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Mais il s'élève à Dieu : le palmier de Jeddiel

A ses pieds dans le sable et son front dans le ciel.

CALEB.

Des chefs séditieux pour combattre l'audace,
Il est temps qu'au conseil j'aille prendre ma place.
Dans ce triste moment les vierges d'Israël,
Instruites par vos soins à prier à l'autel,

Pour plaindre et partager votre douleur auguste
S'avancent.

(Le chœur des jeunes filles israélites entre dans ce moment sur la scène Caleb sort.)

MARIE, au chœur.

Approchez, postérité du juste,

Doux trésor de Jacob, par le ciel réclamé.
Désarmez du Seigneur le carquois enflammé ;
Au père qui nous frappe, au Dieu qui nous châtie,
Présentez de vos pleurs la pacifique hostie ;

Il est pour l'affligé des cantiques touchants,
Et souvent la douleur s'exprime par des chants.
SCÈNE VI.

MARIE, LE CHOEUR DES JEUNES FILLES
ISRAÉLITES.

(Cette scène est en partie déclamée, en partie chantée. Le chœur est divisé en deux demi-chœurs qui se placent l'un à droite et l'autre à gauche de Marie : le premier demichœur tient à la main des harpes, et le second, des tambours.)

PREMIER DEMI-CHOEUR.
Imitons dans nos concerts
Le pélican des déserts;
Jacob, ta gloire est passée,

Et de ton Dieu la clémence est lassée.

SECOND DEMI-CHOEUR.

Au divin Maître ayons recours;
A ses douces lois qu'on se range;
Qu'il soit la vigne de secours

Où le pécheur toujours vendange.
Sa grâce est au cœur pur, au cœur religieux,
Ce qu'est à nos autels un parfum précieux.
UN ISRAELITE DU PREMIER DEMI-CHOEUR.
N'espérons rien, pour finir nos souffrances,

De ses bontés.

UNE ISRAELITE DU SECOND DEMI-CHOEUR.
A ses clartés

Nous voulons rallumer nos vives espérances.

UNE ISRAÉLITE seule. Suspendons notre harpe, en ces temps de regrets,

Au palmier de la solitude.

Jourdain! fleuve espéré, séjour de quiétude,

Mes yeux ne te verront jamais.

Où sont les cèdres superbes,

Liban, que tu devois au temple projeté?

Jacob, de son Dieu rejeté,

Rampe plus bas que les herbes

Dans le lit du torrent desséché par l'été.

Par le pasteur avide.

DEUX ISRAELITES.

Douloureux mystères

D'un trépas caché,

Pleurons à la terre
Moïse arraché.

Loin du frais rivage

Où fut son berceau,
L'onagre sauvage
Foule son tombeau.

LA PLUS JEUNE DES ISRAELITES.
Mais qui me gardera sous l'aile de ma mère?
Moïse a disparu, Moïse étoit mon père.
O terre de Gessen! prés émaillés de fleurs
Où je cueillois ma parure!

Comme un jeune olivier privé d'une onde pure,
Je languis et je meurs.

TOUT LE CHOEUR.

Dieu nourrit de ses dons l'innocente colombe,
Le juste au temps marqué sortira de sa tombe.
D'Amalec les dieux mortels

Ne peuvent renverser les desseins éternels.
UNE ISRAELITE.

Ma sœur, avez-vu cette superbe Arzane?

De quel regard profane

Elle insultoit nos autels!

UNE AUTRE ISRAÉLITE.

Plus inconstante que les ondes,

Ses démarches sont vagabondes;

Ses lèvres et son cœur pour tromper sont d'accord;
Sa douce volupté d'amertune est suivie;
Et quand sa bouche invite à jouir de la vie,
Ses pas nous mènent à la mort.

UNE TROISIÈME ISRAÉLITE.

De nos jeunes guerriers le prince et le modèle,
Nadab étoit auprès d'elle.

TOUT LE CHOEUR.

Ah! fuyons, fuyons, mes sœurs,
Des passions les trompeuses douceurs!
TROIS ISRAELITES.

Ne vous reposez point à la source étrangère;
Buvez l'onde de vos ruisseaux.

Qu'une épouse fidèle, à l'ombre des berceaux, Soit plus belle à vos yeux que la biche légère!

TOUT LE CHOEUR.

Ah! fuyons, fuyons, mes sœurs,
Des passions les trompeuses douceurs!

PREMIER DEMI-CHOEUR.

L'homme marche à travers une nuit importune.

SECOND DEMI-CHOEUR.

Attachons-nous au Djeu qui bénit l'infortune; UNE ISRAELITE.

Qui sur un lit de pleurs mouillé Retourne le mourant, soutient son front livide; LA PLUS JEUNE DES ISRAELITES.

Qui mesure le vent à l'agneau dépouillé

TOUT LE CHOEUR.

Ingrats mortels, en vain vous résistez

Au Dieu qui vous conduit dans ses sublimes voies, Et qui d'intarissables joies

Rassasiera les cœurs en son nom contristés.

MARIE.

Mes enfants, c'est assez allez, toujours dociles,
Vous livrer au repos sous vos tentes tranquilles.
Voici l'heure pesante accordée au sommeil :
Tout se tait à présent sous les feux du soleil;
Les vents ont expiré : du palmier immobile
L'ombre se raccourcit sur l'arène stérile;
L'Arabe fuit du jour les traits étincelants,
Et le chameau s'endort dans les sables brûlants.

ACTE SECOND.

SCÈNE PREMIÈRE.

ARZANE, NÉBÉE.

NÉBÉE.

Nadab veut vous parler dans ce lieu solitaire.
Arzane, expliquez-moi cet étonnant mystère.
Quelle joie inconnue éclate dans vos yeux!
Dormirons-nous bientôt aux champs de nos aïeux?
Par votre ordre à Séir un moment retournée,
Je n'ai point vu d'Oreb la funeste journée;
Mais je suis revenue au bruit de vos malheurs,
Pour vous offrir du moins le secours de mes pleurs.

ARZANE.

Qu'il en coûte, Nébée, à servir l'infortune!
Qu'un sceptre brisé pèse à l'amitié commune!
La tienne est rare et grande : oui, tu mérites bien
Que je t'ouvre mon cœur dans un libre entretien.
NÉBÉE.

J'ai su que, par Moïse à mourir condamnées,
Les femmes d'Amalec qui comptoient seize années,
Ou qui du joug d'hymen portèrent le fardeau,
Devoient livrer leur sang au glaive du bourreau.

ARZANE.

On m'arracha des rois les saintes bandelettes, Et le malheur me mit au rang de mes sujettes. NÉBÉE.

Ciel!

ARZANE.

Dans un parc formé par d'épineux rameaux, Nous attendions la mort comme de vils troupeaux. L'Hébreu vient; on entend un long cri d'épouvante, Déjà brilloit du fer la lumière mouvante, Lorsque le fils d'Aaron, que la pitié combat, Retint le glaive ardent avant qu'il retombât.

Il contemple attendri ces femmes éplorées,
Qui lui tendoient de loin leurs mains décolorées.
Je paroissois surtout attirer ses regards;
Soit qu'un habit de deuil et des cheveux épars
A ma frêle beauté prêtassent quelques charmes;
Soit enfin qu'une reine, en répandant des larmes,
Trouve dans ses revers de nouvelles splendeurs,
Et n'ait fait seulement que changer de grandeurs.
NÉBÉE.

Nadab au doux pardon inclina ses pensées.

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Nadab...

ARZANE.

M'est odieux.

NÉBÉE.

Il veut votre bonheur.

Sa clémence...

ARZANE.

M'outrage.

NÉBÉE.

ARZANE.

Ma honte est son ouvrage. NÉBÉE.

Il vous rendra le trône.

ARZANE.

Il m'a donné des fers. NÉBÉE.

S'il s'attache à vos pas?

ARZANE.

Je le mène aux enfers.

NÉBÉE.

A vos desseins secrets que je prévois d'obstacles!

ARZANE.

L'amour de la patrie enfante des miracles.
Mais j'aperçois Nadab.... Reine de la beauté,
Prête-moi ta ceinture, ô brillante Astarté!
Donne à tous mes discours ta grâce souveraine;
Déesse de l'amour, sers aujourd'hui la haine.
Descends! à ton secours amène tous les dieux :
Şi Jéhovah triomphe, ils tomberont des cieux.
SCÈNE II.

NADAB, ARZANE, NÉBÉE.

ARZANE.

De ses destins, Nadab, votre esclave incertaine
Accourt à votre voix près de cette fontaine.
Si par ces yeux baissés je juge de mon sort,
Je crains bien qu'Amalec ne soit pas libre encor.

NADAB.

Étrangère, il me faut vous le dire sans feinte :
Les vieillards de Caleb ont écouté la plainte.
Le conseil, à qui seul le pouvoir appartient,
Pour quelques jours encor dans ce camp vous retient.
Sans gardes cependant vous pouvez de la plage
Parcourir les sentiers et l'arène sauvage.
Dathan, dont l'amitié ne craint aucun péril,
Amène auprès de vous vos compagnes d'exil.
On vous rend des honneurs inconnus sous nos tentes,
(Dathan entre en ce moment sur la scène, suivi du chœur des
jeunes filles amalécites, il se retire ensuite, et Nébée va se
placer à la tête du chœur au fond du théâtre.)
Et bientôt, au milieu des pompes éclatantes,
Rendue à vos sujets, embrassant l'avenir,
Vous perdrez de Nadab l'importun souvenir.

ARZANE.

Arzane par vos mains à la mort fut ravie,
Et d'un nouveau bienfait cette grâce est suivie !
Mon cœur reconnoissant ne peut s'exprimer mieux
Que par mon peu d'ardeur à sortir de ces lieux.

NADAB.

A ce langage adroit je ne puis me méprendre : Vous flattez l'ennemi dont vous croyez dépendre. Mais, nourrie à Séir pour plaire et pour aimer, Nos farouches vertus ne peuvent vous charmer.

ARZANE.

Amalec et Jacob diffèrent de maxime,

Il est vrai : nous croyons, sans nous en faire un crime,
Qu'aimer est le bonheur, plaire, un don précieux,
Et que la volupté nous rapproche des dieux.
Sous des berceaux de fleurs nos heures fortunées
S'envolent mollement l'une à l'autre enchaînées.
Le dieu que nous servons approuve nos désirs :
Dans une île féconde, aux doux chants des plaisirs,
La beauté l'enfanta sur les mers de Syrie;
Il préside en riant aux banquets de la vie.

Pour attirer sur vous ses bienfaisants regards,
J'ai déjà, les pieds nus et les cheveux épars,
De nos rites sacrés suivant l'antique usage,
Trois fois pendant la nuit conjuré son image....
Mais n'ai-je point, Nadab, armé votre courroux?
vous détestez le dieu que je priois pour vous.
Pardonnez à ces vœux que dans mon innocence
M'arracha le transport de la reconnoissance.

NADAB.

Qu'entends-je! Amalécite, apprenez donc mon sort.
Longtemps de mon amour je captivai l'essor :
Vous adorant toujours, mais respectant vos larmes,
Je n'aurois pas osé vous parler de vos charmes :
Un mot, dont l'homme heureux ne sent pas la valeur
Trop souvent peut blesser l'oreille du malheur.
Quand Moïse vivoit vous aviez tout à craindre;
A cacher mon ardeur je savois me contraindre :
Aujourd'hui que le ciel pour vous se veut calmer,
Votre bonheur me rend le droit de vous aimer.
ARZANE.

Épargnez...

NADAB.

Vous sauver changea ma vie entière, Ce cœur, que vous avez habité la première, Vit l'amour se lever terrible et violent Comme l'astre de feu dans ce désert brûlant. Le repos pour jamais s'envola de mon âme; Mon esprit s'égara dans des songes de flamme. Abjurant la grandeur promise à nos neveux, A l'autel des Parfums je n'offrois plus mes vœux; Je n'allois plus, lévite innocent et modeste, Chaque aurore au désert cueillir le pain céleste. Dans les champs de l'Arabe, et loin des yeux jaloux, Mon bonheur eût été de me perdre avec vous. De toi seule connue, à toi seule asservie, L'Orient solitaire auroit caché ma vie. Pour appui, du dattier, empruntant un rameau, Le jour j'aurois guidé ton paisible chameau; Le soir, au bord riant d'une source ignorée, J'aurois offert la coupe à ta bouche altérée, Et sous la simple tente, oubliant Israël, Pressé contre mon cœur la nouvelle Rachel.

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SCÈNE III.

MARIE, ARZANE, NADAB, NÉBÉE;
CHOEUR DE JEUNES FILLES AMALÉCITES.

MARIE.

Aaron n'est point ici, Nadab?

NADAB.

Il pleure le prophète au torrent de Cédab.

MARIE.

Rendez grâce au Seigneur; sa paix nous accompagne.
Moïse reparoît sur la sainte montagne.
Cherchant partout Aaron, je cours lui répéter
Ce qu'un chef des pasteurs vient de me raconter.
SCÈNE IV.

NADAB, ARZANE, NÉBÉE; CHOEUR DE
JEUNES FILLES AMALÉCITES.

ARZANE.

Fils d'Aaron, à mon sort il faut que je succombe!
Vous me parliez d'hymen, et je touche à ma tombe.
NADAB, sans écouter Arzane.

Nous allons te revoir enfin, fameux mortel,
Encor tout éclatant des feux de l'Éternel.
Honneur à tes vertus, et gloire à ton génie!

ARZANE.

Veillé-je? dans mes maux quelle affreuse ironie!
Quoi! Nadab, ces desseins où tous deux engagés,
Ces projets de l'amour...

NADAB.

Ils ne sont point changés.

ARZANE.

Entre Moïse et moi vous tenez la balance :
De votre passion je vois la violence.

NADAB.

Femme, je suis sans force à tes pieds abattu;
Mais ne puis-je du moins admirer la vertu?

ARZANE.

Qui pourra m'arracher de ce sanglant théâtre
Où la mort me poursuit?

NADAB.

Ce cœur qui t'idolâtre.

ARZANE.

Mais les remords viendront arrêter vos efforts.

NADAB.

Mais si je t'obéis, que te font mes remords?

ARZANE.

De ces hauts sentiments je serai la victime.

NADAB.

Laisse-moi m'enchanter d'innocence et de crime,
Connoître mes devoirs sans te manquer de foi,
Apercevoir l'abîme, et m'y jeter pour toi.

ARZANE.

Ma souffrance est ma joie, et je veux à jamais
Conserver la douceur du mal que tu me fais.
Hélas! mon fol amour m'épouvante moi-même;
Je me sens sous le coup de quelque arrêt suprême :
D'involontaires pleurs s'échappent de mes yeux;
La nuit, dans mon sommeil, j'entends parler tes
Prêt à sacrifier à leurs autels coupables, [dieux.
Je me réveille au bruit de mes cris lamentables.
Dis : n'est-ce pas ainsi, dans ses tourments divers,
Qu'une âme est par le ciel dévouée aux enfers?

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Incestueux projet, effroyable à mon âme!
Je hais du fils d'Aaron et la main et la flamme.
Amalec recevoir Israël dans ses bras!
Recueillir dans mon sein une race d'ingrats!
Je légitimerois ces exécrables frères,
Qui menacent nos fils, qui trahirent nos pères;
Ces esclaves du Nil, bâtisseurs de tombeaux,
Ignobles artisans flétris par leurs travaux,
Qui d'Égypte chassés avec tous leurs prophètes,
Proclament en tremblant d'insolentes conquêtes,
Se disent héritiers des florissants États

De cent peuples divers qu'ils ne connoissent pas !
NÉBÉE.

Sauvez, sauvez vos jours!

ARZANE.

Voudrois-tu donc, Nébée,
Aux autels de Jacob voir Arzane courbée,
Contrainte d'embrasser le culte menaçant
Du Dieu cruel qui veut exterminer mon sang?
S'il faut suivre aujourd'hui la fortune jalouse,

Je ressens vos douleurs, et m'en suis point complice. S'il faut que de Nadab je devienne l'épouse,

NADAB.

Cesse de t'excuser : j'adore mon supplice,

Que lui-même, parjure au culte de Nachor,
Serve avec moi Baal, et Moloch, et Phogor;

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