l'emprunt.

9. vaud. anéron (Bridel), sav. amaron (Fatio V, 639, Forel 349 n., anc. genev. amaron (Jean du Villard 1581, Forel 332). Comme la chair passe pour être amère, on pourrait penser à un dérivé d'amaru «amer » : la forme vaudoise anéron aurait alors subi l'influence d'une étymologie populaire.

Le corps allongé de la loche, nemachus barbatulus, rappelle

Fatio V, 20 et Forel 65, la gremeliette, gremiliette, groumelliette serait le nom de la loche franche; v. aussi Littré, s. gremillon.

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1 Sur lacrimusa, v. Thomas, Rom. XXXV, 180, et Schuchardt, Z. f. rom. Phil. XXX, 715, Rolland XI, 19-20. Il n'est guère probable que gremille soit le même mot que le v. fr. gremille « petit grumeau », v. Godefroy, s. v.

2 Le radical bamb « s'agiter » semble jouir d'une forte vitalité aussi bien dans les patois alamans (cf. Id. IV, 1257) que dans les patois romands: vaud. bambellhi « brandiller », bambellhon « chiffon qui brandille », sav. banbeliuche « lambeau pendant », banblyon « fanon d'une vache », etc. Sur le radical bamb, v. Schuchardt, Z. f. rom. Phil. XXXI, 649, Strekelj, Denkschriften der Wiener Akademie L, 21, 80, et MeyerLübke, Et. Wtb. s. bamb.

3 Cf. sav. amaron « zeste de noix, fruit du marronnier ».

Les patois de l'Oberland bernois ont conservé comme nom du goujon ameli, emeli (Id. I, 217), qui continue peut-être un plus ancien ameri, correspondant à l'amaron de la Savoie.

5 En dehors du bambeli et de l'ameli, les parlers alamans de la Suisse nous donnent les noms suivants: Bult, Binsbut, Bachbutt, etc. (Fatio IV, 640, Id. IV, 1907, et pour le radical, v. p. 12 n. 2), Welling, Wettling (Bâle). Les formes tessinoises ont été expliquées en partie dans un article de M. Barbier fils, Rev. des l. rom. LII, 128: starnicol (Fatio IV, 640) aurait emprunté son nom à celui de la pie-grièche (it. storno), et la stornazza représenterait un dérivé du mil. storna, storn-ė. Les autres noms vairòn, rossigneu, sanguigneu (< ross-, sang- igneu[<ineolu], cf. Meyer-Lübke, It. Gramm. §550) sont clairs; cent-in-bocca est peut-être un sobriquet que les pêcheurs donnent à ce petit poisson de peu de valeur.

un peu celui de l'anguille, et, comme le vairon, elle est peu estimée de nos pêcheurs. Voici ses noms dans les patois romands et le français provincial parlés sur les bords des lacs: I. motaile, moutaile (Lutry), Rolland III, 137, v, p. 7. 2. gremelhetta (Rolle), v. p. 14.

3. neuch. petite lotte, v. p. 6.

4. genev. moustache, frib. moustatsə (Sales) à cause des six barbillons qui se dressent sur sa lèvre supérieure. Cette particularité lui a valu encore le nom de :

5. petit barbot (Forel 65).

6. vaud. dremillha, droumillha, dremilletta (Bridel), sav. dromlye, genev. dramilla (Hermance) [v. aussi anc. genev. dormille1 (du Villard, Forel 331)]. Le poisson a l'habitude de se tenir blotti de jour sous quelque pierre ou de rester longtemps immobile sur un caillou. C'est donc un substantif tiré du verbe dromlyi « sommeiller » (Const. et Dés.), anc. franç. dormillier (anc. prov. dormilhos « somnolent »), franç. mérid. dourmiha -ilhá (Aveyron) « sommeiller» (Mistral), qui contiennent tous un latin *dormiculare2.

7. neuch. percepierre (Rolland III, 138). En fuyant, le poisson passe entre les pierres, filant comme un éclair 3.

8. dartre (Fatio V, 20) est le nom populaire, répandu sur les bords des lacs de Morat, de Bienne et de Neuchâtel (Auvernier: dèrt, frç. local). Il s'explique peut-être par les écailles teigneuses du poisson ou par les taches irrégulières éparses souvent sur toute la longueur du corps, à la manière des plaques de peau qui caractérisent la maladie appelée dartre. Le point

1 Le même nom s'applique aussi au cyprinus amarus, qui partage avec la loche l'habitude de rester longtemps immobile sur le gravier : dormille, dromille commune est attesté pour le dép. de l'Isère, cf. Rolland III, 152; Mistral relève dourmihouso, etc. « loche, petit poisson qui paraît quelquefois immobile dans l'eau », v. aussi Rolland III, 89, XI, 165.

2 La grande extension géographique de ce mot à travers l'Italie (dormicchiare) et la France jusque dans l'Espagne (gallic. dormilloso) fait supposer déjà en latin l'existence de la base dormiculare.

"Ailleurs perce-pierre désigne la lamproie fluviatile (petrisuga fluviatilis), cf. l'it. foracqua perce-cau), Rolland III, 138.

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