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française pour nous persuader qu'il reste encore bien des problèmes à résoudre dans le domaine de l'étymologie de notre langue littéraire.

Il va sans dire que tous les patois, ceux de la Suisse française aussi bien que ceux du Midi de la France, par exemple, offrent à peu près les mêmes avantages pour l'étude des principes linguistiques. Les phénomènes sont très différents, mais le gain à en retirer pour la connaissance des causes de ces phénomènes est le même. Cependant la Suisse romande, avec ses races, ses confessions et ses occupations si diverses, présente, sur un espace restreint, plus de variété peut-être que n'importe quel autre territoire de même étendue des pays latins. Elle est particulièrement apte à nous éclairer sur la question si ardue et complexe des limites dialectales. Faut-il admettre avec M. Gaston Paris que tous les patois se fondent les uns dans les autres par des nuances insensibles, qu'en marchant dans la même direction, par exemple de Neuchâtel à Paris, on rencontrerait successivement des parlers différant très peu entre eux, de sorte que la couleur française du patois s'accentuerait de plus en plus, en proportion directe de la distance des localités du point de départ? Retrouve-t-on dans le domaine des patois le fameux natura non facit saltum?

Est-il vrai que les limites de a

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et de alcons

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ou d'autres phénomènes n'occupent pas la même aire? Et les limites des traits linguistiques ne coïncidentelles pas avec les limites politiques anciennes ou modernes? Les travaux que la Rédaction du Glossaire

des patois romands a entrepris en vue de l'élaboration d'un Atlas linguistique de la Suisse romande, où les nuances de prononciation seront représentées par des teintes, permettent de conclure à une nouvelle théorie. Le patois de La Ferrière (canton de Berne), par exemple, diffère foncièrement de celui du prochain village bernois Les Bois, tandis qu'il est presque identique avec celui de La Brévine, située à une bonne journée de marche de La Ferrière. La limite dialectale bien tranchée qui sépare La Ferrière des Bois est bien une ancienne limite politique, aujourd'hui confessionnelle. Grâce aux rapports continuels des habitants, les patois d'une contrée comme la montagne neuchàteloise, y compris La Ferrière, ont conservé un caractère uniforme, malgré certaines différences de détail; le village des Bois appartient à une autre contrée, catholique, placée sous l'influence de Porrentruy, ayant très peu de rapports avec les hérétiques de La Chauxde-Fonds et environs et présente pour cette raison un caractère linguistique qui est décidément différent de l'autre. Beaucoup de traits sont communs aux deux groupes, comme le tch pour c latin devant a (campu = tchan, thin) entre autres, mais cela n'empêche pas qu'un grand nombre de traits divergent de part et d'autre. En reportant toutes les limites des traits linguistiques sur la même carte, on obtiendra certes un tableau d'une bigarrure étonnante, mais il sera facile de découvrir dans le réseau irrégulier de ces lignes des faisceaux où plusieurs lignes sont superposées ou très voisines. Ils se trouveront là où les rapports des habitants ont été moins étroits qu'ailleurs et ce manque

de rapports devra s'expliquer par l'histoire de la population, et par la configuration du terrain.

Je ne puis me permettre ici d'insister davantage sur cette question intéressante des limites dialectales et je me hâte d'arriver à la conclusion de ce petit exposé. Quand la disparition d'un monument historique est devenue une nécessité, nous faisons tout pour en conserver au moins le souvenir aux générations futures. Nous ne laissons pas disparaître nos vieux chàteaux sans les photographier pour en retenir l'image! C'est aussi pourquoi on a songé à créer le Glossaire des patois romands, qui n'a nullement la prétention de devenir un code, comme l'est le Dictionnaire de l'Académie française, ni même un répertoire de mots curieux et de locutions originales dont la lecture pourrait amuser les jeunes et les vieux dans les longues soirées d'hiver. Le Glossaire sera tout simplement l'image aussi fidèle que possible, en même temps que la pierre funéraire de nos patois romands. On y inscrira l'épitaphe: Ci-git la langue au moyen de laquelle nos ancêtres ont exprimé leurs pensées pendant vingt siècles. Cette langue était rude et imparfaite, mais elle suffisait à leurs besoins. Aussi l'aimaient-ils et ont-ils voulu que sa tombe fût ornée d'une pierre commémorative. Des herbes de toute sorte pousseront autour de cette pierre. Les herboristes viendront en cueillir quelques échantillons, ils les examineront soigneusement, et feront peut-être quelques-unes de ces petites découvertes grâce auxquelles s'enrichit de jour en jour la science

humaine.

TEXTES

1. A LA FOIRE

Dialogue en patois de Bernex (Genève)

Konbé stå var? - Tä k lǝ vò plyé? - Vatya! lǝ n'å på l'èr də bé markå pèl lafe. La mårk på pèl lafé! Vo n'i konyosi på gran chuzå. La baly' só oui litr pè tré on ma avan d vélå. Y è na bànå vaỡ' pè la rätå. D la väď də konfyans'. Démandi a koui ki say a Konfnyon si Båbèl la garson a la Jan' n'å på todò da bàn' vað è si é tronprə sάlamä on-n-äfan. Y è la mèlya" də mon bà, è si də ouä la vädr, y è pask da oua m'a tå on Ivó pè pòvä alå u mardiå. ä vòli vò? Konbé d'a oua? na var däntya! la n'å

TRADUCTION

Konbé

Combien cette vache? Est-ce qu'elle vous plaît? Voilà! elle n'a pas l'air de bien marquer pour le lait. Elle ne marque pas pour le lait! Vous n'y connaissez pas grand'chose. Elle donne ses huit litres par traite un mois avant de vêler. C'est une bonne vache pour le rendement. Je la vends de confiance. Demandez à qui que ce soit à Confignon, si Babel le garçon à la Jeanne n'a pas toujours de bonnes vaches et s'il tromperait seulement un enfant. C'est la meilleure de mon étable, et si je veux la vendre, c'est parce que je veux m'acheter un cheval pour pouvoir aller au marché. — Combien en voulez-vous? Combien j'en veux? une vache comme ça! elle n'a pas sa pareille

på sa parir su tòtå la farå. Tævi lå yó vò vdri, la n

branlrå på mé k'n anyé. Aló, I na baly' på pè trér? Lè sad kòm n anyé, ka d vò dia. Tä k'on pu la lyètå? - A dratå, a gó9', kòm vò vdri. Konbé å taly' da vé? Lä-n-è-t-a son katryém. Y arå nou ma I vätyon k l å prä ló bu. Lå bé l'èr də kòmäsi a amòlyi, mé son tètè è bé grou. Vò n l'i på tre sti matan. Tä k vò m prènyi pè on brigan? N på a mǝ k'i fó dir sä.

Veyän, vtron pri?

dou napolyon è dmi, på on sou d mouä. vädri på a sé pri.

y è Vät'

Vò n la

Vo krèyi sä vò! ali sælåmä pè

la farå; si vò-z-ä tròvi dóuə däntyə, də ouä m låsi kòpå la tétå. Tni, vätyå katr vä éku, poué va sou pè la

sur toute la foire. Touchez-la où vous voudrez, elle ne bougera pas plus qu'un agneau. Alors, elle ne donne pas des coups quand on la trait? Elle est sage comme un agneau, que je vous dis. Est-ce qu'on peut l'atteler? — A droite, à gauche, comme vous voudrez. Combien a-t-elle de veaux? Elle en est à son quatrième. Il y aura neuf mois le 21 qu'elle a été saillie. Elle a bien l'air de commencer à se préparer au vèlage, mais sa tétine est bien grosse, vous ne l'avez pas traite ce matin. Est-ce que vous me prenez pour un brigand? Ce n'est pas à moi qu'il faut dire cela. Voyons, votre prix? - Vingt-deux napoléons et demi, pas un sou de moins. Vous ne la vendrez pas à ce prix. Vous croyez ça vous! allez seulement par la foire; si vous en trouvez deux comme ça, je veux me laisser couper la tête. Tenez, voilà quatre-vingts écus, puis vingt sous pour la fille.

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