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imprimé, sauf à supprimer ce qui déplairait, et il dit : « Je m'ennuie en » route; je lirai ces volumes, et j'écrirai de Mayence ce qu'il y aura à » faire. » On recut de Mayence une lettre où il disait : « Ceux qui veulent » ôter le mot de polissons ont raison; ceux qui veulent qu'on en ôte davantage n'ont pas le sens commun, et en cherchant à me plaire, ils » n'auraient trouvé que le moyen de me déplaire. A deux mots près, il » faut laisser la cour d'alors telle qu'elle était. »

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« Il est certain pourtant que plusieurs autres passages furent supprimés; ce qui a fait dire au savant bibliographe M. Brunet, que cette édition avait été revue et mutilée par les soins de M. Artaud1. »

C'est là une accusation injuste, et il suffit de collationner comme nous l'avons fait l'édition de Londres avec toutes les éditions subséquentes françaises, pour constater, avec un étonnement dont la vérité exige l'aveu, dût-il diminuer nos mérites, que les suppressions de la censure de 1812 sont peu nombreuses et insignifiantes, • et ne portent guère, dans le texte de madame du Deffand, que sur l'épithète plus familière qu'injurieuse de polisson, décernée à deux hommes dont le talent ne se privait pas des secours de l'intrigue... Les autres suppressions ont été faites sur le texte des réponses d'Horace Walpole, souvent cité en note par l'éditeur, et où il parlait des conquérants et des flatteurs avec une franchise d'autant plus inopportune qu'il était Anglais. Ce qui prouve le peu d'importance de ces suppressions, c'est que les passages altérés n'ont pas été rétablis en 1824 et en 1827, alors que la réaction leur assurait un succès de circonstance. M. Artaud de Montor n'a pas montré la même réserve de bon goût dans certaines appréciations de ses notes, systématiquement hostiles à l'Empereur et à l'Empire, et que nous avons, nous, très-résolûment biffées, non comme dangereuses, mais comme inutiles, parfois même comme ridicules. Il ne faut pas permettre aux passions politiques de passionner jusqu'aux lieux réservés du commentaire, et au scoliaste de dégénérer en tribun. Un livre comme les Lettres de madame du Deffand s'adresse à des lecteurs de tous les partis, et il ne doit en déranger aucun dans cette innocente jouissance d'un plaisir exclusivement littéraire.

Du reste, l'Avis des éditeurs de 1812 ne permettait aucun doute en ce qui touche ces suppressions ou corrections qu'on a si

1 Ces détails sont empruntés à une Note adressée en 1860 à M. Ludovic Lalanne, directeur de la Correspondance littéraire, par M. Taillandier, conseiller à la cour de cassation, et un de nos érudits les plus distingués. — Voir dans le même recueil un excellent article de M. Rathery (no du 10 décembre 1859), sur les Lettres de M. le Blanc et de la duchesse de Choiseul, à propos de la Correspondance inédite de madame du Deffand.

légèrement flétries du nom de mutilation. Ils disent formellement, et ils ne se fussent pas exposés à un trop facile démenti, qu'ils n'ont pas touché au texte de madame du Deffand et ont seulement modifié quelquefois le texte des notes, où l'éditeur anglais donnait des extraits abondants et même indiscrets des lettres de Walpole à madame du Deffand.

- Parmi ces notes cependant, disent-ils, il s'en est trouvé quelquesunes que le goût national et un juste sentiment des convenances devaient condamner; d'autres qu'une connaissance plus particulière des localités rendait superflues pour des Français.

» Quant aux lettres elles-mêmes, elles paraissent ici, aux fautes typographiques près, telles qu'elles ont été publiées à Londres. Quelque erronées que puissent avoir été dans certaines circonstances les opinions de madame du Deffand, par respect pour la mémoire d'une femme célèbre, on ne s'est permis aucune observation.

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C'est là une assertion dont, à très-peu de chose près, nous avons minutieusement vérifié l'exactitude, et nous avons constaté que, sauf quelques passages soigneusement relevés par nous et dont l'absence n'altérait en rien la physionomie morale ou littéraire de madame du Deffand et d'Horace Walpole, le texte de l'édition de Londres ne nous apportait, pour notre édition définitive, qu'une garantie d'authenticité et, chose humiliante à dire, de correction; car les éditeurs français ne se sont pas gardés de plus d'une faute évitée dans l'édition anglaise, et leur texte est incontestablement moins sûr. Nous avions d'abord l'intention de guillemeter ou de mettre entre crochets les passages supprimés par l'éditeur de 1812 et rétablis par nous, nous aurions voulu pouvoir dire victorieusement. Mais ces conquêtes sur l'arbitraire, ces rédemptions de l'oubli sont tellement insignifiantes, nous le répétons, que nous avons condamné à la modestie de la note, où nous les avons signalés, ces titres dérisoires à la curiosité du public. Un travail bien plus utile et bien plus obscur, ç'a été celui de l'échenillement grammatical, celui du redressement des phrases souvent tronquées, d'après le type si français et si littéraire du style habituel à madame du Deffand. Il a fallu bien de la peine et bien du dévouement à une illustre mémoire, pour entreprendre et pousser jusqu'au bout sur chaque phrase du texte, ce travail de minutieuse et pieuse restauration, de relèvement de la phrase d'après l'idée, comme on répare, d'après le modèle, une statue brisée.

L'édition de 1812 contenait une traduction de l'introduction biographique anglaise et une table des matières.

Il Y a eu, en 1824 et en 1827, deux autres éditions des Lettres de madame du Deffand à Horace Walpole', avec des améliorations plutôt typographiques que littéraires.

L'édition de 1827, quoiqu'elle porte le nom du libraire Ponthieu, a été faite, croit-on, par les soins et aux frais de M. Schubart, qui, sans être breveté, se livrait à des opérations de librairie. La Notice sur madame du Deffand, placée en tête, est signée des initiales de deux hommes de lettres dont la destinée a été très-différente. On hésitait entre M. Adolphe Thiers et M. Adolphe Thibeaudeau. Enfin, le masque est tombé, et M. Thiers demeure l'auteur avoué de ce morceau, sur lequel la célébrité actuelle de son auteur a jeté un éclat rétrospectif. Ce « chef-d'œuvre en son genre » n'a, selon nous, rien que d'élégamment superficiel. C'est de la critique à fleur de peau, de l'observation avant l'expérience, et du talent avant le style. Chez les Chinois, les hommes illustres ennoblissent leurs ancêtres. Chez les Français, la gloire postérieure fait sortir de l'ombre bien des juvenilia aussi injustement exaltées que d'abord injustement dédaignées. Cette Notice agréable et légère, qu'en 1827 M. Thiers n'osa risquer que sous les initiales de son nom, ce chefd'œuvre incognito est aujourd'hui célébré comme une merveille et imprimé comme un trophée. M. Thiers, qui a trop d'esprit pour ne pas se rendre justice, doit rire sous cape de ce fétichisme subit pour ses moindres commencements.

V

Combien il est plus juste et plus sage de rendre aux mérites et aux services de l'éditeur de Londres, qui le premier nous a mis en possession d'un des chefs-d'œuvre de la littérature du dix-huitième siècle, un sincère et respectueux hommage; car l'éditeur de Londres était une femme, une amie d'Horace Walpole, qui a mis à monter ces perles épistolaires un soin et une habileté toute féminine.

Madame du Deffand avait légué à Horace Walpole tous ses manuscrits, qu'elle avait eu un moment l'idée d'offrir à madame de Choiseul, ses lettres et ses livres de toute espèce, avec la permission au prince de Beauvau, son exécuteur testamentaire avec le marquis d'Aulan (son neveu), de faire un choix dans ses livres et de faire copier dans ses recueils les papiers qui pourraient lui faire plaisir.

1 Ponthieu et Cie, libraires, au Palais-Royal, 4 vol. in-8°. 2 Correspondance inédite, 1859, t. II.

-1827, id.

Dès les premiers jours de son commerce épistolaire avec Walpole, elle avait religieusement gardé ses lettres. Le 5 mai 1766, elle lui écrit :

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Il faut que je vous dise une chose que je répugne à vous dire; je garde vos lettres, et je ne serais pas fàchée que vous gardassiez les miennes; je me flatte que je n'ai pas besoin de vous assurer que ce n'est pas que je pense qu'elles en vaillent la peine; mais c'est pour me préparer l'amusement de revoir par la suite ce que nous nous sommes dit l'un à l'autre. Je viens d'acquérir un petit coffre pour serrer les vôtres ; encore du roman, direz-vous. Allez, allez, mon tuteur, vous êtes insupportable.

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Le 2 janvier 1771, elle écrivait, au moment de faire son testa

ment :

Je vais incessamment avoir une occupation assez sérieuse; mais il m'est nécessaire, avant de m'y mettre, que vous répondiez avec amitié à la demande que je vais vous faire. Je veux avoir votre consentement, avant que de rien commencer. Je désire de vous confier tous mes manuscrits; je suis décidée à ne pas vouloir qu'ils soient en d'autres mains que les vôtres. Il n'y a certainement rien de précieux, et si vous ne les acceptez pas, je les jetterai tous au feu sans aucun regret. Vous comprenez bien dans quelle occasion ils vous seront remis. Ne craignez point que la façon dont j'énoncerai ma volonté puisse jeter sur vous le plus petit ridicule. Je sais trop combien vous êtes délicat sur cet article, pour vouloir continuer, par delà ma vie, à vous tourmenter et vous déplaire. Deux mots suffisent pour m'apprendre ce que je dois faire; écrivez-les, je vous supplie, et c'est la dernière grâce que je vous demande; ces mots sont : J'y consens. Commencez par là votre réponse, et qu'il n'en soit plus question dans le courant de la lettre.

"

La lettre du 9 janvier contient un rappel de cette prière :

Adieu, je compte trouver pour commencement dans votre première ou seconde lettre les mots que je vous ai demandés : J'y consens.»

Le 19 janvier, elle accusait réception de lettres de Walpole du 8 et du 12. L'une de ces deux lettres contenait l'acceptation sacramentelle de Walpole, car elle lui écrit par cette même lettre :

Je suis contente au delà de toute expression, de ces deux mots :

« J'y consens. » Je ne vous en parlerai plus jamais. »

Le dimanche 17 février 1771, madame du Deffand écrit à Walpole :

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« J'oubliais de vous dire que mercredi dernier, jour des Cendres (13 février), je fis usage de votre « J'y consens. » Ce fut une scène assez comique; j'étais avec deux messieurs qui étaient les acteurs, et

j'avais Pont-de-Veyle pour spectateur. La scène, qui naturellement devait être sérieuse, fut fort gaie les deux messieurs sont personnages de comédic1, ils furent fort embarrassés à désigner le siége que j'occudais; ce n'était point, disaient-ils, une chaise, ni un fauteuil, ni un canapé, ni une bergère, ni une duchesse; un tonneau ou une ravaudeuse les auraient trop surpris; ils n'auraient pas voulu se servir de ces mots; enfin ils écrivirent fauteuil.

» J'ai une vraie satisfaction que cette affaire soit terminée, et jamais vous ne m'avez fait un plus véritable plaisir qu'en prononçant ces deux mots. J'en attends trois autres qui me rendraient bien contente : devinez-les.

Ce qui nous étonne et ce que nous ne pouvons expliquer que par un nouveau testament ou un nouveau codicille, c'est que madame du Deffand, à une date très-éloignée du 13 février 1771..., le mercredi 5 mai 1773, dans une lettre à l'abbé Barthélemy, parle encore de dispositions et de notaire :

« Rien n'est plus surprenant; il n'est que deux heures après midi; je suis levée, ma toilette est faite, je suis établie dans mon tonneau; j'effile mes chiffons et je vous écris en attendant... Devinez qui?....... Un notaire! Pour placer de l'argent? me direz-vous. Oh! pour cela, non. Pour emprunter? pas davantage. Mais pour faire mon testament. Je vous jure que je n'en suis pas attristée. »

Par une lettre à Walpole, du 28 octobre 1774, nous apprenons qu'Horace Walpole, toujours par suite de cette peur panique du ridicule qui semble avoir été le mobile et le tourment de sa vie morale, avait profité du séjour du général Conway, son meilleur ami, à Paris, pour se faire rendre par madame du Deffand les lettres qu'il lui avait écrites. Il faut même que, préoccupé exclusivement du but, il n'ait pas respecté toutes les convenances de ce sujet délicat; car madame du Deffand lui écrit ces lignes attristées, pleines de plaintes discrètes et d'indirects reproches.

« Je ne me flatte point de vous revoir l'année prochaine, et le renvoi que vous voulez que je vous fasse de vos lettres est ce qui m'en fait douter. Ne serait-il pas plus naturel, si vous deviez venir, que je vous les rendisse à vous-même? Car vous ne pensez pas que je puisse vivre encore un an. L'idée de ravoir vos lettres d'abord est singulière. Il n'était pas besoin de Pont-de-Veyle pour que vous fussiez sûr qu'elles vous fussent remises fidèlement; il y a longtemps que Wiart a ses instructions. Mais vous me faites croire, par votre méfiance, que vous avez en vue d'effacer toute trace de votre intelligence avec moi, et c'est ce qui m'a fait vous demander, dans ma dernière lettre, si vous

1 Des notaires.

2 Correspondance inédite de madame du Deffand, publiée par M. de Sainte-Aulaire, 1859, t. II, p. 201.

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