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d'argent, à l'imitation du système céleste. (WINISAUF.) Des colliers pendants servoient également de parure aux hommes et aux femmes.

« d'ivoire. » Pierre de Blois ajoute qu'il étoit du bel usage de parler avec affectation. Et quelle langue parloit-on ainsi? la langue de Robert Wace ou du Roman du Rou, de Ville-Hardouin, de Joinville et de Froissard!

Le luxe des habits et des fêtes passoit toute croyance; nous sommes de mesquins personnages auprès de ces Barbares des treizième et quatorzième siècles. On vit dans un tournoi mille chevaliers vêtus d'une robe uniforme de soie, nommée cointise, et le lendemain ils parurent avec un accoutrement nouveau aussi magnifique. ( MATthieu Paris.) Un des habits de Richard II, roi d'Angleterre, lui coûta trente mille marcs d'argent. (KNYGHTON.) Jean Arundel avoit cinquante-deux habits complets d'étoffe d'or. (Hollingshed chron.) Une autre fois, dans un autre tournoi, défilèrent d'abord un à un soixante superbes chevaux

Les souliers pointus et rembourrés à la poulaine furent longtemps en vogue. L'ouvrier en découpoit le dessus comme des fenêtres d'église; ils étoient longs de deux pieds pour le noble, ornés à l'extrémité de cornes, de griffes ou de figures grotesques ils s'allongèrent encore, de sorte qu'il devint impossible de marcher sans en relever la pointe et l'attacher au genou avec une chaîne d'or ou d'argent. Les évêques excommunièrent les souliers à la poulaine et les traitèrent de péché contre nature. On déclara qu'ils étoient contre les bonnes mœurs, et inventés en dérision du Créateur. En Angleterre, un acte du parlement défendit aux cordonniers de fabriquer des souliers ou des bottines dont la pointe excédât deux pouces. Les larges babouches carrées par le bout remplacèrent la chaus-richement caparaçonnés, conduits chacun par un sure à bec. Les modes varioient autant que celles de nos jours; on connoissoit le chevalier ou la dame qui, le premier ou la première, avoit imaginé une haligote (mode) nouvelle : l'inventeur des souliers à la poulaine étoit le chevalier anglois Robert le Cornu. (W. MALMESBURY.)

écuyer d'honneur et précédés de trompettes et de ménestriers; vinrent ensuite soixante jeunes dames montées sur des palefrois, superbement vêtues, chacune menant en laisse, avec une chaîne d'argent, un chevalier armé de toutes pièces. La danse et la musique faisoient partie de ces bandors (réchevaliers, sautoient au son des vielles, des mujouissances). Le roi, les prélats, les barons, les settes et des chiffonies.

Les gentilfames usoient sur la peau d'un linge très-fin; elles étoient vêtues de tuniques montantes enveloppant la gorge, armoriées à droite de l'écu de leur mari, à gauche, de celui de leur famille.rades. En 1348, en Angleterre, Tantôt elles portoient leurs cheveux ras, lissés sur le front et recouverts d'un petit bonnet entrelacé de rubans; tantôt elles les dérouloient épars sur leurs épaules; tantôt elles les bâtissoient en pyramide haute de trois pieds; elles y suspendoient ou des barbettes, ou de longs voiles, ou des banderolles de soie tombant jusqu'à terre, et voltigeant au gré du vent: au temps de la reine Isabeau, on fut obligé d'élever et d'élargir les portes pour donner passage aux coiffures des châtelaines. Ces coiffures étoient soutenues par deux cornes recourbées, charpente de l'édifice du haut de la corne, du côté droit, descendoit un tissu léger que la jeune femme laissoit flotter, ou qu'elle ramenoit sur son sein comme une guimpe, en l'entortillant à son bras gauche. Une femme en plein esbattement étaloit des colliers, des bracelets et des bagues. A sa ceinture, enrichie d'or, de perles et de pierres précieuses, s'attachoit une escarcelle brodée : elle galopoit sur un palefroi, portoit un oiseau sur le poing, ou une canne à la main. « Quoi de plus ridicule, dit Pétrarque dans une lettre adressée au pape, en « 1366, que de voir les hommes le ventre sanglé! « En bas, de longs souliers pointus; en haut, des « toques chargées de plumes: cheveux tressés allant « deci delà par derrière comme la queue d'un animal, retapés sur le front avec des épingles à tête

Aux fêtes de Noël arrivoient de grandes mascaon prépara quatrevingts tuniques de bougran, quarante-deux masques et un grand nombre, de vêtements bizarres, composée d'environ cent trente personnes déguipour les mascarades. En 1377, une mascarade, sées de différentes manières, offrit un divertissement au prince de Galles.

La balle, le mail, le palet, les quilles, les dés,
douard II de la somme de cinq schellings, laquelle
affoloient tous les esprits. Il reste une note d'É-
à croix ou pile.
somme il avoit empruntée à son barbier pour jouer

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MOYEN AGE.

REPAS.

Quant au repas, on l'annonçoit au son du cor chez les nobles: cela s'appeloit corner l'eau, parce qu'on se lavoit les mains avant de se mettre à table. On dinoit à neuf heures du matin, et l'on soupoit à cinq heures du soir. On étoit assis sur des banques ou bancs, tantôt élevés, tantôt assez bas, et la table montoit et descendoit en proportion. Du banc est gent ciselées; les tables de bois étoient couvertes venu le mot banquet. Il y avoit des tables d'or et d'ar

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de nappes doubles appelées doubliers; on les plis- 1 niers étoient remplis de provisions, de vêtements soit comme une rivière ondoyante qu'un petit vent et de divers objets. Il avoit en outre douze chefrais fait doucement soulever. Les serviettes sont vaux de bât, chargés de coffres qui contenoient plus modernes. Les fourchettes, que ne connois- son argent, sa vaisselle d'or, ses livres, ses habillesoient point les Romains, furent aussi inconnues ments, ses ornements d'autel. Chaque chariot étoit des François jusqu'à la fin du quatorzième siècle; gardé par un énorme mâtin surmonté d'un singe. on ne les trouve que sous Charles V. (SALISB).

On mangeoit à peu près tout ce que nous mangeons, et même avec des raffinements que nous ignorons aujourd'hui ; la civilisation romaine n'avoit point péri dans la cuisine. Parmi les mets recherchés, je trouve le dellegrous, le maupigyrum, le karumpie. Qu'étoit-ce? On servoit des pâtisseries de formes obscènes, qu'on appeloit de leurs propres noms; les ecclésiastiques, les femmes et les jeunes filles, rendoient ces grossièretés innocentes par une pudique ingénuité. La langue étoit alors toute nue; les traductions de la Bible de ces temps sont aussi crues et plus indécentes que le texte. L'Instruction du chevalier Geoffroy la Tour Landry, gentilhomme angevin, à ses filles donne la mesure de la liberté des enseignements et des mots.

On usoit en abondance de bière, de cidre et de vin de toutes les sortes: il est fait mention du cidre sous la seconde race. Le clairet étoit du vin clarifié mêlé à des épiceries; l'hyprocras, du vin adouci avec du miel. Un festin donné en Angleterre par un abbé, en 1310, réunit six mille convives devant trois mille plats. Au repas de noce du comte de Cornouailles, en 1243, trente mille plats furent servis, et, en 1251, soixante bœufs gras furent fournis par le seul archevêque d'York pour le mariage de Marguerite d'Angleterre avec Alexandre III, roi d'Écosse. Les repas royaux étoient mêlés d'intermèdes on y entendoit toutes menestrandies; les clercs chantoient chansons, rondeaux et virelais. « Quand le roi (Henri II d'Angleterre ) sort dans la matinée, dit Pierre de Blois, vous voyez une multitude de gens courant çà et là, comme s'ils étoient privés de la raison; des chevaux se précipitent les uns sur les autres; des voitures renversent des voitures; des comédiens, des filles publiques, des joueurs, des cuisiniers, des confiseurs, des baladins, des danseurs, des barbiers, des compagnons de débauches, des parasites, font un bruit horrible; en un mot, la confusion des fantassins et des cavaliers est si insupportable, que vous diriez que l'abîme s'est ouvert et que l'enfer à vomi tous ses diables. »

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On avoit été obligé de frapper la table par des lois somptuaires : ces lois n'accordoient aux riches que deux services et deux sortes de viandes, à l'exception des prélats et des barons qui mangeoient de tout en toute liberté; elles ne permettoient la viande aux négociants et aux artisans qu'à un seul repas; pour les autres repas, ils se devoient contenter de lait, de beurre, de légumes.

MOYEN AGE.

MOEURS.

On rencontroit sur les chemins des basternes ou litières, des mules, des palefrois et des voitures à bœufs : les roues des charrettes étoient à l'antique. Les chemins se distinguoient en chemins péageaux et en sentiers; des lois en régloient la largeur : le chemin péageau devoit avoir, quatorze pieds; les sentiers pouvoient être ombragés, mais il falloit élaguer les arbres le long des voies royales, excepté les arbres d'abris. Le service des fiefs creusa cette multitude infinie de chemins de traverse dont nos campagnes sont sillonnées.

C'étoit le temps du merveilleux en toute chose : l'aumônier, le moine, le pèlerin, le chevalier, le troubadour, avoient toujours à dire ou à chanter des aventures. Le soir autour du foyer à bancs, on écoutoit ou le roman du roi Arthur, d'Ogier le Danois, de Lancelot du Lac, ou l'histoire du gobelin Orthon, grand nouvelliste qui venoit dans le vent et qui fut tué dans une grosse truie noire. (FROISSARD.)

Avec ces contes on écoutoit encore le sirvente du jongleur contre un chevalier félon, ou le récit de la vie d'un pieux personnage. Ces vies de saints, recueillies par les Bollandistes, n'étoient pas d'une imagination moins brillante que les relations profanes incantations de sorciers, tours de lutins et de farfadets, courses de loups-garous, esclaves raLorsque Thomas Becket (saint Thomas de Can- chetés, attaques de brigands, voyageurs sauvés, et torbéry) alloit en voyage, il étoit suivi d'environ qui, à cause de leur beauté, épousent les filles de deux cents cavaliers, écuyers, pages, clercs et offi- leurs hôtes (Saint Maxime); lumières qui pendant ciers de sa maison. Avec lui cheminoient huit cha- la nuit révèlent au milieu des buissons le tombeau riots tirés chacun par cinq forts chevaux; deux de de quelque vierge; châteaux qui paroissent soudaineces chariots contenoient la bière, un autre portoitment illuminés. (Saint l ́iventius, Maure et Brista.) les meubles de sa chapelle, un autre ceux de sa Saint Déicole s'étoit égaré; il rencontre un berchambre, un autre ceux de sa cuisine; les trois der-ger et le prie de lui enseigner un gîte : « Je n'en

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« connois pas, dit le berger, si ce n'est dans un « lieu arrosé de fontaines, au domaine du puissant « vassal Weissart. - Peux-tu m'y conduire? répon<< dit le saint. Je ne puis laisser mon troupeau, répliqua le pâtre. » Déicole fiche son bâton en terre, et quand le pâtre revint, après avoir conduit le saint, il trouve son troupeau couché paisiblement autour du bâton miraculeux. Weissart, terrible châtelain, menace de faire mutiler Déicole; mais Berthilde, femme de Weissart, a une grande vénération pour le prêtre de Dieu. Déicole entre dans la forteresse; les serfs empressés le veulent débarrasser de son manteau; il les remercie, et suspend ce manteau à un rayon du soleil qui passoit à travers la lucarne d'une tour. (BOLL., tom. II, pag. 202.)

Giralde, natif du pays de Galles, raconte, dans sa Topographie de l'Irlande, que saint Kewen priant Dieu, les deux mains étendues, une hirondelle entra par la fenêtre de sa cellule et déposa un œuf dans l'une de ses mains. Le saint n'abaissa point sa main; il ne la ferma que quand l'hirondelle eut déposé tous ses œufs et achevé de les couver. En souvenir de cette bonté et de cette patience, la statue du solitaire en Irlande porte une hirondelle dans une main.

L'abbé Turketult avoit en possession le pouce de saint Barthélemy; il s'en servoit pour se signer dans les moments de danger, de tempête et de tonnerre. Les Barbares aimoient les anachorètes : c'étoient des soldats de différentes milices, également éprouvés, également durs à eux-mêmes, dormant sur la terre, habitant le rocher, se plaisant aux pèlerinages lointains, à la vastité des déserts et des forêts. Aussi les ermites conduisoient-ils les batailles : campés le soir dans les cimetières, ils y composoient et chantoient à la foule armée le Dies iræ et le Stabat mater. Les Anglo-Saxons ne virent pas moins de dix rois et de onze reines abandonner le monde et se retirer dans les cloîtres. Cependant il ne faudroit pas se laisser tromper par les mots : ces reines étoient des femmes de pirates du nord arrivées dans des barques, célébrant leurs noces sur des chariots, comme les filles de Clodion le Chevelu, de belles et blanches Norwégiennes passées des dieux de l'Edda au Dieu de l'Évangile, et des walkiries aux anges.

MOYEN AGE.

SUITE DES MOEURS.

VIGUEUR ET FIN DES SIÈCLES BARBARES.

Chercher à dérouler avec méthode le tableau des mœurs de ce temps, seroit à la fois tenter l'impossible et mentir à la confusion de ces mœurs. Il faut jeter pêle-mêle toutes ces scènes telles qu'elles se

succédoient sans ordre, ou s'enchevêtroient dans une commune action, dans un même moment : il n'y avoit d'unité que dans le mouvement général qui entraînoit la société vers son perfectionnement, par la loi naturelle de l'existence humaine.

D'un côté la chevalerie, de l'autre le soulèvement des masses rustiques; tous les déréglements de la vie dans le clergé et toute l'ardeur de la foi. Des gyrovagues ou moines errants cheminant à pied, ou chevauchant sur une petite mule, prêchoient contre tous les scandales; ils se faisoient brûler vifs par les papes auxquels ils reprochoient leurs désordres, et noyer par les princes dont ils attaquoient la tyrannie. Des gentilshommes s'embusquoient sur les chemins et dévalisoient les passants, tandis que d'autres gentilshommes devenoient, en Espague, en Grèce, en Dalmatie, seigneurs des immortelles cités dont ils ignoroient l'histoire. Cours d'amour où l'on raisonnoit d'après toutes les règles du scottisme, et dont des chanoines étoient membres; troubadours et ménestrels vaguant de châteaux en châteaux, déchirant les hommes dans des satires, louant les dames dans des ballades; bourgeois divisés en corps de métiers, célébrant des solennités patronales où les saints du paradis étoient mêlés aux divinités de la Fable; représentations théâtrales, miracles et mystères dans les églises; fêtes des fous ou des cornards; messes sacriléges; soupes grasses mangées sur l'autel; l'Ile missa est répondu par trois braiements d'âne; barons et chevaliers s'engageant, dans des repas mystérieux, à porter la guerre chez des peuples, faisant vœu sur un paon ou sur un héron d'accomplir des faits d'armes pour leurs mies; Juifs massacrés et se massacrant entre eux, conspirant avec les lépreux pour empoisonner les puits et les fontaines; tribunaux de toutes les sortes condamnant, en vertu de toutes les espèces de lois, à toutes les sortes de supplices; accusés de toutes les catégories, depuis l'hérésiarque écorché et brûlé vif, jusqu'aux adultères attachés nus l'un à l'autre et promenés au milieu de la foule: le juge prévaricateur substituant à l'homicide riche condamné un prisonnier innocent; pour dernière confusion, pour derniers contrastes, la vieille société civilisée à la manière des anciens, se perpétuant dans les abbayes; les étudiants des universités faisant renaître les disputes philosophiques de la Grèce; le tumulte des écoles d'Athènes et d'Alexandrie se mêlant au bruit des tournois, des carrousels et des pas d'armes : placez enfin, au-dessus et en dehors de cette société si agitée, un autre principe de mouvement, un tombeau, objet de toutes les tendresses, de tous les regrets, de toutes les espérances, qui attiroit sans cesse au delà des mers les rois et les sujets, les vaillants et les coupables; les premiers pour chercher des ennemis, des royaumes, des aventures; les se

conds pour accomplir des voeux, expier des crimes, apaiser des remords: voilà tout le moyen âge.

PREMIÈRE PARTIE.

PREMIÈRE ET SECONDE ÉPOQUE

DE LA LITTÉRATURE ANGLOISE.

DES DANOIS ET PENDANT LE MOYEN AGE.

L'Orient, malgré le mauvais succès des croisades, resta longtemps pour les peuples de l'Europe le pays de la religion et de la gloire; ils tournoient sans cesse les yeux vers ce beau soleil, vers ces palmes de l'Idumée, vers ces plaines de Rama où les LITTÉRATURE SOUS LE RÈGNE DES ANGLO-SAXONS, Infidèles se reposoient à l'ombre des oliviers plantés par Baudouin, vers ces champs d'Ascalon qui gardoient encore les traces de Godefroi de Bouillon, de Coucy, de Tancrède, de Philippe-Auguste, de Richard Cœur de Lion, de saint Louis; vers cette Jérusalem un moment délivrée, puis retombée dans ses fers, et qui se montroit à eux, comme à Jérémie, insultée des passants, noyée dans ses pleurs, privée de son peuple, assise dans la solitude.

Tels furent ces siècles d'imagination et de force qui marchoient avec cet attirail au milieu des événements les plus variés, au milieu des hérésies, des schismes, des guerres féodales, civiles et étrangères; ces sciècles doublement favorables au génie ou par la solitude des cloîtres, quand on la recherchoit, ou par le monde le plus étrange et le plus divers, quand on le préféroit à la solitude. Pas un seul point où il ne se passât quelque fait nouveau, car chaque seigneurie laïque ou ecclésiastique étoit un petit État qui gravitoit dans son orbite, et avoit

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ses phases; à dix lieues de distance les coutumes ne se ressembloient plus. Cet ordre de choses, trêmement nuisible à la civilisation générale, imprimoit à l'esprit particulier un mouvement extraordinaire aussi toutes les grandes découvertes appartiennent-elles à ces siècles. Jamais l'individu n'a tant vécu le roi rêvoit l'agrandissement de son empire; le seigneur, la conquête du fief de son voisin; le bourgeois, l'augmentation de ses priviléges; et le marchand, de nouvelles routes à son commerce. On ne connoissoit le fond de rien; on n'avoit rien épuisé; on avoit foi à tout; on étoit à l'entrée et comme au bord de toutes les espérances, de même qu'un voyageur, sur une montagne, attend le lever du jour dont il aperçoit l'aurore. On fouilloit le passé ainsi que l'avenir; on découvroit avec la même joie un vieux manuscrit et un nouveau monde; on marchoit à grands pas vers des destinées ignorées, comme on a toute sa vie devant soi dans la jeunesse. L'enfance de ces siècles fut barbare, leur virilité, pleine de passion et d'énergie; et ils ont laissé leur riche héritage aux âges civilisés qu'ils portèrent dans leur sein fécond.

DES ANGLO-SAXONS A GUILLAUME LE CONQUÉRANT. — BRETONS.

TACITE. · POÉSIES ERSES.

Entrons maintenant dans les diverses époques de la langue et de la littérature angloise. Le lecteur placera facilement, sur le tableau que je viens de tracer, les auteurs et leurs ouvrages à mesure que je les ferai passer devant ses yeux. Il s'agit d'abord de l'époque anglo-saxonne; mais, avant de nous en occuper, voyons s'il ne reste aucune trace de la langue des Bretons sous la domination romaine.

César ne nous parle que des mœurs de ces indes chefs bretons : j'omets la harangue de Caracsulaires. Tacite nous a conservé quelques discours tacus à Claude, et ne citerai, en l'abrégeant, que le discours de Galgacus dans les montagnes de la Calédonie.

...

« Le jour de votre liberté commence. « La terre nous manque et le refuge de la mer « nous est interdit par la flotte romaine; il ne << nous reste que les armes. Dans le lieu le plus retiré « de nos déserts, n'apercevant pas même de loin «<les rivages assujettis, nos regards n'ont point été « souillés du contact de la domination étrangère. « Placés aux extrémités de la terre et de la liberté, « jusqu'à présent la renommée de notre solitude « et de ses replis nous a défendus: à présent les a bornes de la Bretagne apparoissent. Tout ce << qui est inconnu est magnifique; mais au delà de « la Calédonie, aucune nation à chercher, rien, << hormis les flots et les écueils, et les Romains « sont arrivés jusqu'à nous.

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« . . . . Dans la famille des esclaves, le der«njer venu est le jouet de ses compagnons : nous, a les plus nouveaux et conséquemment les plus méprisés dans cet univers de la vieille servi«tude, nous ne pourrions attendre que la mort, «< car nous n'avons ni guérets, ni mines, ni ports « où l'on puisse user nos bras. Courage donc, « vous qui chérissez la vie ou la gloire ! Les épou«ses des Romains ne les ont point suivis; leurs

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pères ne sont pas là pour leur faire honte de « la fuite ils regardent en tremblant ce ciel, « cette mer, ces forêts qu'ils n'ont jamais vus. « Enfermés et déjà vaincus, nos dieux les livrent << entre nos mains . . Ici votre chef, « ici votre armée; là le tribut, les travaux, les « souffrances de l'esclavage des maux éternels « ou la vengeance sont pour vous dans ce champ « de bataille. Marchez au combat! pensez à vos ancêtres et à votre postérité. »

Après Tacite, qui a paraphrasé quelques mots de Galgacus conservés par tradition dans les camps romains, un abîme se creuse on traverse quinze siècles avant d'entendre parler de nouveau du génie des Bretons, et encore comment! Macpherson transportant en Ecosse le barde irlandois Ossian, défigurant la véritable histoire de Fingal, cousant trois ou quatre lambeaux de vieilles ballades à un mensonge, nous représente un poëte de la Calédonie tout aussi réellement que Tacite nous en a représenté un guerrier. Puisque après tout nous n'avons qu'Ossian; puisque les fragments qu'on pourroit donner comme venant des bardes, appartiennent plutôt aux diverses espèces de chanteurs que je rappellerai tout à l'heure, il faut bien faire usage du travail de Macpherson. Mais comme les poëmes que John Smith ajouta à ceux qu'avoit publiés le premier éditeur du barde écossois, sont moins connus, j'en extrairai de préférence quelques passages.

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« Filles des champs aériens de Trenmor, pré« parez la robe de vapeur transparente et colo« rée. Dargo, pourquoi m'avois-tu fait oublier « Armor? Pourquoi l'aimois-je tant? Pourquoi étois-je tant aimée? Nous étions deux fleurs qui croissoient ensemble dans les fentes du « rocher; nos têtes humides de rosée sourioient <«< aux rayons du soleil. Ces fleurs avoient pris <« racine dans le roc aride. Les vierges de Mor« ven disoient: Elles sont solitaires, mais elles « sont charmantes. Le daim, dans sa course, s'élançoit par-dessus ces fleurs, et le chevreuil épargnoit leurs tiges délicates.

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« collines, dans les profondes vallées, j'ai suivi «ta course. En vain mon père espéra mon re« tour en vain ma mère pleura mon absence; «<leurs yeux mesurèrent souvent l'étendue des flots; souvent les rochers répétèrent leurs cris. Parents, amis, je fus sourde à votre voix ! « Toutes mes pensées étoient pour Dargo, je l'ai« mois de toute la force de mes souvenirs pour « Armor. Dargo, l'autre nuit j'ai goûté le sommeil à tes côtés sur la bruyère. N'est-il pas de

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« Le chant de Crimoïna alloit en s'affoiblissant " à mesure qu'il approchoit de sa fin par degrés s'éteignoit la voix de l'étrangère : l'instru<< ment échappa aux bras d'albâtre de la fille de Lochlin; Dargo se lève : il étoit trop tard! l'âme « de Crimoïna avoit fui sur les sons de la harpe. » On croira ce que l'on pourra des traductions calédoniennes de Tacite et de John Smith. Les historiens mentent un peu plus que les poëtes, sans en excepter Tacite, qui toutefois répandoit sa parole brûlante sur les tyraus, comme on jette de la chaux vive sur des cadavres pour les

consumer.

ANGLO-SAXONS ET DANOIS.

Les Anglo-Saxons ayant succédé aux Romains, et les Danois étant venus à leur tour au partage de la Grande-Bretagne, il seroit presque impos sible de séparer littérairement l'époque des AngloSaxons de celle des Danois : c'est pourquoi je les confonds ici.

Les Danois amenèrent avec eux leurs scaldes : ceux-ci se mêlèrent aux bardes galliques. Trois choses ne pouvoient être saisies pour dette, chez un homme libre du pays de Galles : son cheval, son épée et sa harpe. Les nations entières, dans leur âge héroïque, sont poëtes: on chantoit à la guerre, on chantoit aux festins, on chantoit à la mort; on redoutoit surtout de mourir dans son lit comme une femme. Starcather n'ayant pu trouver sa fin dans les combats, se mit une chaîne d'or au cou, et déclara la donner aux passants assez charitables pour le débarrasser de sa tête. Siward, comte danois du Northumberland, honteux de vieillir et craignant d'être emporté d'une maladie, dit à ses amis : « Revêtez« moi de ma cotte de mailles; ceignez-moi mon épée; placez mon casque sur ma tête, mon bou«< clier dans ma main gauche, ma hache dorée

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