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un chevalier païen d'une force prodigieuse. Sir Cauline le combat, lui coupe une main et le désarme. Christabelle déclare qu'elle n'aura d'autre mari que le vainqueur.

Dans la seconde partie de la ballade, le roi, étant allé prendre l'air sur le soir, rencontre par malheur Christabelle et Cauline in dalliance sweet (dans un doux abandon). Il renferme Cauline au fond d'une cave, Christabelle, au haut d'une tour; il vouloit tout d'abord occire le chevalier, car ce roi étoit « un homme colère, » dit la chanson, an angrye man was hee. Mais, adouci par les prières de la reine, il se contenta de le bannir à perpétuité. Cependant il cherche à consoler sa fille qui pleure; il fait proclamer un tournois. A ce tournois se présente un chevalier inconnu couvert d'une armure noire, puis un géant qui se propose de venger l'autre géant d'Eldridge. Le chevalier noir ose seul se mesurer avec le mécréant provocateur; il le tue, et meurt lui-même de ses blessures. Christabelle meurt aussi, après avoir reconnu sir Cauline dans le chevalier noir et pansé ses plaies. « Un profond soupir brisa « son gentil cœur en deux. »

A deep-fette sighe

Thar burst heart in twayne.

Ainsi trépassèrent les deux amants, comme Pyrame et Thisbé. La complainte françoise a célébré ceux-ci :

Ils étoient si parfaits Qu'on disoit qu'ils étoient Les plus beaux de la ville.

Vers naturels et tels, grâce à Dieu, qu'on s'est mis à les faire aujourd'hui.

Le sujet de la ballade desir Cauline se retrouve à peu près partout. La ballade Childe - Waters peint la vie privée dans ce qu'elle a d'intime et de pathétique. Le mot Childe ou Chield, maintenant Child (enfant), est employé par les vieux poëtes anglois comme une sorte de titre; ce titre est donné au prince Arthur dans la fairie queen (la reine des fées); le fils du roi est appelé Childe Tristram. Voici cette ballade à quelques strophes près. Vous remarquerez qu'Ellen répète presque mot à mot les paroles de Childe-Waters, de même que les héros d'Homère répètent totidem verbis les messages des chefs. La nature, lorsqu'elle n'est pas sophistiquée, a un type commun dont l'empreinte est gravée au fond des mœurs de tous les peuples.

CHILDE-WATERS.

Childe-Waters étoit dans son écurie et flattoit de sa main son coursier blanc comme du lait. Vers lui s'avance une jeune lady, aussi belle que quiconque porta jamais habillement de femme.

Elle dit : « Le Christ vous sauve, bon Childe<< Waters! » Elle dit : « Le Christ vous sauve, << et voyez ! ma ceinture d'or, qui étoit trop lon« gue, est maintenant trop courte pour moi.

« Et tout cela est que d'un enfant de vous je « sens le poids à mon côté. Ma robe verte est trop étroite; auparavant elle étoit trop large.

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Il dit : a Vois-tu cette eau, Ellen, qui coule à plein bord? - J'espère en Dieu, ô - Childe-Waters; vous ne souffrirez jamais que « je nage. »

Mais quand elle vint à la rivière, elle y entra jusqu'aux épaules : « Que le Seigneur du ciel soit « maintenant mon aide, car il faut que j'apprenne * à nager. »

Les eaux salées enflèrent ses vêtements; notre lady souleva son sein. Childe-Waters étoit un homme de malheur : bon Dieu! obliger la belle Ellen à nager!

Et quand elle fut de l'autre côté de l'eau, elle vint à ses genoux. Il dit : « Viens ici, toi, belle Ellen vois là-bas ce que je vois.

Ne vois-tu pas un château, Ellen, dont la * porte brille d'or rougi? De vingt-quatre belles ladies qui sont là, la plus belle est ma com* pagne.

— « Je vois maintenant le château, Childe« Waters; d'or rougi brille la porte. Dieu vous ⚫ donne bonne connoissance de vous-même et de a votre digne compagne! »

Là étoient vingt-quatre belles ladies folâtrant au bal, et Ellen, la plus belle lady de toutes, mena le destrier à l'écurie.

Et alors parla la sœur de Childe-Waters. Voici les mots qu'elle dit : « Vous avez le plus joli peetit page, mon frère, que j'aie jamais vu.

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Mais ses flancs sont si gros, sa ceinture est

placée si baut ! Childe-Waters, je vous prie,

laissez-le coucher dans ma chambre.

- Il n'est pas convenable qu'un petit page à pied, qui a couru à travers les marais et la « boue, couche dans la chambre d'une lady qui ⚫porte de si riches atours.

Il est plus convenable pour un petit page à pied, qui a couru à travers les marais et la boue, ⚫ de souper sur ses genoux, devant le feu de la ⚫ cuisine. »

Quand chacun eut soupé, chacun prit le chemin de son lit. Il dit : « Viens ici, mon petit page à pied, et écoute que ce je dis :

la

. Descends à la ville et reste dans la rue plus belle femme que tu pourras trouver, ar«rête-la pour dormir dans mes bras. Apporte-la dans tes deux bras, de peur qu'elle ne se salisse les pieds.

Ellen est allé à la ville; elle a demeuré dans la rue; la plus belle femme qu'elle a pu rencontrer, elle l'a arrêtée pour dormir dans les bras

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Il lui accorda la permission, et la belle Ellen se coucha au pied de son lit. Cela fait, la nuit passa vite, et quand le jour approcha,

Il dit : « Lève-toi, mon petit page à pied; va « donner à mon cheval le blé et le foin; donne« lui à présent la bonne avoine noire, afin qu'il « m'emmène mieux. »

Lors se leva la belle Ellen et donna au cheval le blé et le foin: elle en fit ainsi de la bonne avoine noire, afin que le cheval emmenât mieux Childe-Waters.

Elle appuya son dos contre le bord de la mangeoire, et gémit tristement; elle appuya son dos contre le bord de la mangeoire, et là elle fit sa plainte.

Et elle fut entendue de la mère chérie de ChildeWaters. La mère entendit la dolent douleur; elle dit : « Debout, toi, Childe-Waters! et va à l'é

«< curie.

« Car dans ton écurie est un spectre qui gé<< mit péniblement, ou bien quelque femme est en « travail d'enfant : elle commence la douleur. Childe-Waters se leva promptement; il revêtit sa chemise de soie, et mit ses autres habits sur son corps blanc comme du lait.

Et quand il fut à la porte de l'écurie, il s'arrêta tout court pour entendre comment sa belle Ellen faisoit ses lamentations.

Elle disoit « Lullabye, mon cher enfant! « Lullabye, cher enfant! cher! Je voudrois que << ton père fût un roi, et que ta mère fût enfer« mée dans une bière.

-« Paix à présent, dit Childe-Waters, bonne « et belle Ellen! prends courage, je te prie, et « les noces et les relevailles auront lieu ensemble « le même jour. »

Un caractère sauvage se décèle dans cette chanson. Childe-Waters est atroce; il se plaît à mettre sa maîtresse à l'épreuve des plus abominables tortures du corps et de l'âme. Ellen, ensorcelée, s'y soumet avec la résignation d'un amour qui compte pour rien les sacrifices. Elle fait une longue course à pied; elle traverse un fleuve à la nage, elle subit toutes les humilia- ' tions dans le château des vingt-quatre femmes

elle s'entend dire de la bouche même de son amant moqueur, qu'il aime la plus belle de ces femmes; d'après son ordre elle va lui chercher une courtisane; elle, pauvre Ellen, qu'il força de courir pieds nus dans la fange, doit enlever dans ses bras cette courtisane, de peur qu'elle ne se salisse les pieds. Jamais une plainte, pas un reproche; et quand elle met au jour son enfant, au milieu de ses douleurs, elle le berce des paroles d'une nourrice; elle demande un trône pour Childe-Waters, un cercueil pour elle. L'homme cruel est touché, et se croit enfin le père de l'innocente créature. Mais les noces et les relevailles ne viendront-elles pas trop tard?

Childe-Waters et Childe-Harold n'ont-ils pas quelques traits de ressemblance? Lord Byron auroit-il moulé son caractère sur un ancien héros de ballade, comme il monta sa lyre sur le vieux mode des poëtes du quinzième siècle?

Il seroit possible que la première idée de cette ballade eût été empruntée de la dixième Nouvelle, dixième journée du Décaméron. Griselda, éprouvée par Gualtieri, seroit Ellen, et le nom même de Waters n'est qu'une forme de celui de Gautier. Mais entre les deux Nouvelles, il y a la différence de la nature humaine angloise et de la nature humaine italienne.

Avant de quitter le moyen âge, je mentionnerai une chose dont on a pu s'apercevoir: je n'ai point parlé des auteurs qui ont écrit en latin pendant les sept ou huit siècles que nous venons de parcourir. Cela n'entroit point dans le plan que je me suis tracé, parce qu'en effet la littérature latine du moyen âge, et avant le moyen âge, appartient également à l'Europe de cette époque; or il ne s'agit ici que de l'idiome ou des idiomes particuliers aux Anglois. Ainsi je n'ai rien dit de Gildas dans le sixième siècle; de Nennuis, abbé de Banchor, d'Aldhelm dans le septième ; de Bède, d'Alcuin, de Boniface, archevêque de Mayence et Anglois; de Willebad, d'Eddius, moine de Cantorbéry; de Dungal et de Clément, dans le huitième; de Jean Scot Érigène, d'Asser, à qui l'on doit la vie d'Alfred le Grand dont il étoit le favori, dans le neuvième; de saint Dunstan, d'Elfrie le grammairien, dans le dixième; d'Ingulphe, dans le onzième; de Lanfranc, d'Anselme, de Robert White, de Guillaume de Malmsbury, de Huntington, de Jean de Salisbury, de Pierre de Blois, de Géraud-Barry, dans les douzième et treizième; de Roger Bacon, de Michel Scot, de

Guillaume Ockam, de Matthieu Paris, deThomas Wykes d'Hemmingfort, d'Avesbury, dans les treizième et quatorzième siècles. Ce n'est pas que ces écrivains ne soient remplis des choses les plus curieuses pour l'étude de l'histoire, pour celle des mœurs, des sciences et des arts. Il seroit à désirer que nous eussions des traductions des principaux ouvrages de ces auteurs.

Ici finit la première partie de cet Essai. La littérature angloise, pour ainsi dire orale dans ses quatre premières époques, est parlée plutôt qu'écrite; transmise à la postérité au moyen d'une sorte de sténographie, elle a les avantages et les défauts de l'improvisation; la poésie est simple, mais incorrecte; l'histoire, curieuse, mais renfermée dans le cercle individuel. Maintenant nous allons voir la haute poésie étouffer la poésie intime, et la grande histoire tuer la petite : cette révolution littéraire va s'opérer par la marche graduelle de la civilisation, au moment où une révolution religieuse va rompre l'unité catholique et la fraternité européenne.

SECONDE PARTIE. CINQUIÈME ET DERNIÈRE ÉPOQUE

DE LA LANGUE ANGLOISE.

LITTÉRATURE SOUS LES TUDOR. Jusqu'ici la poésie angloise s'est montrée à nous catholique les Muses habitoient au Vatican et chantoient sous le dôme à moitié formé de SaintPierre, que leur élevoit Michel-Ange : maintenant elles vont apostasier et devenir protestantes. Leur changement de religion ne se fit pourtant pas sentir d'une manière bien tranchée, car la réformation eut lieu avant que la langue fût sortie de la barbarie; tous les écrivains du premier ordre parurent après le règne de Henri VIII. On verra ma remarque au sujet de Shakespeare, de Pope et de Dryden.

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HÉRÉSIES ET SCHISMES QUI PRÉCÉDÈRENT LE SCHISME DE LUTHER.

Depuis le moment où la Croix fut plantée à Jérusalem, l'unité de l'Église ne cessa point d'être attaquée. Les philosophies des Hébreux, des Perses, des Indiens, des Egyptiens, s'étoient concentrées dans l'Asie sous la domination de Rome:

de ce foyer allumé par l'étincelle évangélique de ce foyer allumé par l'étincelle évangélique jaillit cette multitude d'opinions aussi diverses que les mœurs des hérésiarques étoient dissemblables. On pourroit dresser un catalogue des systèmes philosophiques, et placer à côté de chaque système l'hérésie qui lui correspond. Tertullien

l'avoit reconnu : les hérésies furent au christia

nisme ce que les systèmes philosophique furent au paganisme, avec cette différence que les systèmes philosophiques étoient les vérités du culte païen, et les hérésies, les erreurs de la religion

chrétienne.

Saint Augustin comptoit de son temps quatre-vingt-huit hérésies, en commençant aux simoniens et finissant aux pélagiens.

L'Église faisoit tête à tout sa lutte perpétuelle donne la raison de ces conciles, de ces synodes, de ces assemblées de tous les noms, de toutes les sortes, que l'on remarque dès la naissance du christianisme. C'est une chose prodigieuse que l'infatigable activité de la communauté chrétienne : occupée à se défendre contre les édits des empereurs et contre les supplices, elle étoit encore obligée de combattre ses enfants et ses ennemis domestiques. Il y alloit, il est vrai, de l'existence même de la foi si les hérésies n'avoient

été continuellement retranchées du sein de l'Église par des canons, dénoncées et stigmatisées par des écrits, les peuples n'auroient plus su de quelle religion ils étoient. Au milieu des sectes se propageant sans obstacles, se ramifiant à l'infini, le principe chrétien se fût épuisé dans ses dérivations nombreuses, comme un fleuve se perd dans la multitude de ses canaux.

Le moyen âge proprement dit n'ignora point le schisme. Plusieurs novateurs en Italie, Wicleff en Angleterre, Jérôme de Prague et Jean Huss en Allemagne, furent les précurseurs des réformateurs du seizième siècle. Une foule d'hérésies se trouvoient au fond des doctrines qui donnèrent lieu aux horribles croisades contre les malheureux Albigeois. Jusque dans les écoles de théologie, un esprit de curiosité ébranloit les dogmes

de l'Église : les questions étoient tour à tour obscènes, impies et puériles.

Valfrède, au dixième siècle, s'éleva contre la résurrection des corps. Béranger expliqua à sa manière l'eucharistie. Les erreurs de Roscelius, d'Abeilard, de Gilbert, de la Porée, de Pierre Lombard et de Pierre de Poitiers, furent célèbres:

on demandoit si Jésus-Christ, comme homme, étoit quelque chose; ceux qui le nioient furent étoit quelque chose; ceux qui le nioient furent appelés Nihilianistes. On en vint à ne plus lire les de la vérité chrétienne que de la doctrine d'ArisÉcritures et à ne tirer les arguments en preuve tote. La scolastique domina tout, et Guillaume d'Auxerre se servit le premier des termes de materia et de forma, appliqués à la doctrine des

sacrements. Héloïse vouloit savoir d'Abeilard pourquoi les quadrupèdes et les oiseaux furent des noms: Jésus-Christ, entre sa mort et sa réles seuls animaux amenés à Adam pour recevoir surrection, fut-il ce qu'il avoit été avant sa mort et depuis sa résurrection? Son corps glorieux étoit-il assis ou debout dans le ciel ? Son corps, que l'on mangeoit dans l'eucharistie, étoit-il nu ou vêtu? Telles étoient les choses dont les esprits les plus orthodoxes s'enquéroient, et Luther luimême, dans ses investigations, avoit moins d'au

dace.

ATTAQUES CONTRE LE CLERGÉ.

Avec les hérésies contre l'Église marchoient de tout temps, comme je l'ai dit ailleurs, les satires qu'on pouvoit faire aux prêtres. Luther sur ce contre le clergé, mêlées aux reproches fondés Les pasteurs s'étoient dépravés comme le troupoint encore n'approcha pas de ses devanciers. peau; si l'on veut pénétrer à fond l'intérieur de la société de ces temps-là, il faut lire les conciles et les chartes d'abolition (lettres de grâce accordées par les rois); là se montrent à nu les plaies de la société : les conciles reproduisent sans cesse les plaintes contre la licence des mœurs; les chartes d'abolition gardent les détails des jugements et des crimes qui motivoient les lettres-royaux. Les capitulaires de Charlemagne et de ses successeurs sont remplis de dispositions pour la réforme du clergé.

On connoît l'épouvantable histoire du prêtre Anastase, enfermé vivant avec un cadavre, par la vengeance de l'évêque Caulin. (GRÉGoire de TOURS.) Dans les canons ajoutés au premier concile de Tours, sous l'épiscopat de saint Perpert,

on lit : « Il nous a été rapporté, ce qui est hor-, qui eussent des commères, c'est-à-dire des femmes supposées légitimes.

a rible (quod nefas), qu'on établissoit des auber

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ges dans les églises, et que le lieu où l'on ne « doit entendre que des prières et des louanges de « Dieu, retentit du bruit des festins, de paroles a obscènes, de débats et de querelles. »

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Baronius, si favorable à la cour de Rome, nomme le dixième siècle le siècle de fer, tant il voit de désordres dans l'Église. L'illustre et savant Gherbert, avant d'être pape sous le nom de Sylvestre II, et n'étant encore qu'archevêque de Reims, disoit : « Déplorable Rome! tu donnas à « nos ancêtres les lumières les plus éclatantes, et « maintenant tu n'as plus que d'horribles ténèbres. Nous avons vu Jean Octavien conspirer, au « milieu de mille prostituées, contre le même << Othon qu'il avoit proclamé empereur. Il est rena versé, et Léon le Néophyte lui succède. Othon « s'éloigne de Rome, et Octavien y rentre; il chasse Léon, coupe les doigts, les mains et le nez au << diacre Jean, et, après avoir ôté la vie à beau« coup de personnages distingués, il périt biena tôt lui-même.... Sera-t-il possible de soutenir « encore qu'une si grande quantité de prêtres de a Dieu, dignes par leur vie et leur mérite d'éclai« rer l'univers, se doivent soumettre à de tels «< monstres, dénués de toute connoissance des sciences divines et humaines ? »

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Saint Bernard ne montre pas plus d'indulgence aux vices de son siècle; saint Louis fut obligé de fermer les yeux sur les prostitutions et les désordres qui régnoient dans son armée. Pendant le règne de Philippe le Bel, un concile est convoqué

(

exprès pour remédier au débordement des mœurs. L'an 1351, les prélats et les ordres mendiants exposent leurs mutuels griefs à Avignon devant Clément VII. Ce pape, favorable aux moines, apostrophe les prélats : « Parlerez-vous d'humilité, vous, si vains et si pompeux dans vos mon« tures et vos équipages? Parlerez-vous de pauvreté, vous, si avides, que tous les bénéfices du « monde ne vous suffiroient pas? Que dirai-je « de votre chasteté?... vous haïssez les mendiants, << vous leur fermez vos portes, et vos maisons « sont ouvertes à des sycophantes et à des infâ« mes. (Lenonibus et truffatoribus.) »

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La simonie étoit générale; les prêtres violoient presque partout la règle du célibat; ils vivoient avec des femmes perdues, des concubines et des chambrières; un abbé de Noreïs avoit dix-huit enfants. En Biscaye on ne vouloit que des prêtres

Pétrarque écrit à l'un de ses amis : « Avignon « est devenu un enfer, la sentine de toutes les << abominations. Les maisons, les palais, les égli«<ses, les chaires du pontife et des cardinaux, l'air « et la terre, tout est imprégné de mensonge; on << traite le monde futur, le jugement dernier, les « peines de l'enfer, les joies du paradis de fables << absurdes et puériles. » Pétrarque cite à l'appui de ces assertions des anecdotes scandaleuses sur les débauches des cardinaux.

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Dans un sermon prononcé devant le pape, en 1364, le docteur Nicolas Orem prouva que l'Antechrist ne tarderoit pas à paroître, par six raisons tirées de la perte de la doctrine, de l'orgueil des prélats, de la tyrannie des chefs de l'Église et de leur aversion pour la vérité.

Ces reproches, perpétués de siècle en siècle, furent reproduits par Érasme et Rabelais. Tout le monde apercevoit ces vices qu'un pouvoir longtemps sans contrôle et la grossièreté du moyen âge introduisirent dans l'Église. Les rois ne se soumettoient plus au joug des papes; le long schisme du quatorzième siècle avoit attiré les regards de la foule sur le désordre et l'ambition du gouvernement pontifical : les magistrats faisoient lacérer et brûler les bulles; les conciles mêmes s'occupoient des moyens de remédier aux abus.

Ainsi lorsque Luther parut, la réformation étoit dans tous les esprits; il cueillit un fruit mûr et près de tomber. Mais voyons quel étoit Luther : il nous ramènera naturellement à Henri VIII, car

il tient à ce roi par ses innovations religieuses, et par les querelles qu'il eut avec le fondateur de l'Église anglicane.

LUTHER.

Martin Luther, créateur d'une religion de princes et de gentilshommes, étoit fils d'un paysan. Il raconte en peu de mots son histoire, avec cette humilité effrontée qui vient du succès de toute

une vie':

« J'ai souvent conversé avec Mélanchton, et « lui ai raconté ma vie de point en point. Je suis « fils d'un paysan; mon père, mon grand-père, « mon aïeul, étoient de vrais paysans. Mon père << est allé à Manfeld et y est devenu mineur. Moi, j'y suis né. Que je dusse être ensuite bachelier, « docteur, etc., cela n'étoit point dans les étoiles.

1 Ce que je vais citer de Luther est tiré en grande partie de l'ouvrage dernièrement publié par M. Michelet et intitulé, Mémoires de Luther.

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