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INTRODUCTION

Cent ans se sont écoulés depuis le jour où Louis XVI signait l'ordonnance qui rendait « à ceux de la religion prétendue réformée» le droit de naître sans être considérés comme bâtards, la faculté de se marier sans voir leur union assimilée à un vulgaire concubinage, et l'Église protestante de France ne possède pas encore une organisation conforme à ses vœux et à sa tradition.

Depuis la révocation de l'Édit de Nantes, les protestants, dépouillés de toute existence légale, furent dans la cruelle alternative de profaner les sacrements par des conversions. simulées, ou de compromettre l'état civil de leurs enfants en contractant des mariages frappés de nullité par la législation du royaume.

La foi des huguenots ne fut point ébranlée par les plus cruelles persécutions; ni les dragonnades, ni les condamnations aux galères, ni les exécutions capitales ne purent refroidir le zèle de ces persécutés et, écoutant enfin la voix de la raison, entrant dans une ère de tolérance, le gouvernement mit un terme à ces injustices.

Les esprits indépendants et éclairés prennent en main la cause des protestants: Ripert de Monclar (1), Elie de Beaumont (2), Loyseau de Mauléon (3) plaident en leur faveur;

(1) Mémoire théologique et politique au sujet des mariages clandestins des Protestants de France. 1755, in-8°. Ce mémoire, sans nom d'auteur, est de Ripert de Monclar, procureur général au Parlement de Provence; la partie théologique est attribuée à l'abbé Quesnel, précepteur du duc de Penthièvre.

(2) Consultez: Choix de plaidoyers et de mémoires publiés avec une notice, par Dupin jeune Paris 1824, in-8°.

(3) Mémoire, pour Dorat Pierre et Louis Calas, 1763, in-8°.

AIMGORLIAO

INTRODUCTION.

la mémoire de Calas est réhabilitée par la cassation de l'arrêt du Parlement de Toulouse qui avait condamné cet innocent; les poètes chantent les malheurs de cette famille infortunée, et le public va en foule verser des larmes à la représentation de l'Honnête Criminel (1765).

Ce mouvement vers les idées d'humanité gagna les Parlements; on en voit la preuve à Grenoble, lorsque l'avocat général Servan prend la parole dans l'affaire de Marie Robequin et demande la condamnation de Jacques Roux. Voici, en deux mots, le procès: Marie et Jacques s'étaient mariés au Désert; Jacques se convertit, abandonna sa femme et contracta un nouveau mariage avec une catholique. Marie Robequin réclama des dommages-intérêts (on n'osait pas encore soutenir la nullité du second mariage); Servan fit admettre la requête de la protestante délaissée; dans un éloquent discours, il vanta les mœurs austères « de ceux de la Religion » et proclama leur bonne foi dans les relations d'affaires.

Les rapports des intendants font connaître le progrès des protestants; il est curieux de consulter ces précieux documents, on y voit qu'en Guyenne les religionnaires tiennent en plusieurs lieux des assemblées nombreuses et assez fréquentes dans des maisons se prêtant à cet usage et quelquefois jusqu'auprès de l'église. Dans ces assemblées, il se fait des baptêmes et des mariages (1766).

En Languedoc, les protestants se réunissent aux portes des villes, ils vont à leurs assemblées et en reviennent par bandes et en plein jour; les ministres et les prédicants ne se cachent plus; faisant fonction de personnes publiques, ils délivrent des extraits de leurs registres de mariage et de baptême. (Saint-Priest intendant. Rapport du 1er janvier 1765).

En Dauphiné, la situation est la même et les commandants de ces trois provinces déclarent qu'on ne pourrait appliquer la loi sans se heurter à une sérieuse résistance. Ces révélations émurent Louis XV: il put voir combien était fausse la

(1) Discours dans la cause d'une femme protestante.

fiction légale « qu'il n'y avait plus de protestants en France » (Préambule de la déclaration du 8 mai 1715) et reconnaître que cette supposition puérile n'était « qu'un vain jargon qui avilit la loi et une barbarie qui la déshonore » (1); aussi chargea-t-il Gilbert de Voisins d'examiner les mémoires des intendants et de lui présenter un projet de réforme pour mettre un terme aux graves désordres auxquels donnait lieu dans le royaume l'état des protestants. Ce conseiller d'État, tout en reconnaissant qu'il n'était point équitable de porter une aussi grave atteinte à la liberté de conscience, que c'était user de trop de rigueur que d'enlever aux noncatholiques le droit de vendre leurs biens, concluait cependant au maintien de l'interdiction du libre exercice du culte. réformé, mais réclamait pour eux un minimum de liberté domestique et privé de religion (2). On préparait ainsi en 1766 ce qui ne fut obtenu qu'en 1787, puisque ce projet n'eut point de suite. Cependant, le mouvement philosophique gagnait du terrain parmi les magistrats et les hommes de loi, la jurisprudence devenait de plus en plus favorable aux protestants, elle les dispensa de représenter l'acte de célébration de leur mariage, considérant comme suffisante la possession d'état, ét écarta presque toutes les demandes des parents, des collatéraux, ou des tiers qui venaient contester la validité du mariage ou la paternité des enfants des religionnaires.

Louis XVI monte sur le trône et, sous l'influence de Turgot (3) et de Malesherbes (4), la situation des protestants

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(1) Consultation sur l'affaire de la dame marquise d'Anglure contre les sieurs Petit. Paris, in-8°, 1787, page 153. Il résulte des mémoires du temps qu'en 1778, il y avait en France plus de deux millions cinq cent mille protestants.

(2) Mémoire sur les moyens de donner aux Protestants un état civil en France, in-8°, 1787, par Gilbert de Voisins.

(3) Lettres de Turgot sur la Tolérance civile. (1754).

(4) Mémoire sur les Mariages protestants (1787, in-8°). Bibliothèque nationale. L. 176, no 696.

Second Mémoire sur le Mariage des protestants. (Londres, 1787, in-8°). Bibliothèque nationale. L. 176, no 697.

Ces deux mémoires sont de Malesherbes.

s'améliore; une déclaration royale du 12 mai 1782 ordonna aux curés et vicaires qui recevaient les actes de baptême de transcrire sur les registres les déclarations de ceux qui présentaient les enfants sans rien ajouter à cette déclaration. C'était là une mesure bien nécessaire, car les enfants de ceux qui n'avaient pas eu recours à la bénédiction catholique recevaient souvent la qualification d'enfants naturels ou d'enfants de tels et tels prétendus mariés. La déclaration ne tranchait point le grave conflit, toujours pendant, relativement à la validité des mariages protestants; de savants jurisconsultes, comme Target (1) et Portalis (2); des publicistes, comme Linguet (3); des canonistes, comme Maultrot (4); soutenaient dans leurs consultations que la bénédiction nuptiale donnée par les curés n'était point nécessaire pour rendre en France le mariage légal, et ils concluaient à la validité des mariages contractés au Désert. Cette théorie était équitable, malheureusement elle était absolument contraire à la loi écrite, aux termes formels de l'édit de 1724, aussi les Parlements étaient-ils obligés de prononcer la nullité des mariages, quand ils ne repoussaient pas la demande par une fin de non recevoir (5).

L'intervention de ces hommes éminents dans les affaires concernant l'état des protestants eut son retentissement dans le Parlement. Le 15 décembre 1778, à l'assemblée des Chambres réunies, M. de Bretignières réclama pour nos

(1) Mémoire sur l'état des protestants en France. (1787, in-8°).

(2) Consultation sur la validité des Mariages des protestants de France. (La Haye et Paris, 1771, in-8°.)

(3) Mémoire à consulter et Consultation pour un mari dont la femme s'est remariée en pays protestant et qui demande s'il peut se marier de même en France. Linguet. (16 août 1771). Mémoire à consulter sur la validité d'un mariage contracté en France suivant les usages des protestants. Linguet. (12 novembre 1771. Paris, 1771, in-12).

(4) Véritable nature du Mariage, droit exclusif des princes d'y apporter des empêchements dirimants. (1788, 2 vol. in-12.)

(5) La dernière trace de persécution contre les protestants sous Louis XVI se trouve dans une déclaration du 14 février 1778, défendant aux nouveaux convertis de vendre leurs immeubles sans autorisation du Roi,

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ancêtres ce qu'on accorde aux juifs dans toute l'étendue du royaume, ce que les princes protestants ne refusèrent jamais aux catholiques, ni les empereurs païens eux-mêmes, aux chrétiens qu'ils persécutaient, le moyen légal d'assurer l'état de leurs enfants. On compte, ajoutait-il, depuis 1740, plus de quatre cent mille mariages contractés au Désert, source féconde de procès scandaleux. Des hommes avides contestent à leurs proches leur état pour envahir leur fortune; des époux parjures implorent le secours de la justice pour rompre les nœuds formés sous les auspices de la bonne foi» et il adjurait le Parlement, « ce Sénat auguste, appui des malheureux et père de la patrie », d'user du droit absolu que lui conférait l'ordonnance de 1667 de représenter au roi ce qu'il juge à propos « sur les articles des ordonnances qui, par la suite des temps, usage et expérience, se trouvent être contre l'utilité ou commodité publique. »> Ces paroles éloquentes, qui auraient dû passionner tout Paris s'il eût été occupé « d'autre chose que de plaisirs, d'intrigue ou d'argent (1) », restèrent cette fois sans écho ; le Parlement arrêta qu'il n'y avait lieu à délibérer, s'en rapportant ladite Cour à la prudence du Roi. Les conseillers, en majorité favorables aux protestants, n'osèrent point donner une leçon à la Cour..

La question fut soulevée à nouveau et un jurisconsulte, le conseiller Robert de Saint-Vincent, distingua dans une dissertation approfondie le mariage considéré comme sacrement du mariage, contrat-civil que le Prince seul a le droit de régler par l'organe des lois, parce que « la fixation des formes pour le mariage suppose nécessairement un pouvoir coactif, qui n'appartient qu'à la puissance séculière » (2).

(1) Voyez Recueil de pièces sur l'Étal des protestants en France (Londres, 1788. · Préface vi et page 6.)

No 699.

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(2) Réclamation du Parlement en faveur des protestants de France, par M. de Saint-Vincent (1787, page 10). Bibliothèque nationale. L. 176. Consultez Discours à lire au Conseil en présence du Roi, par un Ministre patriote, sur le projet d'accorder l'état civil aux protestants (1787, in-8°).

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