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L'Oceana d'Harrington est une répétition de | chef-d'œuvre. Obligé de m'arrêter à des beautés l'Utopie de Thomas More. Où un gouvernement parfait se trouve-t-il? En Utopie, nulle part, comme le nom le signifie.

Harvey écrivit sa découverte de la grande circulation du sang, Aucun médecin en Europe, ayant atteint l'âge de quarante ans, ne voulut adopter la doctrine d'Harvey, et lui-même perdit ses pratiques à Londres, parce qu'il avoit trouvé une importante vérité. Harvey fut encouragé de Charles Ier et lui demeura fidèle. Servet, brûlé en effigie par les catholiques, et en personne par Calvin, avoit indiqué la circulation du sang dans le poumon : le siècle ne fit d'un sayant de génie qu'un hérétique vulgaire, lequel un autre hérétique conduisit au bûcher.

que j'essayois de faire passer dans notre langue, je les ai mieux appréciées, en désespérant de les reproduire telles que je les sentois.

Milton n'étoit plus; on ne le connoissoit pas : son génie, sorti du tombeau comme une ombre, vint demander au monde pourquoi on l'ignoroit sur la terre, Étonné, on regarda ces grands mânes; on se demanda si réellement l'auteur de douze mille vers oubliés étoit immortel. La vision éclatante et majestueuse fit d'abord baisser les yeux, puis on se prosterna et on adora. Alors il fallut savoir ce qu'avoit été ce secrétaire de Cromwell, ce pamphlétaire apologiste du régicide, détesté des uns, méprisé des autres. Bayle commença et s'enquit des faits touchant la taille et la mine de Milton: cette mine-là étoit fière, et valoit bien celle d'un roi.

Une malédiction étoit dans la famille noble de Milton, dépouillée de sa fortune pendant les guerres civiles de la Rose rouge et de la Rose

Au reste, quant aux pamphlets anglois de pure politique, lorsqu'ils ne sont point infectés du jargon théologique de l'époque, ce qui est rare, ils restent à une immense distance de nos investigations modernes. Si vous en exceptez Milton, aucun publiciste de la révolution de 1649 n'ap-blanche: le père de Milton étoit protestant et son proche de Sieyes, de Mirabeau, de M. Benjamin Constant, encore moins de M. Carrel: ce dernier, serré, ferme, habile et logique écrivain, a dans sa manière quelque chose de l'éloquence positive des faits: son style creuse et grave; c'est de l'histoire par les monuments.

MILTON.

SA NAISSANCE. COLLEGE.

Au-dessus d'une foule de prosateurs et de poëtes, pendant les règnes orageux de Charles Ier et du Protecteur, s'élève la belle tête de Milton. Où sont les contemporains de ce génie, les Cowley, les Waller, les Denham, les Marvel, les Suckling, les Crashaw, les Lovelace, les Davenant, les Wither, les Habington, les Herbert, les Carew, les Stanley? Excepté deux ou trois de ces noms, quel lecteur françois connoit les autres? Le Génie du Christianisme parle raisonnablement du Paradis Perdu : j'avois à faire amende honorable d'une partie de mes jugements sur Shakespeare et Dante ; je n'ai rien à réparer auprès de l'homme dont le poëme a été l'occasion de ces recherches sur la littérature angloise: il ne me reste qu'à développer les motifs d'une admiration accrue par un examen plus approfondi d'un

grand-père, catholique ; celui-ci avoit déshérité son fils. La malédiction de l'aïeul, sautant une génération, se reposa sur la tête du petit-fils.

Le père de Milton, établi à Londres, où il devint notaire ( scrivener), épousa Sarah Caston, de l'ancienne famille de Bradshaw ou des Hanghton, dont il eut une fille, Anne, et deux fils, Jean et Christophe. Christophe le cådet fut royaliste, devint un des barons de l'échiquier et juge des Common Pleas sous Jacques II; il s'éteignit dans l'obscurité, dépouillé ou démissionnaire de sa place, peu de temps après ou avant la révolution de 1688; Jean l'aîné fut républicain et mourut non aperçu comme son frère : mais la raison de la nuit qui l'environnoit étoit d'une toute autre nature; on peut dire de lui ce qu'il a dit de la montagne sainte dans le ciel : << On ne la voyoit point, parce qu'elle étoit obs<< curcie par l'excès de la lumière. »

Le père de Milton aimoit les arts: il avoit composé un in Nomine à quarante parties; quelques

vieux airs de lui ont été conservés dans le recueil

de Wilby. Apollon, partageant ses présents entre
le père et le fils, avoit donné la musique au père,
la poésie au fils.

Dividuumque deum, genitorque, puerque tenemus,
(Milto ad patrem.)
Milton, le père, étoit peut-être né en France.
Son immortel fils naquit le 9 décembre 1608,

MILTON CHEZ SON PÈRE.
DE SA JEUNESSE.

OUVRAGES

dans la cité de Londres, Bread-Street, à l'en- | aux ennuis de Cambridge, devinrent la source des seigne de l'Aigle, augure et symbole. Shakes- calomnies que l'on répandit contre lui dans la peare vivoit encore: Milton reçut une éducation suite : on l'accusa d'avoir été voмi de l'univerdomestique lettrée, à l'ombre du tombeau de ce sité après les désordres d'une impure jeunesse ; grand génie inculte. Il acheva ses humanités à des pamphlets assurèrent qu'il avoit été forcé l'école de Saint-Paul à Londres, sous le docteur d'aller cacher sa vie en Italie. Johnson pense que Alexandre Gill; il eut pour tuteur Young, puri- Milton fut le dernier étudiant de l'université puni tain. Son extrême application à l'étude lui donna d'une peine corporelle. Rien de tout cela n'est de bonne heure des douleurs de tête et une grande vrai, et ne s'accorde même pas avec les dates foiblesse de vue; maux habituels de sa vie, dont d'une vie aussi correcte que religieuse. il avoit reçu le germe de sa mère. A dix-sept ans il passa au collège de Christ à Cambridge en qualité de pensionnaire minor, et à la surveillance du savant William Chappel, depuis évêque de Cork et Ross en Irlande. La beauté de Milton le fit surnommer « la dame du collège de Christ: » the lady of Christ's college: il rappelle complaisamment ce nom dans un de sès discours à l'université. Il donna des marques de ses dispositions poétiques, en composant des pièces latines et des paraphrases des psaumes en vers anglois. L'hymne sur la Nativité est admirable de rhythme et d'un effet inattendu,

C'étoit l'hiver; l'enfant né du ciel étoit venu enveloppé dans de rudes et pauvres langes; la nature s'étoit dépouillée de sa riante parure « pour sympathiser avec son maître : ce n'étoit pas le moment pour elle de se livrer aux plaisirs avec le soleil son amant; seulement elle avoit caché sa foiblesse sous l'innocente neige, <et jeté sur elle le saint et blanc voile des vierges.

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• La terre étoit en paix; les rois demeuroient en silence, comme s'ils sentoient l'approche de a leur souverain. Les vents caressoient les vagues annonçant tout bas de nouvelles joies au doux ⚫ océan. Les étoiles, regardant immobiles et surprises, ne vouloient pas s'enfuir : malgré toute ⚫ la lumière du matin, elles s'obstinoient à briller ⚫ dans le ciel, jusqu'à ce que leur seigneur leur parlát lui-même, et leur dit de s'en aller, » Recu bachelier en 1628, Milton, maître en 1632, quitta Cambridge par esprit d'indépendance, et refusa d'entrer dans le clergé. « Celui qui s'engage dans les ordres, dit-il, souscrit à ⚫son esclavage et prête un serment : il lui faut alors ou devenir parjure ou briser sa con« science. »>

Quelques passages de sa première élégie latine,

tune, s'étoit retiré à la campagne d'Horton, près
Le père de Milton ayant fait une petite for-
Colebrooke, en Buckingham-Shire. Milton l'y
rejoignit, et passa cinq années enseveli dans la
lecture des auteurs grecs et latins. Il faisoit, de
temps en temps, quelques courses à Londres
mathématiques, d'escrime et de musique.
pour acheter des livres et prendre des leçons de

«

dans la retraite : « Vous croyez qu'un trop grand Il écrivoit à un ami qui lui reprochoit de vivre << amour d'apprendre est une faute; que je me << suis abandonné à rêver inutilement mes an<< nées dans les bras d'une solitude lettrée, comme • Endymion perdoit ses jours avec la lune sur le << mont Latmus . . . Mais ces belles espérances « dont vous m'entretenez, qui flattent la vanité << et la jeunesse, ne s'accordent point avec ce «< casque obscur de Pluton, dont parle Homère. << Je mettrois bas ce casque, si dans ma vie ea«< chée je n'avois d'autre vue que de satisfaire une « frivole curiosité. Mais l'exemple terrible rapporté dans l'Évangile, du serviteur qui avoit « enfoui son talent, est présent à mes yeux : a ce n'est pas le plaisir d'une étude spéculative, « c'est la considération même du commandement évangélique qui m'empêche d'aller aussi vite « que d'autres et me retient par un religieux resa pect. Cependant, afin que vous voyiez que je « me défie quelquefois de moi-même, et que je prends note de certain retardement en moi, « j'ai la hardiesse de vous envoyer quelques-unes « de mes rêveries de nuit, dans la forme des << stances de Pétrarque.

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How soon hath Time, the subtle thief of youth,
Stoln on his wing my three and twentieth year!
My basting days fly on with full carreer,

But my late spring no bud or blossom shew'th.

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Combien vite le temps, adroit voleur de la ou il a l'air de préférer les plaisirs de Londres « jeunesse, a dérobé sur son aile mes vingt-trois

«< années! Mes jours hâtés fuient en pleine carrière; mais mon dernier printemps ne montre « ni boutons ni fleurs. . . . . »

De 1624 à 1638 il composa l'Arcades, Comus ou le Masque, Lycidas, dans lequel il semble prophétiser la mort tragique de l'évêque Laud; l'Allegro et le Penseroso, des Élégies latines et des Sylves.

Johnson a fait de l'Allegro et du Penseroso une vive analyse.

« L'homme gai entend l'alouette le matin; « l'homme pensif entend le rossignol le soir.

« L'homme gai voit le coq se pavaner, il prête « l'oreille à l'écho qui répète le bruit du cor et de « la meute dans le bois; il voit le soleil s'élever « avec gloire; il écoute le chant de la laitière; il regarde les travaux du laboureur et du faucheur ; il jette les yeux sur une tour éloignée où réside quelque belle dame : la nuit il fait ses « délices de quelque conte fabuleux.

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« L'homme pensif tantôt se promène à minuit « pour rêver, tantôt écoute le triste son de la clo«< che du couvre feu. Si le mauvais temps l'oblige « de rentrer chez lui, il s'assied dans une cham

«bre éclairée par la lueur du foyer. Ayant près

« de lui une lampe solitaire, il épie l'étoile du

a

«

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pôle pour découvrir l'habitation des âmes sépa

« rées de leurs corps, ou bien il lit les scènes pa

ment distincts; on ne peut trouver, il est vrai, de la gaieté dans la mélancolie du poëte; mais j'ai peur qu'on ne rencontre quelque mélancolie dans sa gaieté. Le Penseroso et l'Allegro sont deux nobles efforts d'imagination.

Milton a emprunté plusieurs images de ses beaux poëmes à l'Anatomie de la mélancolie, par Burton, imprimée en 1624.

MILTON EN ITALIE.

En 1638, Milton obtint de son père la permission de voyager. Le victomte Scudamore, ambassadeur de Charles Ier, reçut à Paris l'apologiste futur du meurtre de ce roi; il le présenta à Grotius. A Florence, Milton visita Galilée presque aveugle et demi-prisonnier de l'inquisition; il a souvent rappelé le courrier céleste, nuncius sidereus, dans le Paradis perdu, lui rendant ainsi l'hospitalité des grands hommes. A Rome, il se lia avec Holstein, bibliothécaire du Vatican. Chez le cardinal Barberini, il entendit chanter Léonora; il lui adressa des vers inspirés par les lieux qui avoient entendu la voix d'Horace.

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thétiques de la tragédie ou de l'épopée. Quand« insensé par l'ardeur de l'amour. Ah! qu'avec

« vient le matin, matin obscurci par la pluie et « le vent, il erre dans les sombres forêts où il n'y « a pas de sentier; il tombe assoupi au bord de quelque eau qui murmure, et, dans un enthou« siasme mélancolique, il attend un rêve d'avenir « ou une musique exécutée par quelques person« nages aériens.

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« bonheur, de ton temps, Léonore, l'infortuné « se seroit perdu pour toi! »>

Milton s'est plu à renfermer son génie dans quelques sonnets italiens; on aime à voir le terrible chantre de Satan se jouer à travers les doux nombres de Pétrarque.

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Canto, dal mio buon popol non inteso;
E'l bel Tamigi cangio col bel Arno.
Amor lo volse . . .

Seppi ch' amor cosa mai volse indarno.

Je chante, non entendu de mon bon peuple; ‹j'ai changé la belle Tamise pour le bel Arno.

« L'amour l'a voulu; l'amour n'a jamais voulu quelque chose en vain. »

Milton connut à Naples Manso, marquis de Villa, vieillard qui eut le double honneur d'être

l'ami du Tasse et l'hôte de Milton: il adressa à

ce dernier un distique renouvelé du pape saint
Grégoire :

Ut mens, forma, decor, facies, mos, si pietas sic,
Non Anglus, verum Hercle, angelus ipse fores.

« Si la piété répondoit au génie, à la forme, à

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désagréable d'abaisser Milton au rang de maître

la bonne grâce, à la beauté, aux manières, par | « laquelle tous ses biographes ont reculé: il leur est « Hercule! tu ne serois pas un Anglois, mais un ⚫ange. »

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Vieillard aimé des dieux, il faut que Jupiter J'emprunte ici l'élégante traduction de M. Villemain) ait protégé ton berceau, et que Phoebus « l'ait éclairé de sa douce lumière; car il n'y a ⚫ que le mortel aimé des dieux dès sa naissance, • qui puisse avoir eu le bonheur de secourir un ⚫ grand poëte. »

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Le chantre à venir des innocentes joies d'Éden prioit le ciel de lui accorder un pareil ami; il promettoit alors de célébrer les rois de la GrandeBretagne, cet Arthur qui « livra des combats sur laterre, terris bella moventem. Milton n'obtint pas la faveur qu'il imploroit; il n'a eu pour ami et pour défenseur de son nom que la postérité. Le poëte convie Manso de ne pas trop mépriser une muse hyperboréenne; car, lui-dit-il gracieusement, dans l'ombre obscure de la nuit nous ⚫ croyons avoir entendu des cygnes chanter sur la Tamise: >

Nos etiam in nostro modulantes flumine cygnos
Credimus obscuras noctis sensisse per umbras.

Milton avoit formé le projet de parcourir la Sicile et la Grèce : quel précurseur de Byron! Les troubles de sa patrie le rappelèrent : il ne rentra point en Angleterre sans avoir vu Venise, cette beauté de l'Italie, aujourd'hui si belle encore, bien que mourante au bord de ses flots.

MILTON REVENU EN ANGLETERRE. SES OCCUPATIONS ET SES PREMIERS OUVRAGES DE CONTROVERSE.

Le voyageur revenu à Londres ne prit aucune part active aux premiers mouvements de la révolution. Écoutons Johnson:

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d'école; mais comme on ne peut nier qu'il ensei« gna des enfants, l'un trouve qu'il les instruisit « pour rien, l'autre pour le seul amour de la pro

pagation du savoir et de la vertu. Tous disent ce « qu'ils savent n'être pas vrai, afin d'excuser une « condition à laquelle un homme sage ne peut « trouver aucun reproche à faire. »

L'esprit satirique et la malveillance de Johnson se fait ici remarquer. Le docteur, qui n'avoit pas vu de révolution, ignoroit que dans ces grands troubles les champs de bataille sont partout, et que chacun choisit celui où l'appelle son inclination ou son génie l'épée de Milton n'auroit pas fait pour la liberté ce que fit sa plume. Le docteur, grand royaliste, oublie encore que tous les royalistes ne prirent pas les armes ou ne montèrent pas sur l'échafaud, comme le duc d'Hamilton, le lord de Holland et lord Capel; que lord Arundel, par exemple, ami des muses comme Milton, et à qui la science doit les marbres d'Oxford, quitta Londres, tout grand maréchal d'Angleterre qu'il étoit, au commencement de la guerre civile, et alla mourir paisiblement à Padoue : il est vrai que son malheureux neveu, Guillaume Howard, lord Strafford, paya pour lui tribut au malheur, et l'on sait trop par qui son sang fut répandu.

Pendant trois ans, Milton donna des soins à l'éducation des deux fils de sa sœur et à quelques jeunes garçons de leur âge. Il habita successivement au cimetière de Saint-Bride dans Fleet-Street

et un grand hôtel avec un jardin dans Aldersgate. Il se fortifia dans les langues anciennes en les enseignant ; il apprit l'hébreu, le chaldéen et le syriaque. En 1640, à l'époque de la convocation du Long Parlement, il débuta dans la polémique et plaida la cause de la liberté religieuse contre l'Église établie. Son ouvrage, divisé en deux livres, adressé à un ami, a pour titre : of Reformation touching church discipline, etc.,<< de la Réformation touchant la discipline de l'Éa glise en Angleterre et des causes qui jusqu'ici « l'ont empêchée. » Il publia ensuite trois traités: Épiscopat anglois, Raison du gouvernement de l'Église, Apologie pour Smectymnus; ce nom étoit composé de la réunion de six lettres prises des noms des six théologiens auteurs du Traité de Smectymnus. Pour les lecteurs d'aujourd'hui, il n'y a rien à tirer de ces ouvrages, si ce n'est ce que Milton dit dans la Raison du gouverne

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«

ment de l'Église, de son dessein de composer un | rent demeurer chez le poëte. Milton avoit alors poëme en anglois.

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Peut-être avec le temps, le travail, et le penchant de la nature, j'enverrai quelque chose « d'écrit à la postérité, qu'elle ne laissera pas vo« lontiers mourir : je suis possédé de cette idée. « Peu m'importe d'être célèbre au loin; je me « contenterai des Iles Britanniques, mon univers. « Mais il ne suffit pas d'invoquer les filles de mé«moire, il faut par des prières ferventes implo« rer l'esprit éternel; lui seul peut envoyer le sé« raphin qui du feu sacré de son autel touche et « purifie nos lèvres. »

Milton ne faisoit pas aussi bon marché de sa renommée que Shakespeare: celui-ci plaît par l'insouciance de sa vie; d'un autre côté, on aime à voir un génie encore inconnu se prophétiser luimême, quand la postérité confirmant la prédiction, lui répond : « Non! je n'ai pas laissé mourir ce quelque chose que tu as écrit. »

Malheureusement Milton, cédant à l'ardeur de son caractère dans cette dispute religieuse, parle avec dédain du savant et vénérable évêque anglican Usher, à qui la science doit des travaux admirables sur l'histoire de la chronologie.

MARIAGE DE MILTON.

Milton, à l'âge de dix-neuf ans, avoit composé sa septième élégie latine dans laquelle il dit :

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« Un jour de mai, dans une promenade aux « environs de Londres, je rencontrai une jeune « femme d'une beauté extraordinaire. J'en devins « passionnément amoureux; mais soudain je la perdis de vue je n'ai jamais su qui elle étoit, et ne l'ai jamais retrouvée. Je fis le serment de « ne jamais aimer. »

Si le poëte tint son serment, il faudroit supposer qu'il n'aima aucune de ses trois femmes, car il se maria trois fois. En ce cas qu'auroit été la vierge si promptement évanouie? Peut-être cette compagne céleste qui visitoit l'Homère anglois pendant la nuit, et lui dictoit ses plus tendres vers. Dans un beau portrait de Milton, M. Pichot raconte que cette sylphide mystérieuse étoit Leonora, l'Italienne : l'auteur du Pèlerinage à Cambridge brode là-dessus une touchante nouvelle historique. W. Bowles et M. Bulwer ont développé la même fiction.

Le comte d'Essex ayant pris Reading en 1643, le père et le frère de Milton, qui s'étoient retirés dans cette ville, retournèrent à Londres et vin

trente-cinq ans : un jour il se dérobe de sa maison, sans être accompagné de personne; son absence dura un mois, au bout duquel il rentra marié, sous le toit d'où il étoit sorti garçon. Il avoit épousé la fille aînée de Richard Powel, juge de paix de Forest-Hill, près Shotover, dans Oxford-Shire. Richard Powel avoit emprunté du père de Milton 500 liv. st. qu'il ne lui rendit jamais, et qu'il crut payer en donnant sa fille au fils de son créancier. Ces noces, aussi furtives que des amours, en eurent l'inconstance: Milton ne quitta pas sa femme, comme Shakespeare: ce fut sa femme qui l'abandonna. La famille de Marie Powel étoit royaliste: soit que Marie ne voulût pas vivre avec un républicain, soit tout autre motif, elle retourna chez ses parents. Elle avoit promis de revenir à la Saint-Michel, et elle ne revint pas : Milton écrit lettres sur lettres, point de réponse; il dépêche un messager qui perd son éloquence et son temps. Alors l'époux délaissé se résout à répudier l'épouse fugitive pour faire jouir les autres maris de l'indépendance qu'il se propose, son esprit le porte à changer en une question de liberté une question de susceptibilité personnelle; il publie son traité sur le divorce.

TRAITÉ DE MILTON SUR LE DIVORCE.

Ce traité est divisé en deux livres :The Doctrine and discipline of divorce, restaured to the good of both sexes, etc., « Doctrine et discipline « du divorce, rétablies pour le bien des deux sexes. Il s'ouvre par une adresse au Long Parlement.

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« S'il étoit sérieusement demandé, ô Parlement renommé, assemblée choisie! qui de tous les « docteurs et maîtres a jamais attiré à lui un plus « grand nombre de disciples en matière de religion « et mœurs, on répondroit avec une apparence « de vérité : C'est la coutume. La théorie et la « conscience recommandent pour guide la vertu; cependant, que cela arrive par le secret de la « volonté divine ou par l'aveuglement originel de << notre nature, la coutume est silencieusement « reçue comme le meilleur instructeur. >>

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L'écrivain pose ensuite divers principes qu'il ne prouve pas tous également.

« L'homme est l'occasion de ses propres misè«res, dans la plupart de ses maux qu'il attribue « à la main de Dieu. Ce n'est pas Dieu qui a dé« fendu le divorce, c'est le prêtre. La loi de Moïse permet le divorce, la loi du Christ n'a pas aboli « cette loi de Moïse. La loi canonique est igno

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