Page images
PDF
EPUB
[graphic][merged small][merged small][subsumed][merged small][merged small]

DE LA

MARQUISE DU DEFFAND

AVEC SES AMIS

LE PRESIDENT HENAULT-MONTESQUIEU-D'ALEMBERT-VOLTAIRE HORACE WALPOLE

CLASSÉE DANS L'ORDRE CHRONOLOGIQUE

ET SANS SUPPRESSIONS

AUGMENTÉE DES LETTRES INÉDITES AU CHEVALIER DE L'ISLE

PRÉCÉDÉE D'UNE

HISTOIRE DE SA VIE, DE SON SALON, DE SES AMIS

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][graphic][subsumed][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]
[blocks in formation]

MADAME DU DEFFAND

SA VIE

SON SALON, SES AMIS, SES LETTRES

I

Née en plein règne de Louis XIV, et, en vertu d'un privilége de longévité qu'elle partage avec Voltaire et le maréchal de Richelieu, morte sous Louis XVI, au moment où la toile commence à se lever sur la scène de la Révolution, madame du Deffand est, avec Voltaire pour les idées, le maréchal de Richelieu pour les mœurs, un des représentants les plus complets du dix-huitième siècle, un de ses types moraux et littéraires les plus parfaits, un de ses témoins les plus indispensables et les plus agréables à écouter.

Frivole avant d'être sérieuse, galante avant de devenir philosophe, habile à se servir du rouge et des mouches avant de les quitter, et à jouer de l'éventail avant de jouer avec la plume, maitresse du Régent avant d'être l'amie d'Horace Walpole, ornée de deux beaux yeux qui firent, avant de se retourner à jamais sur les ténèbres de son âme, plus d'une victime et plus d'une dupe, madame du Deffand, par l'expérience comme par l'esprit, peut être considérée, au point de vue de l'histoire de la société française, à une de ses heures les plus brillantes, comme un des meilleurs guides dont l'historien et le moraliste puissent se servir. Quel observateur et quel philosophe de premier ordre qu'une femme qui a vécu, parmi les femmes avec madame de Parabère, madame d'Averne, mademoiselle Aïssé, madame de Prie, madame de Staal, madame de Flamarens, mademoiselle de l'Espinasse, madame d'Aiguillon, madame de Mirepoix, madame de Boufflers, la duchesse du Maine, la maréchale de Luxembourg, la duchesse de Choiseul;-parmi les hommes : avec Voltaire, le président Hénault, Montesquieu, d'Alembert, Pont-de-Veyle, M. de Maurepas, le

chevalier d'Aydie, et dont le salon victorieux de la rivalité du cercle de madame Geoffrin, exclusif asile des encyclopédistes et des philosophes, a été, pendant quarante ans, le rendez-vous favori et presque officiel des ambassadeurs de toutes les cours de l'Europe, à une époque où la politique avait encore de l'esprit !

A ses habitués, que madame de Tencin appelait familièrement « ses bêtes », il n'a manqué que Jean-Jacques Rousseau, Diderot et Buffon: Jean-Jacques, trop difficile à apprivoiser; Diderot, trop difficile à retenir; Buffon, trop difficile à rassasier d'attention et d'admiration. Je veux bien voir une lacune dans cette triple absence. Mais combien elle est compensée, à mon gré, par l'empressement flatteur des étrangers illustres, des voyageurs couronnés, des ambassadeurs d'élite qui n'allaient que chez madame du Deffand, parce que là seulement ils trouvaient une hospitalité complète, la liberté d'esprit qui attire et la courtoisie qui rassure, la hardiesse permise aux idées et les égards dus aux situations, la familiarité qui honore et non celle qui déplaît, enfin la meilleure compagnie à la fois et la meilleure société.

L'importance et l'intérêt du recueil des lettres de madame du Deffand, à ce triple point de vue de l'histoire politique, sociale et morale de son temps, sont incontestables; la qualité et la variété des modèles relèveraient même une œuvre médiocre. Que sera-ce donc si le peintre est encore supérieur à ses originaux et si le tableau est un chef-d'œuvre? Il faut donc se borner, pour retenir ce groupe de lecteurs délicats, amis aussi précieux que juges difficiles, à constater qu'envisagées exclusivement au point de vue des qualités purement littéraires, la plupart des lettres de madame du Deffand sont des chefs-d'œuvre de naturel, de grâce, de finesse, de malice, de profondeur; qu'elles contiennent des récits dignes de madame de Sévigné et des portraits dignes de Saint-Simon; enfin qu'elles sont écrites dans cette langue à la fois souple et forte, légère et solide, qui rappelle, sans qu'elle ait songé à les imiter, les meilleurs modèles du siècle où l'on a le mieux écrit et du siècle où l'on a le plus pensé.

Dans cette Correspondance, sorte de confession quotidienne d'une ame qui joint à une insatiable curiosité une implacable franchise, cette fine et apre douairière, dont l'insomnie est agitée des problèmes qui ont tourmenté Pascal, étudie en se jouant et creuse sans s'en douter les plus graves questions de la vie et de la destinée humaines, et elle le fait avec une intensité de pensée, une vigueur d'analyse qu'on admire jusqu'à l'effroi. Rien ne trouble cette mé

« PreviousContinue »