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malgré de nombreuses et persévérantes recherches, dont le dernier résultat ne nous est pas encore connu. Sur ce point comme sur les autres, il nous est resté d'incessants efforts la satisfaction d'être le biographe qui aura recueilli le plus de renseignements et le plus ajouté au faisceau des faits déjà connus. Mais la gerbe est encore loin d'être ou plutôt de nous paraitre complète. Nous touchons à l'abondance, mais non à la satiété, indispensable à l'incubation de toute histoire définitive.

Marie DE VICHY-CHAMROND naquit en 1697, suivant la majorité, presque l'unanimité des biographes', un an après la mort de cette madame de Sévigné dont elle devait continuer la tradition et répéter la gloire. C'est probablement au château de Chamrond qu'il faut placer le berceau de la future marquise du Deffand. Ce château dominait la paroisse de Saint-Bonnet ou Saint-Julien de Cray, dont MM. de Vichy-Chamrond étaient co-seigneurs. Cette commune fait maintenant partie de l'arrondissement de Charolles (Saône-et-Loire). Le père de Marie de Vichy était Gaspard de Vichy, comte de Chamrond, et sa mère, Anne Brulart, fille du premier président au parlement de Bourgogne, dont la famille devait être surtout illustrée par les deux branches de Puisieux et de Sillery, à laquelle appartenait le mari de madame de Genlis, le spirituel et malheureux Girondin.

Marie de Vichy reçut son prénom au baptême de sa marraine et aïeule maternelle, madame Marie Bouthillier de Chavigny, veuve du président Brulart, et femme d'un second mari, César-Auguste, duc de Choiseul.

« Le duc de Choiseul, las de sa misère, dit Saint-Simon à l'année 1699, épousa une sœur de l'ancien évêque de Troyes et de la maréchale de Clérembault, fille de Chavigny, secrétaire d'État. Elle était veuve de Brulart, premier président au parlement de Dijon, et fort riche. Quoique vieille, elle voulut tâter de la cour et du tabouret ; elle en trouva un à acheter et le prit.

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Marie de Vichy-Chamrond fut élevée au couvent de la Madeleine du Traisnel, rue de Charonne, à Paris. Ce serait une curieuse histoire à écrire que celle des couvents sous le règne de Louis XIV et

1 La Préface de la Correspondance, en 2 volumes (1809), dit seule 1696.— Pour 1697, tiennent la Préface de l'édition des Lettres à Walpole (Londres, 1810), de l'édition française des mêmes Lettres, 1811, 1812, 1824, 1827; la Préface de la Correspondance inédite, publiée par M. de Sainte-Aulaire; -M. Sainte-Beuve (Causeries du Lundi, t. I, p. 413);—la Biographie générale, Didot; la Biographie Michaud. La Biographie Feller fait naître madame du Deffand à Auxerre.

de Louis XV. Pour ne parler que des derniers parmi ceux qui auraient leur place dans cette galerie plus profane que dévote, plus galante que mystique, plus amusante qu'édifiante, il faut ranger ce couvent de Montfleury, près de Grenoble, gracieux comme son nom, le type, le modèle accompli du joli couvent au dix-huitième siècle, dont Vert-Vert est le poëme; l'abbaye de Maubuisson, gouvernée par cette originale Louise-Hollandine, tante de Madame, la spirituelle douairière d'Orléans, laquelle jurait peu canoniquement << par ce ventre » qui avait porté plusieurs bâtards; ce couvent de Chaillot, où le marquis de Richelieu enleva sa maîtresse, puis sa femme, puis la maîtresse de beaucoup d'autres, trop digne fille de madame de Mazarin; cet autre, où fut enfermée Florence, cette maîtresse du Régent que voulait épouser le prince de Léon, qui, peu de temps après, enlevait pour se consoler mademoiselle de Roquelaure du couvent des Filles de la Croix, au faubourg SaintAntoine.

Et cette abbaye de la Joie (bien nommée), près de Nemours, dont l'abbesse, mademoiselle de Beauvilliers, se laissa faire un enfant par le beau Ségur « qui jouait très-bien du luth », et accoucha scandaleusement en pleine hôtellerie; et cette abbaye de Gomerfontaine en Picardie, qui, sur les deux sœurs de la Boissière de Séry, en avait élevé une pour le couvent, qui y resta, qui fut une sainte et dont on ne parla point, et cette autre, la plus gracieuse et la plus touchante des pécheresses, dont on devait tant parler, la seule peut-être de ses maîtresses que le Régent ait véritablement aimée!

Citons, citons encore cette abbaye de Montmartre, où la duchesse d'Orléans allait se consoler de temps en temps, en compagnie de la duchesse Sforze, de ses chiens et de ses perroquets, des infidélités d'un volage et aimable mari; ce couvent des Carmélites, où la duchesse de Berry, sa fille, allait se reposer dans une dévotion de huit jours des mécomptes de l'orgueil et des fatigues de l'amour; et cet autre couvent enfin, à quelques lieues de Paris, où deux jeunes abbés, qui n'étaient autres que le duc de Richelieu et le chevalier de Guéménée, allaient, à la faveur de ce déguisement, passer d'agréables journées à exhorter deux jeunes duchesses, deux sœurs, qui goûtaient fort cette pénitence '.

C'est sans doute en commémoration de ces aventures galantes, dont l'habit ecclésiastique profané avait servi plus d'une fois l'audace, que le duc de Richelieu avait fait peindre, comme par un ironique défi à ces couvents si mal gardés de son temps et d'un si 1 Correspondance de Madame, t. Ier, p. 300.

facile verrou, ses maitresses en costume de religieuses. Les maréchales de Villars et d'Estrées, dans cette singulière galerie, qu'on a eu un moment l'espoir de retrouver, y souriaient sous le froc des capucines. Mademoiselle de Charolais était en récollette et parfaitement ressemblante, ce qui faisait dire à Voltaire :

Frère Ange de Charolais,
Dis-moi par quelle aventure
Le cordon de saint François
Sert à Vénus de ceinture.

De couvent en couvent, d'anecdote en anecdote, nous côtoierions ainsi toute l'histoire intime du dix-huitième siècle, saluant d'un sourire ou d'une larme le théâtre de plus d'une aventure galante et de plus d'un accident tragique, et aussi le port rigoureux où plus d'une âme naufragée trouva, en vertu d'une lettre de cachet, le salut du repentir. Souvenez-vous, en passant, de ce couvent de Panthémont, où deux jeunes pensionnaires se battaient en duel' pour une rivalité d'amour-propre; de cet autre couvent où, c'est madame du Deffand elle-même qui nous le raconte, une imprudence de quelque espiègle de quinze ans allumait un incendie qui fit de si tristes et de si gracieuses victimes. Et le couvent des Carmélites de Lyon, où, sous le capuchon de sur Augustine de la Miséricorde, on eût pu reconnaitre cette mademoiselle Gautier, comédienne applaudie du Théâtre-Français, d'une force musculaire égale à celle du maréchal de Saxe, d'une tendresse de cœur pareille à celle de la Vallière, et dont on lit au tome X des OEuvres de Duclos une histoire touchante. Et le couvent de Nancy, où furent tour à tour enfermées, par ordre du mari, madame de Stainville, dont il faut lire dans Lauzun, écrite avec les doubles regrets de l'amitié et de l'amour, la profane et touchante aventure; et plus tard, cette pénitente héroïque, madame d'Hunolstein, qui, chassée par la Révolution de sa pieuse prison, n'accepta point sa délivrance et voulut mourir sur la cendre en demandant pardon à son mari et à Dieu de fautes si noblement expiées. Et le couvent de Pontaux-Dames, où madame du Barry fut reléguée aux premiers jours de sa disgrâce, et, royale Madeleine, ensorcelait les saintes filles chargées de la convertir et de la garder!

Mais nous n'en finirions pas, et il faut pourtant, afin de donner une idée de l'éducation du temps, même en ces pieux asiles, trop dégénérés des anciennes vertus et des anciennes pudeurs et devenus 1 Mémoires de la baronne d'Oberkirch.

aussi dangereux que le monde, clore notre énumération'. Mais ce ne sera pas sans avoir encore jeté un coup d'œil attendri par tant d'aimables et pimpants souvenirs sur ce fameux couvent de Chelles, du temps de cette fille du Régent dont nous avons écrit l'histoire", sur ce couvent de Chelles où l'on jouait si bien Esther, Athalie et même Andromaque; où, selon la chronique scandaleuse, Richelieu s'introduisit parfois; ce couvent de Chelles où l'on tirait, les jours de fête, des feux d'artifice au milieu des roses, et où chaque nonne, vouée à la fois au monde et à Dieu, avait une couronne sous son voile et un médaillon à son chapelet.

Un regard aussi à cette abbaye de Saint-Sauveur d'Évreux, et à ce prieuré de Saint-Louis de Rouen, où, au dire de madame de Staal, qui y fut élevée, l'abbesse était si bonne, les converses si complaisantes, les élèves si espiègles, où l'on entendait tant de jappements de chiens et tant de chants d'oiseaux, où l'on riait presque toujours, et où, si l'on pleurait, les larmes mêmes étaient si douces, « qu'on ne savait pas d'où elles étaient parties ».

Tous ces coquets monastères n'étaient pas plus coquets que ce couvent de Montfleury, où s'épanouissait au sein de la plus patriarcale indulgence toute la jeune aristocratie féminine du Dauphiné. C'est là que la belle et spirituelle chanoinesse qui fut plus tard madame de Tencin manqua, elle aussi, si joliment son salut.

S'il était possible de mépriser le monde à travers des grilles, on l'eût méprisé sans peine à Montfleury, la plus aimable prison claustrale qu'il soit possible de rêver. Les religieuses, qui presque toutes l'avaient été malgré elles, s'en dédommageaient de leur mieux; elles y consolaient leurs regrets par tous les raffinements de cette dévotion mystique qui sait si bien amollir sous sa béatitude les épines du désir. La chapelle était parée comme un boudoir, la messe elle-même y ressemblait à un concert. On y priait comme l'on aime, avec toutes sortes d'œillades et de baisers. Et le soir, à ces petites fenêtres de la cellule dominant les murs et plongeant comme autant d'yeux restés ouverts sur la ville voisine, on aurait pu entrevoir sans doute plus d'une nonne rêveuse, respirant la brise au retour de l'office, avec cet habit blanc décolleté et ce bouquet de grenades sur l'oreille que le président de Brosses vit, non sans étonnement, aux poétiques religieuses de Venise.

1 Voir la Femme au dix-huitième siècle, par Edmond et Jules de Goncourt. Didot. 1863.

2 Les Confessions de l'abbesse de Chelles, fille du Régent. Paris, Dentu,

Le couvent de Notre-Dame du Traisnel a, lui aussi, ses galantes légendes, et si les leçons des coquettes religieuses de la rue de Charonne furent conformes à leurs exemples, mademoiselle de Vichy put y apprendre à la fois l'amour de Dieu et celui du prochain.

On trouve dans Saint-Simon', dans les Mémoires de Maurepas, de Richelieu, dans les Mélanges de Bois-Jourdain, dans Barbier', dans Marais, dans les Mémoires du marquis d'Argenson lui-même, de bien curieux et bien étranges détails sur cette retraite, à la fois dévote et galante, où le garde des sceaux disgracié, le sombre et spirituel d'Argenson, avait toute une espèce de sérail sous la grille, et où il oublia, bercé par les babillages caressants des novices, l'ambition, le pouvoir, la famille, tout, même la mort, qui bientôt vint l'y surprendre aux genoux de l'aimable, de la sémillante, de l'habile prieure, Gilberte-Françoise Veni d'Arbouze de Villemont. Cette femme était douée d'une grâce fascinatrice qui fit tour à tour les conquêtes les plus diverses: le beau Descoteaux, le noir d'Argenson, l'acariâtre duchesse d'Orléans, et sa fille elle-même, l'abbesse de Chelles, avant qu'elle se brouillât avec sa mère à propos de cette Circé du cloître, de cette Armide sous le voile, dont les beaux yeux étaient funestes à la concorde des familles. Le couvent de la Madeleine du Traisnel appartenait à une communauté de bénédictines, fondée au douzième siècle en Champagne, au Traisnel. Les religieuses vinrent s'établir en 1654 à Paris, rue de Charonne (au n° 100 de la rue).

une

C'est là que mademoiselle de Vichy reçut, sous l'œil indulgent d'une abbesse qu'on accusait d'avoir, avant M. d'Argenson, accordé ses bonnes grâces à un flûtiste célèbre, ce Descoteaux que la Bruyère a peint sous la figure du curieux de tulipes, et même d'avoir mis au monde un fruit de ce scandaleux amour, éducation qui dut être des plus tolérantes, si l'on en juge par ses résultats. On trouvera dans sa Correspondance plus d'une plainte et plus d'un regret sur le peu de secours qu'apportent à une vieillesse aux prises avec l'expérience et avec l'ennui, une instruction sans principes et une éducation sans moralité. Ces frivoles et brillantes 1 Édition Delloye, t. XXXIV, p. 114.— Édition Chéruel (Hachette), in-12, t. XI, p. 310 et 395.

2 Barbier, Journal, t. Ier, p. 42, 43.

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On se fait quelquefois la question si l'on voudrait revenir à tel âge? Oh! je ne voudrais pas redevenir jeune, à la condition d'être élevée comme je l'ai été, de ne vivre qu'avec les gens avec qui j'ai vécu, et d'avoir le genre d'esprit et de caractère que j'ai..... ·

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