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et qui avait épousé madame de Mailly (madame de Châteauroux)'.

Comme on le voit par cet aperçu, dans le mariage de mademoiselle de Chamrond, fille d'une sœur de madame de Luynes et petite-fille du premier président Brulart, avec M. de la Lande, petitfils d'une sœur du même premier président Brulart, devaient se rejoindre, pour ainsi dire, les deux branches de la même race, et se confondre, mélangé des alliances de deux générations, le même sang originel.

Les du Deffand sont une excellente maison de l'Orléanais, investie à cette époque, de père en fils, de la lieutenance générale de ce pays. Une femme spirituelle et intrigante, favorite de madame de Guise, sœur de mademoiselle de Montpensier et dont il est longuement question dans ses Mémoires, pour lesquels, en raison de cette devancière fort digne d'elle, madame du Deffand avait un faible particulier, avait préparé, par toutes sortes de manéges, les voies à cette famille jusque-là fort inconnue à la cour et dans les emplois.

« On donna, dit Mademoiselle, madame du Deffand à ma sœur de Guise. C'était une femme du Poitou, fille d'une manière de gentilhomme qui avait été maître d'hôtel du feu comte de Fiesque, mari d'une gouvernante. Elle avait quelque bien. Elle avait épousé M. du Deffand, gentilhomme du Poitou, très-débauché. Elle était séparée d'avec lui. Elle était jolie et avait beaucoup d'esprit. »

Femme intrigante et souple, madame du Deffand s'était glissée, en rampant, de la domesticité de madame la maréchale de la Meilleraye, jusqu'à la faveur qui la mit subitement en lumière.

« Elle était d'une agréable conversation. L'intendant du Poitou, qui était M. de la Villemontier, ne se déplaisait pas avec elle. Lorsque la cour y alla, il l'introduisit auprès de M. le Tellier, qui aimait à la faire causer les soirs avec lui. Elle se vit quelque crédit par les amis qu'elle s'était ménagés. Elle se figura que son savoir-faire ne lui serait pas inutile, si elle allait à Paris. Lorsqu'elle y fut venue, elle s'introduisit chez madame la duchesse d'Aiguillon. Cette femme avait l'esprit flatteur et insinuant. Elle se mit bien dans le sien, et allait très-souvent avec elle à Saint-Sulpice. Elle dansait le tricotet à Poitiers de façon à être remarquée de la Reine........... »

Bref, elle fut attachée à la grande-duchesse de Toscane sœur de Mademoiselle. Elle se fit amie de tout le monde et de madame la grande-duchesse par sa souplesse naturelle...

1 Mémoires du duc de Luynes, juin 1742, t. IV, p. 167.—V. aussi t. XI, avril 1751, p. 101.

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Son jugement ne répondait pas au feu qu'elle avait dans l'esprit. Elle ne fut pas longtemps à y faire des fautes, et contribua beaucoup à donner à ma sœur du dégoût de son mari et de son pays. Elle s'entremit de quelques négociations entre eux. Elle poussait ma sœur d'un côté et M. le grand-duc de l'autre... »

Avec tout cela, elle arriva à être dame d'honneur de madame de Guise, et à avoir l'honneur d'entrer dans le carrosse de la Reine et de manger avec elle 1.

Le marquis du Deffand, petit-fils de la dame, était né en 1688, et avait par conséquent huit ans seulement de plus que sa femme, c'est-à-dire, en 1718, trente ans et mademoiselle de Vichy vingtdeux ans.

Il venait d'être fait brigadier, son régiment de dragons, acheté par lui en 1705, ayant été réformé en 1713.

Pour achever immédiatement ce qui le concerne, car nous aurons peu à parler de lui dans l'histoire de sa femme, disons que le 28 janvier 1717, il obtint, sur la démission de son père, lieutenant général des armées du roi et gouverneur de Neuf-Brisach, la lieutenance générale de l'Orléanais.

Son père, mort en 1728, avait eu lui-même cette lieutenance générale sur la démission de son père, mort ancien maréchal de camp en 1699, lequel l'avait achetée.

A la mort du marquis du Deffand, décédé à Paris le 24 juin 1750, son frère le chevalier de la Lande, qui avait été colonel du régiment d'Albigeois-infanterie, depuis réformé, hérita de cette charge de lieutenant général de l'Orléanais. (2 juillet 1750) o.

Après avoir épuisé le tableau de la famille du mari de madame du Deffand, il nous reste à achever le croquis de la sienne.

Elle avait deux frères, dont l'un, son cadet, qui habitait Montrouge, était chanoine trésorier de la Sainte-Chapelle du Palais, à Paris.

Son frère aîné, le comte de Vichy-Chamrond, quitta le service en 1743, pour cause de santé, avec le grade de maréchal de camp, et se retira dans sa terre de Chamrond, en Briennois, où il épousa une demoiselle d'Albon, appartenant à une des meilleures familles de la province, dont il eut une fille et deux fils qui prirent le parti des armes.

Enfin, une sœur de madame du Deffand, la marquise d'Aulan,

1 Mémoires de Mademoiselle. Collect. Michaud et Poujoulat, t. XXVIII, p. 105 et 106.

2 Mémoires du duc de Luynes, t. X, p. 286, 289.

b.

habita à Avignon, où elle mourut en 1769. Nous verrons en 1778 son fils, le marquis d'Aulan, venir un moment, à l'appel de sa tante, demeurer avec elle.

Ainsi, par sa famille ou celle où elle allait entrer, Marie de Vichy-Chamrond, marquise du Deffand, devait se trouver riche d'alliances qui lui assuraient une place et même un rang à la

cour.

Elle était par exemple, en 1742, au milieu de sa vie, nièce de madame la duchesse de Luynes, dame d'honneur de la Reine, parente éloignée du duc de Choiseul, issu du second mariage de sa grand'mère, et c'est là l'occasion de ce surnom de grandmaman qu'elle donnera dans ses lettres à la duchesse de Choiseul, qui aurait pu être sa petite-fille. Elle était alliée aux Chavigny, à la duchesse de Châteauroux (la Tournelle); enfin l'archevêque de Toulouse, Loménie de Brienne, futur cardinal-ministre, était son arrière

neveu.

Nous voyons, par le contrat de mariage de madame du Deffand, qu'elle avait perdu sa mère de bonne heure, et qu'elle avait pour tuteurs honoraires son aïeule et M. Bouthillier de Chavigny, son oncle, nommé à l'archevêché de Sens. Nous y voyons aussi que sa fortune, qui devait s'élever plus tard, d'après son propre compte, à trente-cinq mille livres de rente, était alors beaucoup moindre, son mari n'étant pas très-riche, et ne retirant guère plus de cent pistoles de sa charge de lieutenant général de l'Orléanais. La liquidation des reprises dotales établies sur ce contrat ne devait pas, en 1750, s'élever à plus de cent mille livres.

Nous connaissons maintenant la famille, l'éducation, le caractère et la fortune de madame du Deffand. Nous connaissons aussi les mœurs de son temps; grâce à ces préliminaires un peu minutieux, mais si instructifs, nous possédons le flambeau qui éclairera tous les mystères de sa vie. Nous n'avons plus besoin que d'en dérouler le tableau. Et après l'avoir vue entrer dans le monde en pleine année 1718, belle, gracieuse, spirituelle, coquette, impatiente de plaire et peut-être de dominer, au bras d'un mari qu'elle connaissait à peine et qu'elle n'aimait guère, nous ne nous étonnerons pas trop de la retrouver bientôt (sans son mari) avec d'autres femmes de grand esprit mais de moyenne vertu, à ces bals de l'Opéra et à ces soupers du Palais-Royal, où le Régent, « qui gâta tout en France", narguait les Philippiques et déployait, comme l'a dit Duclos, toutes les qualités qui ne sont pas des qualités de prince. »

IV

Le fait important, moralement parlant, de cette première période de liberté, car alors une jolie femme était émancipée par le mariage, c'est le goût passager, comme tous ses goûts, que madame du Deffand inspira au Régent, à un homme à la fois inconstant par tempérament et par système. Nous retrouvons dans les chroniqueurs contemporains plus d'une trace des relations de madame du Deffand, pendant la Régence, avec madame de Parabère, madame de Prie, surtout madame d'Averne, et nous ne serions pas étonné qu'elle fût entrée dans l'intimité du Palais-Royal précisément à la suite de madame d'Averne, qui nous paraît avoir été, à ce moment, sa meilleure amie. On sait qu'une rivalité, surtout une rivalité passagère, n'entraînait entre ces maîtresses « alternatives et consécutives, » comme dit Marais, que le Régent avait dressées à l'insouciance du sérail, aucune rupture ni aucun éclat. Quoi qu'il en soit, il nous est impossible de préciser d'une façon authentique le moment de la passagère faveur de madame du Deffand. L'unique témoignage que nous en ayons est celui de Walpole, qui ne pouvait tenir le fait que de madame du Deffand elle-même, ce qui donne une grande autorité à son indiscrétion.

On voit donc dans une lettre d'Horace Walpole à son ami le poëte Gray, que madame du Deffand fut un moment la maîtresse du Régent. Ailleurs, il parle de quinze jours. Et la brièveté de cette liaison intime n'a rien d'invraisemblable. Quinze jours doivent être longs comme une éternité, entre un homme qui a pris une maîtresse pour se distraire et une femme qui a pris un amant pour se désennuyer. C'est l'ennui, l'incurable ennui qui avait mis le Régent aux pieds d'une femme qui ne semblait point ennuyeuse. C'est aussi l'ennui, dont madame du Deffand dit plus tard " qu'il a été et sera la cause de toutes ses fautes», qui l'avait rendue sensible aux hommages d'un homme qui, quoique prince, ne semblait pas un sot. Vrai marché de dupe, dont il fallut bien reconnaitre la vanité au bout de quinze jours. Il fallait au Régent, pour l'amuser, une femme jolie et niaise; il fallait à madame du Deffand, pour la distraire, l'amour d'un aimable imbécile. Mais on se résigne difficilement à des choix aussi désespérés. Et voilà pourquoi, d'expérience en expérience, de déception en déception, le Régent et madame du Deffand, acharnés après leur chimère, s'ennuyèrent toute leur vie.

Au bout de quinze jours donc, on convint, de part et d'autre,

avec une bonne foi mutuelle, une réciproque bonne grâce, que l'on ne pouvait pas se convenir; et la liaison intime se dénoua, avant l'odieux ou le ridicule, par le plus opportun des divorces. Mais le Régent avait trop d'esprit pour renoncer à madame du Deffand tout entière. De son côté, elle raffolait malgré elle de ce grand sceptique. Tout s'arrangea pour le mieux dans une amitié où il entrait plus de sympathie que d'estime, et où madame du Deffand, qui ne contribuait plus qu'à l'agrément de celui dont elle n'avait pas su faire le bonheur, put essayer, sans qu'il le trouvât mauvais, de le faire contribuer à sa fortune.

Nous la voyons, dès 1721, tendre partout le piége irrésistible de son esprit, de sa gaieté, de ses grâces. Elle prit bien un second amant par habitude; il n'y a que le premier pas qui coûte dans la crédulité du cœur comme dans celle de l'esprit. Mais nous ne pensons pas que les feux d'une femme qui se déclarait elle-même « sans tempérament ni roman » aient été jamais bien vifs. L'important à ce moment, c'était d'être bien avec la maîtresse régnante, et de profiter de la faveur de celles qui avaient été plus habiles ou plus heureuses qu'elle. C'est ainsi qu'en août 1721, nous voyons madame du Deffand passée à l'état d'inséparable de madame d'Averne, dont le règne commence, et dont l'étoile vient d'éclipser l'astre pâli de madame de Parabère; et, ce qui prouve sa finesse, sans se brouiller cependant avec cette dernière.

Les Mémoires de Matthieu Marais', le chroniqueur naïf et salé de la Régence, vont devenir, sur cette période délicate de la vie de madame du Deffand, notre unique guide, et nous tombons fort bien, car c'est un guide de belle humeur :

« Le Régent a donné une fête magnifique à la maréchale d'Estrées, dans une maison de Saint-Cloud, qui était autrefois à l'électeur de Bavière 2. Madame d'Averne y était brillante, avec madame du Deffand et une autre dame. Plusieurs autres dames se sont excusées d'y venir, et n'ont point voulu prendre part à cette joie. Il y avait beaucoup d'hommes de la cour du Régent. La fête a duré une partie de la nuit. Les jardins de Saint-Cloud étaient illuminés de plus de vingt mille bougies, qui faisaient avec les cascades et les jets d'eau un effet surprenant. Tous les carrosses de Paris étaient dans le bois de Boulogne, à Passy et à Auteuil, et on voyait de toutes parts les délices de Caprée 3.

"

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Il y avait, dit un autre Journal sur la Régence, celui de l'employé de la Bibliothèque, Buvat, que vient de publier notre érudit et ingénieux

1 Publiés par nous chez F. Didot; 4 vol. in-8°, 1862-1864.

2 Sur la côte, à droite du pont. (Barbier.)

3 Journal et Mémoires de Matthieu Marais, 30 juillet 1721. T. II, p. 181, - Voir aussi Barbier, t. Ier, p. 144.

182.

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