Page images
PDF
EPUB

§ 4. ISOLEMENT DES QUARTIERS EUROPÉENS

DANS LES COLONIES.

Nous avons déjà dit précédemment que les indigènes, surtout les enfants, constituaient des sources permanentes d'infection pour les Européens qui commettaient l'imprudence de passer la soirée ou la nuit dans leur voisinage. C'est pourquoi celui qui sera chargé de fonder une station aux colonies, devra toujours établir cette station à un kilomètre de distance de toute agglomération d'indigènes. Comme les moustiques ont le vol assez peu soutenu, les Européens habitant cette station se trouveront ainsi sûrement à l'abri des piqûres des anophélès qui se tiennent aux environs des quartiers nègres, et qui se repaissent habituellement du sang des indigènes. La fréquentation des quartiers indigènes ne présente aucun danger pendant le jour, parcequ'alors les moustiques sommeillent et restent cachés. Longtemps déjà avant qu'y fut introduite la dispensation gratuite de la quinine, Batavia avait gagné en salubrité, grâce à la mesure qui avait été prise d'éloigner les indigènes du quartier · européen.

De même, les personnes qui font des voyages de plusieurs jours de durée auront soin de ne jamais établir le soir, leur campement, à proximité d'agglomérations d'indigènes. A plus forte raison, éviteront-elles de loger dans les huttes de ces derniers, huttes qui sont généralement des repaires de moustiques.

C'est dans le même ordre d'idées qu'on doit conseiller aux marins de rentrer à bord aussitôt après le coucher du soleil ; quelque peu éloignés que les bâtiments soient de la rive, les dangers d'infection y sont toujours beaucoup moindres qu'à terre.

§ 5. LA QUININE.

que

l'avons montré

[ocr errors]

La quinine est non seulement ainsi une excellente arme de prophylaxie générale, mais elle est encore le reméde souverain pour prévenir toute récidive et même toute infection paludéenne; c'est ce dernier point de vue qui nous reste

à envisager et nous ajouterons incidemment quelques mots sur les formes médicamenteuses à employer.

Prophylaxie des récidives.

La pierre de touche d'une bonne administration de la quinine n'est pas la disparition d'un accès de fièvre; c'est la disparition de toute récidive. La quinine doit être administrée suffisamment longtemps pour que toute récidive soit impossible toute question d'infection nouvelle étant mise à part bien entendu De plus, il faut chercher à atteindre ce but avec le minimum de médicament. Les doses fractionnées de quinine font certes disparaître les accès et les récidives; mais, la quantité totale de quinine à employer sera relativement plus forte que celle utilisée par le traitement à doses massives.

4

Koch conseille de donner en une fois un gramme de quinine à 6 heures avant le moment présumé de l'accès. Si l'accès ne vient pas, ou est faible, il répète la même dose le deuxième jour et les jours suivants. Si, au contraire, l'accès se reproduit avec la même intensité, il donne 1 1/2 gr. ou 2 gr. Koch n'a jamais dépassé la dose de 2 grammes.

Pour éviter les récidives, il donne deux jours de suite un gramme, et cela à des intervalles de 10, 9, 8 ou 7 jours suivant l'opiniâtreté des cas. Dans les cas les plus opiniâtres, il donne 1 1/2 gr. à 2 gr. à huit jours d'intervalle.

Ce traitement était suivi pendant deux mois au moins.

Laveran qui préfère, avec raison, le chlorhydrate au sulfate, formule comme suit un exemple de traitement prolongé par la quinine :

Les 1er, 2e et 3e jours, o. gr. 80 à 1 gr. par jour de chlorhydrate de quinine.

Du 4o au 7e jour, pas de quinine.

Les 8e, ge et 10e jours, o. gr. 60 à o. gr. 80 de chlorhydrate de quinine.

Du 11 au 14o jour, pas de quinine.

Les 15e et 16 jours, o gr. 60 à o gr. 80 de chlorhydrate de quinine. Du 17 au 20o jour, pas de quinine.

Les 21e et 22e jours, o gr. 60 à o gr. 80 de chlorhydrate de quinine.

Ces formules ne peuvent évidemment être considérées que comme des exemples tenant lieu d'idée directrice. Très souvent, le médecin se trouvera dans la nécessité de les modifier dans la pratique. Si les doses de sel de quinine préconisées par Koch et Laveran seront généralement très suffisantes dans le traitement d'une simple forme de fièvre intermittente (et ici y aura-t-il peut-être lieu encore de différencier entre la fièvre quarte qui semble être un peu plus résistante à l'action de la quinine que la fièvre tierce), il n'en sera pas toujours de même dans celui des formes graves, à allures rémittentes ou continues, observées dans les pays chauds. Dans ces derniers cas, on devra parfois recourir à des doses de 2 et même 3 grammes de chlorhydrate de quinine dans les 24 heures.

Prophylaxie de l'infection.

Dans les localités où la malaria est endémique, et où les habitants sont exposés d'une manière presque continue, aux piqûres infectantes des anophélès, nous croyons qu'il y a lieu d'engager ces habitants de recourir régulièrement (à l'exception des mois d'hiver) à l'emploi intermittent de la quinine. La mise en pratique de cette mesure présente un double avantage :

Elle met l'individu à l'abri de la fièvre, en attaquant régulièrement les parasites qui pourraient se trouver en évolution dans le sang.

Elle rend impossible l'infection du moustique par cet individu. En nous basant sur la durée de la période d'incubation de la malaria, nous croyons pouvoir fixer à un gramme de sulfate ou à 80 centigr. de chlorhydrate pris en une fois et à jour fixe, la quantité de quinine à prendre hebdomadairement. Dans les contrées de la zône torride où existe une division bien marquée en saison des pluies et en saison sèche, cette dose d'un gramme pourra être prise deux fois par semaine dans les localités fortement malarigènes, durant la saison des pluies, et surtout durant le mois qui marquera la transition entre la saison des pluies et la saison sèche. Il est, en effet, d'observation courante, que c'est immédiatement après la saison des pluies que la malaria fait le plus de victimes sous les tropiques. On peut probablement trouver la cause de cette recrudescence de l'affection, dans ce fait que les larves d'anophélès se développent avec grande facilité dans les collections d'eau stagnante formées par les pluies, et

devenues calmes après cessation de celles-ci. D'autre part, il est peut-être intéressant de noter que cette période qui marque la transition entre la saison des pluies et la saison sèche dans la zône équatoriale correspond, au point de vue climatérique, à la saison d'automne sous nos climats, c'est-à-dire à celle où la malaria y règne également avec le plus d'intensité.

Tout habitant d'une zone malarigène prendra également sa dose de quinine prophylactique, chaque fois qu'il aura été astreint à faire un travail extraordinaire et fatigant. S'il avait déjà coutume de prendre de la quinine régulièrement, il en prendra à cette occasion une dose supplémentaire. Cette indication est dictée par l'expérience et l'observation clinique, qui montrent que toute cause de nature à placer l'organisme dans un état de dépression passager, peut réveiller l'activité de parasites qui jusque là semblaient avoir sommeillé. Toute maladie aigue survenant chez un impaludé peut agir de la même façon.

Nous nous inscrivons complètement en faux contre l'idée qui a été émise, que l'usage souvent répété de la quinine était la cause de l'hémoglobinurie dans les pays chauds. Durant les vingt-cinq mois que nous avons étudié la malaria au Congo, dont dix-neuf passés dans une des localités les plus malarigènes de ce pays, nous avons fait un usage régulier de quinine prophylactique; nous avons fait suivre ce même régime là bas, à quantité d'Européens. Non seulement, nous n'avons jamais vu un seul cas d'hémoglobinurie quinique, mais il nous a été donné de constater que les partisans de la quinine prophylactique étaient rarement atteints de fièvre; et que, s'ils l'étaient, il ne s'agissait toujours que d'accès anodins. Nous sommes intimement convaincus que l'hémoglobinurie quinique — quand elle est manifeste, quoique toujours très rare se rapporte toujours à une idiosyncrasie. A notre avis, pour produire l'hémoglobinurie quinique chez un individu ne présentant pas cette idiosyncrasie, il faudrait avoir recours d'une façon répétée à des doses de quinine tout à fait inusitées.

[ocr errors]

On a reproché à l'emploi régulier de la quinine d'exercer à la longue une action trop irritante sur la muqueuse des voies digestives. Si cette objection renferme un peu de vérité, il est par contre possible de lui opposer des remèdes faciles :

On veillera toujours à ce que la quinine ne trouve pas en arrivant dans l'estomac, un milieu alcalin. C'est pourquoi on évitera de la prendre avec du lait ou des eaux alcalines.

La quinine étant le mieux assimilée dans un milieu acide, il sera toujours utile de la prendre avec un verre d'eau acidulée par un peu d'acide chlorhydrique, sulfurique, citrique ou tartrique. Le chlorhydrate de quinine le plus généralement employé est un sel acide; c'est en raison de cette acidité qu'il doit être préféré au sulfate. Quant aux autres sels: bromhydrate, lactate, sulfovinate, etc, nous croyons qu'on peut facilement s'en passer. La plupart d'entr'eux sont d'ailleurs très peu stables.

En outre, nous croyons recommandable de prendre la quinine de préférence après un très petit repas (1er déjeuner du matin). La totalité du suc gastrique sécrété, n'étant pas utilisée pour la digestion de ce repas, le surplus servira utilement à l'assimilation de la quinine.

Faut-il, dans les pays équatoriaux, administrer de la quinine prophylactique aux indigènes ?

Le nègre n'est pas immun, au sens propre du mot, vis à vis de la malaria. S'il est vrai qu'un certain degré d'immunité semble lui être dévolu à partir de l'âge adulte, les enfants par contre, subissent les atteintes de l'affection avec une énorme fréquence. On conçoit dès lors que les nègres constituent une source d'infection sérieuse pour les Européens qui vivent dans leur voisinage.

Comme nous le verrons plus loin, l'Européen qui voyage dans les pays de la zone torride, ou celui qui sera chargé d'y fonder une station, établira toujours son campement ou sa station à un kilomètre de distance de toute agglomération d'indigènes.

De cette façon, les moustiques qui, comme nous l'avons vu, ont le vol très peu soutenu — ne sauront, en raison de la trop grande distance qui sépare les deux camps, venir faire apport aux Européens de l'infection qu'ils ont contractée en se nourrissant du sang des indigènes.

: La grande majorité des indigènes ne nous intéressant donc pas au point de vue des précautions que nous avons à prendre, il reste

« PreviousContinue »