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■ N'ai-je pas étonné des gens en me faisant moine;, puis en quittant le bonnet brun pour un au<< tre? Cela vraiment a bien chagriné mon père, ⚫ et lui a fait mal. Ensuite je me suis pris aux cheveux avec le pape; j'ai épousé une nonne ⚫ échappée, et j'en ai eu des enfants. Qui a vu - cela dans les étoiles? Qui m'auroit annoncé d'avance qu'il en dût arriver ainsi? »

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Né à Eisleben le 10 novembre 1483, envoyé dès l'âge de six ans à l'école à Eisenach, Luther chantoit de porte en porte pour gagner son pain: Et moi aussi, dit-il, j'ai été un pauvre mendiant; j'ai reçu du pain aux portes des maisons. » Une dame charitable, Ursule Schweickard, en eut pitié et le fit élever; il entra en 1501 à l'université d'Erfurth : enfant pauvre et obscur, il ouvrit cette ère nouvelle qui commence à lui; ère que tant de changements et de calamités de voient rendre impérissable dans la mémoire des hommes.

Luther se livra d'abord à l'étude du droit; il la prit en aversion et s'occupa de théologie, de musique et de littérature: il vit un de ses compagnons tué d'un coup de foudre, promit à sainte Anne de se faire moine, et le 17 juillet 1505, entra la nuit dans le couvent des augustins à Erfurth: il s'enferma dans le cloître avec un Plaute et un Virgile pour changer le monde chrétien. Deux ans après il fut ordonné prêtre. « Lorsque je dis une première messe, j'étois presque mort, car je n'avois aucune foi; puis vinrent ⚫les dégoûts, les tentations, les doutes. » Dans le dessein de raffermir ses croyances, Luther partit pour Rome.

Là, il trouva l'incrédulité assise sur le tombeau de saint Pierre, et le paganisme ressuscité au Vatican. Jules II, le casque en tête, ne rêvoit que combats; et les cardinaux, cicéroniens de langage, étoient transformés en poëtes, en diplomates et en guerriers. La papauté, prête à devenir gibeline, avoit, sans s'en apercevoir, abdiqué l'autorité spirituelle: le pape, en se faisant prince à la manière des autres princes, avoit cessé d'être le représentant de la république chrétienne; il avoit renoncé à ce terrible tribunat des peuples, dont il étoit auparavant investi par l'élection populaire. Luther ne vit pas cela; il ne saisit que le petit côté des choses; il revint en Allemagne, frappé seulement du scandale de l'athéisme et des mœurs de la cour de Rome.

A Jules II succéda Léon X, rival de Luther;

CHATEAUBRIAND. TOME V.

le siècle fut divisé entre le pape et le moine : Léon X lui imposa son nom; Luther, sa puissance. Il s'agissoit de faire achever Saint-Pierre ; l'argent manquoit. Sans avoir la foi qui faisoit au moyen âge jaillir des trésors, on se souvint à Rome du temps où la chrétienté contribuoit de ses aumônes à la construction des cathédrales et des abbayes. Léon X fit vendre en Allemagne, par les dominicains, les indulgences que vendoient auparavant les augustins. Luther, devenu vicaire provincial des augustins, s'éleva contre l'abus de ces indulgences. Il s'adressa à l'évêque de Brandebourg, à l'archevêque de Mayence: il n'obtint qu'une réponse évasive du premier; le second ne répondit point. Alors il proposa publiquement les thèses qu'il prétendoit soutenir contre les indulgences. L'Allemagne fut ébranlée : Tetzel brûla les propositions de Luther; les étudiants de Wittemberg brûlèrent les propositions de Tetzel. Étonné de son succès, Luther auroit volontiers. reculé.

Léon X entendit de loin un bruit qui s'élevoit de l'autre côté des Alpes, une rumeur survenue )) disoitchez des Barbares : « Rivalité de moines, il. Les Athéniens se moquoient des Barbares de la Macédoine. Le goût du prince de l'Église pour les lettres l'emportoit sur de plus hautes considérations; il trouvoit que frère Luther étoit un beau génie : » Fra Martino haveva un bellissimo ingenio'. Néanmoins, pour complaire à ses théologiens, il somma le beau génie de comparoitre à Rome.

Luther, fort de l'appui de l'électeur de Saxe, éluda cet ordre. Cité à Augsbourg, il y vint avec un sauf-conduit de l'empereur. Il disputa avec le légat Caïetano de Vio. On ne s'entendit point; on ne s'entendoit jamais dans ces joutes de paroles. Luther en appela au pape mieux informé : il avoue qu'avec un peu moins de hauteur de la part du légat, il se fût rendu, parce que dans ce temps-là il voyoit encore bien peu les erreurs du pape.

Léon X sollicitoit l'électeur de Saxe de lui livrer Luther : Frédéric résista. Luther rassuré écrivit au pape : « J'en atteste Dieu et les hom« mes; je n'ai jamais voulu, je ne veux pas davan« tage aujourd'hui toucher à l'Église romaine ni " à votre sainte autorité. Je reconnois pleinement « que cette Église est au-dessus de tout, et qu'on ne << peut rien préférer, de ce qui est au ciel et sur la « terre, si ce n'est Jésus-Christ, Notre-Seigneur.»

1 BANDELLO.

Au commencement de sou Traité de Servo arbitrio, Luther dit à Érasme :

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Luther étoit sincère, quoique les apparences, Michelet, la part faite à la traduction, qui donne fussent contre lui; car, en même temps qu'il s'ex- inévitablement et nécessairement à la littérature plique ainsi avec le pape, il disoit à Spalatin: « Je et aux idées l'expression de la littérature moderne « ne sais si le pape n'est pas l'Antechrist ou l'a- et des idées de notre siècle. « plôtre de l'Antechrist. » Bientôt il publia son livre de la Captivité de Babylone. Il y déclare que l'Église est captive, le Christ profané dans l'idolâtrie de la messe, méconnu dans le dogme de la transsubstantiation, et prisonnier du pape. Et tenant à constater qu'il attaquoit encore plus la papauté que le pape, il disoit dans une nouvelle lettre à Léon X : « Il faut bien qu'une « fois pourtant, très-honorable père, je me sou« vienne de toi. Ta renommée tant célébrée des gens de lettres, ta vie irréprochable, te met<<< troient au-dessus de toute attaque. Je ne suis pas « si sot que de m'en prendre à toi, lorsqu'il n'est « personne qui ne te loue. Je t'ai appelé un Daniel << dans Babylone ; j'ai protesté de ton innocence.... « Oui, cher Léon, tu me fais l'effet de Daniel « dans la fosse, d'Ézéchiel parmi les scorpions. « Que pourrois-tu seul contre ces monstres? Ajou« tons encore trois ou quatre cardinaux, savants « et vertueux. Vous seriez empoisonnés infailliblement, si vous osiez entrepredre de remédier

« à tant de maux.... C'en est fait de la cour de

« Rome. »

Il y a plus de trois siècles que cette prédiction est échappée à Luther, et la cour de Rome existe

encore.

« Sans doute tu te sens quelque peu arrêté « en présence d'une suite si nombreuse d'érudits, << devant le consentement de tant de siècles, ой « brillèrent des hommes si habiles dans les let« tres sacrées, où parurent de si grands martyrs, glorifiés par de nombreux miracles. Ajoute en« core les théologiens plus récents, tant d'acadé«mies, de conciles, d'évêques, de pontifes. De « ce côté se trouvent l'érudition, le génjé, le nom «bre, la grandeur, la hauteur, la force, la saina teté, les miracles; et que n'y a-t-il pas? Du mien, Wiclef et Laurent Valla (et aussi Augustin, quoique tu l'oublies), puis Luther, un « pauvre homme, né d'hier, seul avec quelques « amis qui n'ont ni tant d'érudition, ni tant de génie, ni le nombre, ni la grandeur, ni la

«

«

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sainteté, ni les miracles: à eux tous ils ne pour« roient guérir un cheval boiteux.... »

Dans ce traité de Servo arbitrio, Luther se dé

clare pour la grâce contre le libre arbitre; celui qui étendit, s'il n'établit pas le libre examen, chargeoit la volonté de chaînes : ces contradictions sont naturelles aux hommes. Il n'y a d'ailleurs aucune liaison directe entre la fatalité providentielle et le despotisme social; ce sont deux ordres de faits distincts: l'un appartient au domaine de la philosophie et de la théorie, l'autre est du ressort de la politique et de la pratique.

Les lettres du moine trouvoient Léon X occupé avec Michel-Ange à élever Saint-Pierre, et écrivant à Raphaël : « Vous ferez l'honneur de mon « pontificat.» Leon X, dit Palavicini, con maggior cura chiamo coloro à cui fosser note le favole della Grecia e le delizie de' Poeti, che l'istoric della chiesa, et la dottrina de' Padri. Les croassements germaniques de Luther impatientoient le Médicis au milieu des arts, sous le beau ciel d'Italie. Pour étouffer ces bruits importuns, et ne se pouvant persuader qu'il s'agis-tées, la règle de leur foi. Luther s'adressa sursoit d'un schisme, il prépara la bulle de condamnation.

La bulle, arrivée en Allemagne, le peuple se soulève à Erfurth, on la jette à l'eau; elle est brûlée à Wittemberg: première flamme d'un embrasement qui, de l'Europe, devoit se répandre dans les autres parties de la terre.

Ici un beau combat entre Luther et Luther, car, encore une fois, Luther étoit un homme de conviction. Ce combat est bien reproduit dans M.

L'Allemagne est le pays de l'honnêteté, du génie et des songes: plus les abstractions des esprits brumeux sont inintelligibles, plus elles excitent l'enthousiasme parmi les rêveurs qui les croient comprendre. Les compatriotes de Luther firent, des opinions de saint Augustin ressusci

«

tout aux nobles: il dédia sa défense des articles condamnés au seigneur Fabien de Feilitzsch: Que cet écrit me recommande à toi et à toute « votre noblesse. » Il publia son pamphlet: A la noblesse chrétienne d'Allemagne sur l'amélioration de la chrétienté. Les principaux nobles, amis de Luther, étoient Silvestre de Schauenberg, Franz de Sickingen, Taubenheim et Ulrick de Hutten. Le margrave de Brandebourg sollicitoit la faveur de voir le nouvel apôtre. C'est ainsi

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qu'en France et en Angleterre les réformistes furent des rois, des princes et des nobles: en France, la sœur de François 1e, Jeanne d'Albret, Henri IV, les Châtillon, les Bouillon, les Rohan; en Angleterre, Henri VIII, ses évêques et sa cour. Quand j'avançai cela dans les Études historiques, j'eus le malheur, contre mon intention. de blesser des susceptibilités : j'en conviens, dans nos temps de démocratie, il est peut-être dur pour ceux qui se disent les fondateurs de la liberté populaire, de se trouver, par origine, des aristocrates descendus d'une race de princes et de nobles : qu'y faire? c'est la stricte vérité; on la pourroit appuyer d'une masse de faits irré

cusables.

La dière de Worms fut le triomphe de Luther: il y comparut devant l'empereur Charles-Quint, six électeurs, un archiduc, deux landgraves, vingt-sept ducs, un grand nombre de comtes, d'archevêques et d'évêques. Il entra dans la ville, monté sur un char, escorté de cent gentilshommes armés de toutes pièces. On chantoit devant lui un hymne, la Marseilloise du temps:

Notre Dieu est une forteresse,
Une épée et une bonne armure'.

Le peuple étoit monté sur les toits pour voir
passer Martin. Ferme et modéré, le docteur ne
voulut rien rétracter de ce qu'il avoit avancé
touchant les doctrines, mais il offrit de désavouer
ce qui pouvoit lui être échappé d'inconvenant
contre les personnes. Ainsi, comme l'a dit M.
Mignet d'une manière remarquable, Luther,
dit non au pape, non à l'empereur. Cela prouve
de la conviction et du courage, mais de ce cou-
rage facile quand on est bien défendu, quand
on est environné de beaucoup d'éclat, quand
on est excité par l'ambition de devenir chef de
secte, et par l'espoir d'une grande renommée.
Au surplus, tous les sectaires ont dit non. L'hé- |
résie d'Arius dura plus de trois siècles dans sa
vigueur et subsiste encore; elle divisa le monde
civilisé et s'empara de tout le monde barbare, les
Francs de Clovis exceptés : Alaric et Genseric,
qui saccagèrent Rome catholique, étoient ariens.
Arius avoit dit non bien avant Luther, dont les
doctrines n'ont pas encore atteint l'âge de celles
du prêtre d'Alexandrie.

Luther étoit encouragé dans le sein de la diète même des nobles et des comtes étoient allés le visiter. Le pape, dit Luther, avoit écrit à «

'M. HEINE, Revue des Deux Mondes.

« l'empereur de ne point observer le sauf-conduit.
« Les évêques y poussoient; mais les princes et les
« états n'y voulurent point consentir; car il en
« fût résulté bien du bruit. J'avois tiré un grand
« éclat de tout cela; ils devoient avoir peur de
« moi plus que je n'avois d'eux. En effet, le
« landgrave de Hesse, qui étoit encore un jeune
« seigneur, demanda à m'entendre, vint me
« trouver, causa avec moi, et me dit à la fin :
« Cher docteur, si vous avez raison, que Notre-
« Seigneur Dieu vous soit en aide!»>

"

la diète montroit quelque force d'âme, car Jean Quoi qu'il en soit, l'apparition de Luther à Huss, malgré le passe-port d'un empereur, n'en avoit pas moins été brûlé vif. Quand le Christ même de ses douze disciples: toutes les puisparut devant Pilate, il étoit seul, abandonné sances de la terre s'élevoient contre lui, et l'on n'eut point égard au sauf-conduit qu'il avoit du ciel.

La diète publia le ban impérial; il frappoit Luther et ses adhérents. Voltaire prétend que Charles-Quint hésita entre le moine d'Erfurth et Rome. Le sauf-conduit fut maintenu dans l'acte du ban. Le même Charles-Quint, qui accorda une audience solennelle à Luther, refusa d'entendre Fernand Cortès.

Le réformateur se retira : l'électeur de Saxe, pour le soustraire à tout danger, et peut-être d'accord avec Martin lui-même, le fit enlever et l'enferma dans le château de Wartbourg. Du haut de sa forteresse, Luther lauça une multitude d'écrits, imitant Athanase, qui combattoit pour la foi, du fond des grottes de l'Égypte. Il étoit tenté sa chair indomptée le bruloit d'un feu dévorant. Dans son Pathmos ( ainsi ce nouveau saint Jean appelle-t-il le château de Wartbourg), il croyoit ouïr, la nuit, des noisettes se heurter dans un sac, et entendre un grand bruit sur les marches d'un escalier, que fermoient des chaînes et une porte de fer c'étoit l'apostasie qui revenoit. Luther, rendu impétueux par cette captivité bienveillante qui lui donnoit l'air d'un martyr, ne parloit plus que de briser les cèdres, d'abaisser les pharaons superbes et endurcis. Il écrivoit rudement à l'archevêque de Mayence, et datoit ainsi : « Donné en mon désert, le di« manche après la sainte Catherine, 25 novembre « 1521. » Le cardinal archevêque de Mayence, répondoit humblement, ou fièrement : « Cher docteur, j'ai reçu votre lettre... je souffre vo

«<lontiers une réprimande fraternelle et chré- | pour la propagation des nouvelles doctrines;

<< tienne. >>

Prêchant son nouvel évangile, Martin disoit : « J'espère qu'ils me tueront; mais mon heure « n'est pas venue; il faut qu'auparavant je rende « encore plus furieuse cette race de vipères. » Il hésite d'abord à se prononcer contre les vœux monastiques; puis se fortifiant dans ses idées, il déclare qu'il a formé « une vigoureuse conspira«tion pour les détruire et les mettre au néant. » Il n'approuvoit pas les théologiens démagogues qui marchoient sur ses traces et brisoient les images. « Si tu veux éprouver leurs inspirations, « écrit-il à Mélanchton, demande s'ils ont ressenti «ces angoisses spirituelles et ces naissances divines, ces morts et ces enfers. >>

Il avoit commencé à publier sa traduction de la Bible des princes et des évêques la prohibèrent; comme sectaire et comme auteur, il s'irrita; la colère lui donna la prévision de l'avenir. « Le peuple s'agite de tous côtés, et il a les yeux <<< ouverts; il ne veut plus, il ne peut plus se laisser opprimer. C'est le Seigneur qui mène « tout cela et qui ferme les yeux des princes sur « ces symptômes menaçants; c'est lui qui con« sommera tout par leur aveuglement et leur violence; il me semble voir l'Allemagne nager « dans le sang.

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Qu'ils sachent bien que le glaive de la guerre « civile est suspendu sur leurs têtes. »

Et qui suspendoit le glaive de la guerre civile sur la tête de ces princes, si ce n'étoit Luther?

Dans cette année 1522, Henri VIII, encore orthodoxe, fit paroître le livre dont je parlerai ailleurs, et qu'il avoit fait faire ou revoir peutêtre par son chapelain et ses ministres théologiens. Le moine réformateur malmène son collègue le roi réformateur. «Quel est donc ce Henri, ce nou«< veau thomiste, ce disciple du monstre, pour « que je respecte ses blasphèmes et sa violence? « Il est le défenseur de l'Église! oui, de son église « à lui, qu'il porte si haut; de cette prostituée qui vit dans la pourpre, ivre de débauches; de « cette mère de fornications. Moi, mon chef est « Christ: je frapperai du même coup cette église « et son défenseur, qui ne font qu'un ; je les bri« serai. » Henri VIII, ne pouvant brûler Luther, répliqua ses bûchers étoient plus redoutables que ses écrits.

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La réformation s'étendoit à l'aide de l'imprimerie, qui sembloit avoir été découverte à temps

l'Église luthérienne s'établissoit; on sait ce qu'elle a rejeté et ce qu'elle a conservé des dogmes de l'Église romaine. Mais le schisme entroit de toutes parts dans la nouvelle communion; Calvin paroissoit à Genève, Luther se brouilloit avec Carlostadt, et écrivoit contre lui des pamphlets amers. Les paysans se soulevèrent contre leurs seigneurs et se jetèrent sur les biens des princes ecclésiastiques: de là les troubles de la Souabe, de Francfort, du pays de Bade, de l'Alsace, du Palatinat, de la Bavière, de la Hesse. En vain Luther fit ce qu'il put pour désarmer la foule, en vain s'écrioitil que la révolte n'a jamais eu une bonne fin, que qui se sert de l'épée périra par l'épée le glaive étoit tiré; il ne devoit rentrer dans le fourreau qu'après deux siècles d'immolation.

Dans la réponse de Luther aux douze articles des paysans de la Souabe, il y a des choses justes et raisonnables; il dit aussi aux seigneurs des vérités qui pouvoient leur sembler hardies; mais, entraîné par le caractère de sa réformation ennemie du peuple, il se montre d'une dureté révoltante contre les paysans; il ne donne pas une larme à leurs malheurs.

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« Je crois, dit-il, que tous les paysans doivent périr plutôt que les princes et les magistrats, " parce que les paysans prennent l'épée sans l'autorité divine.... Nulle miséricorde, nulle tolé«< rance n'est due aux paysans, mais l'indigna«<tion de Dieu et des hommes.... Les paysans sont « dans le ban de Dieu et de l'empereur. On peut « les traiter comme des chiens enragés. »

Et cependant ces chiens enragés avoient été déchaînés par la parole de Luther. Pour ces hommes mis au ban de Dieu on ne sent dans l'émancipateur de l'esprit humain aucune sympathie des libertés populaires.

Il se brouilla avec tous les sectaires qui sortirent de sa réforme; il ne pardonna jamais à Érasme son libero arbitrio.

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* ger TÉglise de son ordure. C'est lui qui a semé | nature plus élevée : il est difficile, quelles que « et fait naître Crotus, Egranus, Witzeln, OEco-soient d'ailleurs les vertus de deux époux, qu'ils lampade, Campanus et d'autres visionnaires inspirent la confiance et le respect en faisant le « ou épicuriens. Je ne veux plus le reconnoître serment de l'union conjugale au même autel où « dans l'Église, qu'on le sache bien ............ ils prononcèrent les vœux de chasteté et de solitude. Jamais le chrétien ne déposera dans le cœur d'un prêtre le fardeau caché de sa vie, si ce prêtre à une autre épouse que cette Église mystérieuse qui garde le secret des fautes et console les douleurs. Le Christ, pontife et victime, vécut dans le célibat, et il quitta la terre à la fin de la jeunesse.

S'il prêche, cela sonne faux comme un vase « fèlé. Il a attaqué la papauté, et maintenant il

tire sa tête du sac. »

Érasme et Luther avoient été longtemps amis et regardés tous deux comme des hérétiques.

« Voilà, dit très-bien M. Nisard, de petites a questions pour les partisans du fatalisme his«torique, qui grossissent et grandissent un hom■ me de tout ce qui s'est fait après lui, et par des « causes qu'il n'auroit ni voulues, ni prévues: mais je ne les trouve pas déjà si mauvaises pour « l'heure où nous sommes. A cette heure-là en - effet, de qui pensez-vous qu'il soit demeuré le « plus de choses, de Luther niant le libre arbiatre, et remplaçant le dogme par le dogme, ou plus crûment, la superstition par la supersti⚫tion, ou d'Érasme revendiquant pour l'homme

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MARIAGE. VIE PRIVÉE DE LUTHER.

Luther devoit à ses opinions une démarche qui en étoit la conséquence et la suite. Il avoit ouvert la porte des cloîtres ; il en sortoit une foule d'hommes et de femmes dont il ne savoit que faire il se maria done, tant pour leur donner un bon exemple, que pour se débarrasser de ses tentations. Quiconque a enfreint les règles, cherche à entraîner les foibles avec soi, et à se couvrir de la multitude: par ce consentement d'un grand nombre, on se flatte de faire croire à la justice et au droit d'une action qui souvent ne fut que le résultat d'un accident ou d'une passion irréfléchie. Des vœux saints furent doublement violés; Luther épousa une religieuse. Tout cela est peut-être bien selon la nature; mais il y a une

DE NISARD. Erasme, u partie. Revue des Deux Mondes. 15 septembre 1835.

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« Je certifie que nous n'avons ni argent comp« tant, ni trésor d'aucune espèce. En cela rien d'étonnant, si l'on veut considérer que nous « n'avons eu d'autre revenu que mon salaire et « quelques présents. »

On suit avec intérêt Luther dans sa vie privée et dans ses opinions particulières. Il a plusieurs belles pensées sur la nature, sur la Bible, sur les écoles, sur l'éducation, sur la foi, sur la loi. Ce qu'il dit de l'imprimerie est curieux. Une idée individuelle le conduit à une vérité générale et à

une vue de l'avenir :

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L'imprimerie est le dernier et le suprême don, le summum et postremum donum, par lequel « Dieu avance les choses de l'Évangile. C'est la « dernière flamme qui luit avant l'extinction du « monde. Grâce à Dieu, elle est venue à la fin. »> Il faut entendre Luther dans l'intimité des sentiments domestiques :

« Cet enfant (son fils) et tout ce qui m'appar« tient est hai de leurs partisans, hai des diables. « Cependant tous ces ennemis n'inquiètent guère « le cher enfant; il ne s'inquiète pas de ce que « tant et de si puissants seigneurs lui en veulent, <«< il suce gaiement la mamelle, regarde autour de « lui en riant tout haut, et les laisse gronder tant qu'ils veulent. »

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