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que la muse chrétienne montroit en perspective | personne ne tire son origine des Huns, des

aux Barbares (lieu de délices, où ils ne pouvoient arriver que par un long chemin et après de rudes travaux) étoit comme cette Rome qu'ils avoient cherchée jadis au bout du monde à travers mille périls, la torche et l'épée à la main.

Le voyage d'Ulysse aux champs Cimmériens et la descente d'Énée au Tartare renferment l'idée primitive de ces fictions. Cette idée fut communiquée aux siècles chrétiens par la littérature classique; on la retrouve dans tout le moyen âge sous le titre de Visio inferni. L'arbre de feu, | aux branches duquel sont suspendues les âmes des avares, est l'orme où les songes viennent se réfugier dans le vestibule du Tartare. (Énéid., liv. VI.)

Les trois ouvrages du trouvère de Saint-Bradan, de Marie de France et d'Adam de Ross, rappellent le paradis, le purgatoire et l'enfer de la divina Commedia. Saint Paul est conduit aux enfers par l'archange saint Michel, comme Dante par Virgile; saint Paul est saisi de pitié comme Dante; saint Bradan trouve Judas, comme Dante le rencontre, le plus tourmenté des damnés: la douleur varie pour Judas chez le trouvère (le trouvère ne donne que cent quarante mille années à la durée des tourments); la douleur est une et constante comme l'éternité, chez le poëte.

Cancellieri prétend que Dante a pris le fond de sa composition dans les Visions de l'Enfer d'Alberic, moine au mont Cassin vers l'an 1120. Qu'est-ce que cela prouve? Que Dante a travaillé sur les idées et les croyances de son temps, ainsi qu'Homère avec les traditions de son siècle. Mais le génie, à qui est-il? à Dante et à Homère. Dante a visiblement emprunté quelques traits de son Ugolin au Tydée de Stace: qu'importe?

Dans le moyen âge, Virgile est surnommé le poëte; il se retrouve partout. Les moines, auteurs de la tragédie de Saint Martial de Limoges, font apparoître l'auteur de l'Énéide avec les prophètes; il chante au berceau du Messie un Benedicamus rimé. Dante a naturellement été conduit à prendre le poëte latin pour guide aux enfers; c'étoit comme quelqu'un de son temps Virgile ne fut-il pas déclaré seigneur de Mantoue en 1227? Dante naquit en 1265.

Dans l'ordre historique du moyen âge, ainsi que dans l'ordre religieux, deux ou trois idées générales dominent : les Barbares ont voulu descendre d'Enée; nous venons tous des Troyens;

Goths, des Francs, des Angles. D'un côté, les nations barbares, civilisées par les prêtres chrétiens, ont eu honte de leur barbarie; de l'autre, elles ont tenu à honneur d'être sorties de la même source que cet empire romain dont elles s'étoient faites les héritières après l'avoir mis à mort : les filles de Jason déchirèrent leur père pour le rajeunir.

MIRACLES. MYSTÈRES. SATIRES.

Les miracles et les mystères firent une partie essentielle de la littérature de tous les pays chrétiens, depuis le dixième jusqu'au seizème siècle. Geoffroy, abbé de Saint-Alban, composa en langue d'Oil le miracle de Sainte Catherine: c'est le premier drame écrit en françois, dont jusqu'ici on ait connoissance. L'auteur le fit jouer dans une église en 1110, et emprunta, pour en revêtir les acteurs, les chapes de l'abbaye de Saint-Alban.

Le clergé encourageoit ces spectacles, comme un enseignement public de l'histoire du christianisme : le théâtre grec eut la même origine religieuse. Les miracles et les mystères se donnoient en plein jour dans les églises, dans les cours des palais de justice, aux carrefours des villes, dans les cimetières : ils étoient annoncés en chaire par le prédicateur; souvent un abbé ou un évêque y présidoit la crosse à la main. Le tout finissoit quelquefois par des combats d'animaux, des joûtes, des luttes, des danses et des courses. Clément VI accorda mille ans d'indulgences aux personnes pieuses qui suivroient le cours des pièces saintes à Chester.

Ces spectacles étoient pour les plébéiens ce qu'étoient les tournois pour les nobles. Le moyen âge comptoit beaucoup plus de solennités que les siècles modernes : les véritables joies naissent partout des croyances nationales. La révolution n'a pas eu le pouvoir de créer une seule fête durable, et s'il est encore des jours fériés populaires, en dépit de l'incrédulité, ils appartiennent tous au vieux christianisme : on ne prend bien qu'aux plaisirs qui sont en même temps des souvenirs et des espérances. La philosophie attriste les hommes; un peuple athée n'a qu'une fête, celle de la

mort.

Les représentations théâtrales passèrent de la clergie aux laïques. Des marchands drapiers donnèrent à Londres la Création. Adam et Ève paroissoient tout nus. Des teinturiers jouèrent le

Déluge. La femme de Noé refusoit d'entrer dans l'arche, et souffletoit son mari.

Le cours que M. Magnin fait aujourd'hui, avec autant de savoir que de talent, complétera le cercle des connoissances sur les mystères et sur l'époque qui les a précédés, sujet plein d'intérêt et inhérent aux entrailles de notre histoire.

Les satires occupoient une grande place dans les poésies de l'Angleterre normande. Les dames, respectées des chevaliers, l'étoient fort peu des jongleurs; ceux-ci leur reprochoient l'amour de la parure et des petits chiens. « Si vous voulez faire ⚫ une visite à une dame, enveloppez-vous bien, ⚫ empruntez même la chape de Saint-Pierre de « Rome, car en entrant vous serez assailli des ⚫ chiens de toute espèce : vous en trouverez de ⚫ petits sautant comme griffillon, et d'énormes levriers rampant comme des lions. »(L'ABBÉ DE LA RUE.)

On maltraite encore les dames dans les Noces des filles du diable, dans l'Apparition de saint Pierre, stances contre le mariage. Le pape, les évêques, les moines, les nobles, les riches, les médecins, les divers états de la vie, ont leur lot dans le Roman des romans, dans le Bezant de Dieu, dans le Pater noster des gourmands, dans les Litanies des Vilains, le Credo du Juif, l'Épitre et l'Évangile des femmes, et surtout dans ces satires générales qui portoient le nom de Bible:

An other abbai is ther bi

For soth a gret nunnerie, etc.

• Auprès d'une abbaye se trouve un couvent ⚫ de nonnes, au bord d'une rivière douce comme « du lait. Aux jours d'été les jeunes nonnes re⚫ montent cette rivière en bateaux ; et quand elles ⚫ sont loin de l'abbaye, le diable se met tout nu, ⚫ se couche sur le rivage, et se prépare à nager. « Agile, il enlève les jeunes moines et revient cher⚫cher les nonnes. Il enseigne à celles-ci une oraison: le moine, bien disposé, aura douze fem- mes à l'année, et il deviendra bientôt le père ⚫abbé. Je supprime de grossières obscénités.

Le Credo de Pierre le Laboureur (Piter Plowmen) est une satire amère contre les moines mandiants:

I fond in a freture a frere on a benche, etc.

« J'ai rencontré, assis sur un banc, un frère « affreux; il étoit gros comme un tonneau; son ⚫ visage étoit si plein qu'il avoit l'air d'une vessie ⚫ remplie de vent, ou d'un sac suspendu à ses

« deux joues et à son menton. C'étoit une vérita«ble oie grasse qui faisoit remuer sa chair comme << une boue tremblante'. >>

Les châtelains et les châtelaines chantoient, aimoient, se gaudissoient, et par moments ne croyoient pas trop en Dieu. Le vicomte de Beaucaire menace son fils Aucassin de l'enfer, s'il ne se sépare de Nicolette, sa mie. Le damoiseau répond qu'il se soucie fort peu du paradis, rempli de moines fainéants demi-nus, de vieux prêtres crasseux et d'ermites en haillons; il veut aller en enfer, où les grands rois, les paladins, les barons, tiennent leur cour plénière ; il y trouvera de belles femmes qui ont aimé des ménestriers et des jongleurs, amis du vin et de la joie. Un troubadour dit son Pater pour que Dieu accorde à tous ceux qui aiment le plaisir qu'il eut une nuit avec Ogine.

CHANGEMENT DANS LA LITTÉRATURE.
DES DEUX LANGUES.

LUTTE

L'époque des bardes, des trouvères, des troubadours, des jongleurs, des ménestrels anglo-galliques, anglo-saxons, anglo-normands, dura près de trois cents ans, de Guillaume le Conquérant à Édouard III. La féodalité altéra peu à peu son esprit et ses coutumes; les croisades agrandirent le cercle des idées et des images; la poésie suivit le mouvement des mœurs; l'orgue, la harpe et la musette, prirent de nouveaux sons dans les abbayes, dans les châteaux et sur les montagnes. Selon la tradition populaire, Édouard Ier ordonna de mettre à mort les ménestrels du pays de Galles, qui nourrissoient au fond du cœur des vieux Bretons le sentiment de la patrie et la haine de l'étranger. Gray a fait chanter le dernier de ces

bardes.

Ruin seize thee, ruthless king!

« Que la destruction te saisisse, roi cruel! » Les lais, les sirventois, les romans versifiés, etc., devinrent des pièces de vers séparées, des histoires plus courtes proportionnées à l'étendue de la mémoire. On sent par la forme même des poëmes, autant que par le style et l'expression des sentiments, qu'une révolution s'est accomplie, que déjà des siècles se sont écoulés.

L'introduction, à l'aide des troubadours et des jongleurs normands, de la poésie provençale et

Pierre le Laboureur est un nom générique sous lequel la plupart des poètes du douzième et du quatorzième siècle ont donné leurs satires : ainsi on a la Vision de Pierre Plowman, de Robert Langland, le Credo de Pierre Plowman, composé vers l'an 1390, etc. etc. Il ne faut pas confondre ces divers

ouvrages

françoise, eut l'inconvénient d'enlever aux com- « un accusé que les juges normands condamnoient positions saxonnes leur originalité native : elles << sans vouloir l'entendre, parce qu'il ne parloit ne furent plus qu'une imitation, quelquefois char-« qu'anglois; tantôt une famille dépouillée, et remante, il est vrai, d'une nature étrangère. Un « cevant d'eux, à titre d'aumône, une parcelle de poëte compare l'objet de son amour à un oiseau « son propre héritage:» (AUG. THIERRY.) dont le plumage ressemble à toutes sortes de pierreries et de fleurs. L'amant, trop discret pour faire connoître sa maîtresse au profane vulgaire, dit gracieusement : « Son nom est dans une note « du rossignol.

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Hir nome is in a note of the nyhtigale;

et ce nom, il envoie les curieux le demander à Jean.

La langue d'Oil, en usage parmi les vainqueurs, tenoit le pouillé des richesses aristocratiques, célébroit les faits d'armes des chevaliers et les amours

des nobles dames. Guillaume le Conquérant, dit Sugulphe, détestoit la langue angloise. Il ordonna que les lois et les actes judiciaires fussent écrits

en françois, et que l'on enseignât aux enfants dans

les écoles les premiers rudiments des lettres en françois.

J'ai dit que les propriétés de France et d'Angleterre furent mêlées par la conquête, et que les propriétaires françois transportèrent leur idiome avec eux. Voici la preuve du fait des religieux bretons, manceaux, normands, possédoient des couvents et des abbayes dans la Grande-Bretagne; les familles du Ponthieu, de la Normandie, de la Bretagne, et ensuite de toutes les provinces apportées par Léonore de Guienne, ou conquises par Édouard III et Henri V, eurent des terres dans le royaume anglo-normand.

Les deux langues rivales étoient comme les drapeaux des deux partis sous lesquels on combattoit à outrance. Elles luttoient partout; elles fournissoient aux barbarismes du latin d'alors. Guillaume Wyrcester écrivoit du duc d'York : et ARRIVAVIT apud Redbanke prope Cestriam, et il ARRIVA

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chez Redbank près Chester. » Jean Roux dit que le marquis de Dorset et le chevalier Thomas Grey furent obligés de prendre la fuite, pour avoir machiné la mort du duc (le duc d'York, régent sous Henri VI), protecteur des Anglois; quod ipsi CONTRIVISSENT mortem ducis protectoris Angliæ. CONTRIVE, mot anglois, machiner.

Quelquefois les deux langues alternent dans la même pièce de vers et riment ensemble; les jongleurs vantoient incessamment le beau françois; il célébroient

Mainte belle dame courtoise
Bien parlant en langue françoise.
Il est, disoient-ils,

Il est sage, biaux et courtois
Et gentiel hom de par françoise
Miex valt sa parole françois
Que de Glocestre la ricoise

Seïz de bouere et cortois

Et sachez bien parler françois.

Le françois amenoit toujours à la rime le cour tois, à la grande déplaisance des Anglo-Saxons. Édouard Ier écouta très-respectueusement la lecture d'une bulle latine de Boniface VIII, et ordonna de la traduire en françois, parce qu'il

Pierre de Blois nous apprend qu'au commencement du douzième siècle, Gillibert ne savoit pas l'anglois; mais, versé dans le latin et le françois, il prêchoit au peuple les dimanches et fêtes. Wadington, historien-poëte du treizième siècle, déclare qu'il écrit ses ouvrages en françois, non en anglois, afin d'être mieux entendu des petits et ́ des grands; preuve que l'idiome étranger étoit prêt à étouffer l'ancien idiome du pays.

Guillaume le Bâtard fit présent à Alain, duc de Bretagne, son gendre, de quatre cent quarante-deux seigneuries dans le Yorkshire; elles formèrent depuis le comté de Richemond (Doo-ne l'avoit pas comprise. mesday-Book). Les ducs de Bretagne, successeurs d'Alain, inféodèrent ces domaines à des chevaliers bretons, cadets des familles de Rohan, de Tinteniac, de Chateaubriand, de Goyon, de Montboucher, et longtemps après le comté de Richemond (honor Richemundia) fut érigé en duché sous Charles II, pour un bâtard de ce roi. La langue françoise méprisoit et persécutoit la langue anglo-saxonne. « Tantôt c'étoit un évê<< que saxon chassé de son siége, parce qu'il ne « savoit pas le françois; tantôt des moines dont « on lacéroit les chartes, comme de nulle valeur, « parce qu'elles étoient en langue saxonne; tantôt

On trouve en manuscrit dans la bibliothèque harleïenne une grammaire françoise et épistolaire pour tous les états; une autre en vers françois et un glossaire roman-latin.

On traduisoit quelquefois en anglois les ouvrages écrits en françois : c'étoit, comme le disoient les poëtes, par commisération pour les lewed, la classe basse et ignorante.

For lewed men I undyrtoke

In englyshe tonge to make this boke.

Les pauvres scaldes battus par les trouvères des vainqueurs, et retirés au sein des vaincus, travailloient à reprendre le dessus au moyen des masses. Ils chantoient les aventures plébéiennes, et mettoient en scène, dans une suite de tableaux, Peter Ploughman. Ainsi se partageoient les deux muses et les deux peuples. La muse nationale reprochoit au gentilhomme de ne se servir que du françois :

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Frenck use this gentleman

And never English can.

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(Histor of Eng. lib. vr.)

RETOUR PAR LA LOI A LA LANGUE NATIONALE.

Édouard III, au moment où le françois prenoit le dessus par les victoires mêmes de ce monarque, par la permanence des armées angloises su

Ce gentilhomme ne fait usage que du fran- le sol françois, par l'occupation des villes enlevées çois, et jamais de l'anglois.

Un proverbe disoit : « Il ne manque à Jacques, « pour jouer le seigneur, que de savoir le fran« cois. »

Ces divisions venoient de loin. Le comte anglosaxon Guallève (c'est le célèbre Waltheof) avoit été décapité, sous le règne du conquérant, pour s'être associé à la conspiration de Roger, comte de Hereford, et de Ralph, comte de Norfolk. Guallève, comte de Northampton, étoit fils de Siward, duc de Northumbrie. Son corps fut transporté à Croyland par l'abbé Ulfketel. Quelques années après, le corps ayant été exhumé, on le trouva entier et la tête réunie au tronc : une petite ligne rouge indiquoit seulement au cou le passage du fer: à ce collier du martyre, les Anglo-Saxons reconnurent Guallève pour un saint. Les Normands se moquoient du miracle. Audin, moine de cette nation, s'écrioit que le fils de Siward n'avoit été qu'un méchant traître, justement puni: Audin mourut subitement d'une colique.

L'abbé Goisfred, successeur d'Ingulf, eut une vision: une nuit il aperçut au tombeau du comte l'apôtre Barthélemy, et Guthlac l'anachorète, revêtus d'aubes blanches. Barthélemy tenant la tête de Guallève, remise à sa place, disoit : «< I ⚫ n'est pas décapité. » Guthlac, placé aux pieds de Guallève, répondoit : « Il fut comte. » L'apôtre répliquoit : « Maintenant il est roi. » Les populations anglo-saxonnes accouroient en pèlerinage au tombeau de leur compatriote. Cette histoire fait voir d'une manière frappante la séparation et l'antipathie des deux peuples. (ORDERIC VITAL.)

à notre patrie; Édouard, ayant besoin de la pédaille et de la ribaudaille angloises, accorda l'usage de l'idiome insulaire dans les plaidoiries civiles; toutefois les arréls résultants de ces plaidoiries se rendoient toujours en françois. L'acte même du parlement de 1362, qui ordonne de se servir à l'avenir de l'idiome anglois, est rédigé en françois. Les fléaux du ciel furent obligés de se mêler à la puissance des lois pour tuer la langue des vainqueurs on remarque que le françois commença à décliner dans la grande peste de 1349.

Tandis qu'Édouard toléroit, dans son intérêt, un usage fort borné de l'anglo-saxon, lui et sa cour continuoient à parler françois. Il étoit fils d'une princesse de France, au nom de laquelle il réclamoit la couronne de saint Louis sur les champs de bataille on n'aperçoit aucune différence entre les combattants; dans les deux armées, les frères sont opposés aux frères, les pères aux enfants; Crécy, Poitiers, Azincourt, ne présentent que les désastres d'une vaste guerre civile. Philippine de Hainaut, femme d'Édouard III, parloit françois; elle avoit Froissard pour secrétaire, et le curé de Lestines écrivoit dans un françois charmant les amours d'Édouard et d'Alix de Salisbury.

Les convives du vœu du héron parlent françois : le trop fameux Robert d'Artois est le héros de la fête.

Édouard, entre les mains de Philippe de Vlois, avoit accepté par le mot voire (oui) ce serment françois qu'il viola : « Sire, vous devenez

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Après la bataille de Crécy, on fit le recensement des morts; c'est un Anglois, Michel de Northburgh, qui parle de la sorte (AVESBUR. hist.): « Furent morts le roi de Bohaigne (de Bohême), le « duc de Loreigne, le counte d'Alescun (d'Alençon), le counte de Flandres, le counte de Bloys, <«<le counte de Harcourt et ses II filtz; et Phelippe « de Valois et le markis qu'est appelé le elitz (élu) « des Romayns, eschapperent navfrés, à ceo qe

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Les Anglois, en faisant en françois le dénombrement des morts de l'armée françoise, purent se souvenir qu'ils n'avoient pas toujours été vainqueurs, et qu'ils conservoient dans leur langue la preuve même de leur asservissement et de l'inconstance de la fortune.

Dans les actes de Rymer, les originaux, depuis l'an 1101 jusque vers l'an 1460, sont presque exclusivement latins et françois. Les nombreux statuts des règnes de Henri IV, Henri V, Henri VI et Édouard IV, furent composés, transcrits sur les rôles, et promulgués en françois. Il faut descendre aussi bas que l'an 1425 pour trouver le premier acte anglois de la chambre des communes. Cependant, lorsque Henri V assiégeoit Rouen On 1418, les ambassadeurs qu'il sembloit vouloir *nvoyer aux conférences du Pont de l'Arche, déclinèrent la mission sous prétexte qu'ils ignoroient la langue du pays; mais ce fait n'a aucune valeur : Henri ne vouloit pas la paix. Après sa mort, on voit les soldats de son armée s'exprimer dans la même langue que la Pucelle, et déposer comme témoins à charge dans le procès de cette femme héroïque.

Enfin le parlement, convoqué le 20 janvier 1483 à Westminster, sous Richard III, rédigea les bills en anglois, et son exemple fut suivi par les parlements qui lui succédèrent. Il n'a tenu à rien que les trois royaumes de la Grande-Bretagne ne parlassent françois : Shakespeare auroit écrit dans la langue de Rabelais.

CHAUCER. BOWER. BARBOUR.

En même temps que les tribunaux retournèrent par ordonnance au dialecte du sol, Chaucer fut appelé à réhabiliter la harpe des bardes; mais Bower, son devancier de quelques années, et son rival, composoit encore dans les deux langues : il réussissoit beaucoup mieux en françois qu'en anglois. Froissard, contemporain de Bower, n'a rien qui puisse se comparer, pour l'élégance et la grâce, à cette ballade du poëte d'outre-mer:

Amour est chose merveileuse

Dont nul porra avoir le droit certain :
Amour de soi est la foi trichereuse
Qui plus promet, et moins aporte en main ;
Le riche est povre, et le courtois vilain;
L'épine est molle, et la rose est ortie :
En toutz errours l'amour se justifie.
L'amer est doulz, la doulceur furieuse;
Labour est aise, et le repos grevein;
Le do el plesant, la seurté perïleuse;
Le halt est bas; si est le bas haltein,

Quant l'en mieulx quide avoir, tout est en vein;
Le ris en plour, le sens tourne en folie:
En toutz errours l'amour se justifie.

Ore est amour salvage, ore est soulein,
N'est qui d'amour poet dire la sotie;
Amour est serf, amour est souverein:
En toutz errours amour se justifie.

La langue angloise de Chaucer est loin d'avoir ce poli du vieux françois, lequel a déjà quelque chose d'achevé dans ce petit genre de littérature. Cependant l'idiome du poëte anglo-saxon, amas hétérogène de patois divers, est devenu la souche de l'anglois moderne.

Courtisan, lancastrien, wiclefiste, infidèle à ses convictions, traître à son parti, tantôt banni, tantôt voyageur, tantôt en faveur, tantôt en disgrâce, Chaucer avoit rencontré Pétrarque à Padoue: au lieu de remonter aux sources saxonnes, il emprunta le goût de ses chants aux troubadours provençaux et à l'amant de Laure, et le caractère de ses contes, à Boccace.

Dans la Cour d'amour, la dame de Chaucer lui promet le bonheur au mois de mai : tout vient à point à qui sait attendre. Le 1er mai arrive : les oiseaux célèbrent l'office en l'honneur de l'amour du poëte menacé d'être heureux; l'aigle entonne le Veni Creator, et le rossignol soupire le Domine, labia mea aperies.

Le Plough-man (toujours le canevas du vieux Pierre Plowman) a de la verve le clergé, les ladies et les lords sont l'objet de l'attaque du poëte :

Suche as can nat ysay ther crede,
With prayer shul be made prelates;

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