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Dans sa séance du 9 février 1787, le Parlement émit un vœu pour que l'état civil fût accordé aux protestants, et l'édit de novembre 1788 fut enregistré par lui en janvier 1788, après avoir provoqué de sa part des remontrances (18janvier 1788). Tous les esprits indépendants accueillirent avec enthousiasme cet édit (1), et pourtant il ne donnait point aux protestants une existence légale ; il ne les rétablissait pas dans la situation qui leur avait été faite par l'Édit de Nantes; il se bornait à leur permettre de constater d'une manière purement civile leur mariage, leur naissance et leur mort (2), et, c'est avec raison que Rabaut-Saint-Etienne affirmait à l'Assemblée nationale « que les non-catholiques n'avaient reçu de l'Édit de novembre 1787 que ce que l'on n'avait pu leur refuser (3). » Cette loi, plus célèbre que juste, était un acheminement vers le système d'une tolérance absolue : les événements se précipitent, les États généraux sont convoqués dans toutes les provinces un mouvement irrésistible se produit contre tous les privilèges et contre toutes les oppressions; la sénéchaussée de Nîmes choisit le ministre Rabaut-Saint-Etienne pour un de ses députés.

La Déclaration des Droits de l'Homme, dans ses articles 6 et 10, fait disparaître l'inégalité qui existait depuis la révocation de l'Édit de Nantes entre les religionnaires et les catholiques; désormais, les anciens refugiés seront des citoyens << admissibles à toutes les dignités, places et emplois publics; ils ne devront plus être inquiétés pour leurs opinions, même religieuses.

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C'est l'ère de la réparation qui s'ouvre; il était urgent de reconstituer le patrimoine des réfugiés, confisqué en vertu

(1) L'Académie française en fit le sujet d'un concours de poëme : Fontanes remporta le prix, pour son Poëme sur l'Edit en faveur des non-catholiques (1789); une mention honorable fut décernée à l'abbé Noël ; sa pièce est intitulée : Epître d'un vieillard protestant à un Français réfugié en Allemagne, au sujet de l'Edit en faveur des non-catholiques (Bibliothèque nationale, L. 176. No 709).

(2) Réponse de Louis XVI (27 janvier 1788) aux remontrances du Parlement de Paris.

(3) Assemblée nationale. séance du 28 août 1789.

d'édits royaux; aussi, trouvons-nous toute une série de décrets sur la restitution des biens des religionnaires fugitifs; il fallait assurer la nationalité des enfants nés en pays étrangers de Français expulsés pour cause de religion; aussi l'art. 22 de la loi du 9-15 décembre 1790, confirmé par la constitution de 1790, restitue à ceux-ci la qualité de citoyens français, « s'ils viennent demeurer en France et prêtent le serment civique »; pour prévenir l'ingérence du clergé dans la constatation des naissances, le décret du 25 septembre 1792 confie aux municipalités le soin de conserver, à l'avenir, les actes destinés à constater les naissances, mariages et décès.

Cette œuvre bienfaisante fut arrêtée par le fatal régime de la Terreur; la Commune de Paris devient maîtresse de la Convention elle lui dicte ses ordres, et la persécution recommence, ne distinguant plus, cette fois, entre catholiques et protestants.

Après la tourmente, Bonaparte, maître du pouvoir, avec son génie organisateur et autoritaire, impose aux protestants les articles organiques du 18 germinal an x.

Cette loi, pour sauvegarder les droits de l'État, perd de vue les origines de l'Église, ses traditions qui, toutes, reposent sur un système de liberté et de libre examen et resserre, par une centralisation trop forte, des liens qui avaient été violemment brisés. Elle ne rétablit pas le Synode général, centre et couronnement de toute l'ancienne organisation ecclésiastique, supprime la paroisse, lui substituant l'Église consistoriale, formée par un groupe de six mille protestants, et concentre tous les pouvoirs dans le consistoire.

Des réclamations s'élèvent de toutes parts pour obtenir une organisation plus appropriée à la tradition des anciens calvinistes, et le décret du 10 brumaire an xiv, rompant l'uniformité qu'avait tenté d'établir l'article 28 de la loi de germinal, autorise la création d'oratoires protestants annexés à l'Église consistoriale la plus voisine. En fait, l'organisation ne correspondait plus à la lettre de la loi; un

projet de réorganisation fut élaboré en 1839, mais il ne fut pas discuté (1).

Après la Révolution de 1848, une Assemblée générale protestante officieuse (10 septembre-7 octobre 1848), « usant du principe général de la liberté et demeurant complètement en dehors du gouvernement », poursuivit les réformes depuis si longtemps réclamées et proposa un projet de réorganisation qui reconstituait l'Église locale avec son conseil presbytéral et rétablissait le Synode général. La question de la confession de foi amena une scission dans l'Église réformée : une proposition fut déposée pour qu'un symbole de foi fût adopté; l'Assemblée repoussa la discussion de toute question dogmatique. La minorité, qui pensait que l'Église a une foi, et qu'il est de son devoir de l'inscrire en tête de sa constitution, quitta l'Assemblée, déclara qu'elle se séparait de l'Etablissement national, et fonda « l'Union des Églises évangéliques de France », qui a résolu le problème de la séparation avec l'État.

Ce projet de 1848 servit de guide à Napoléon quand, par le décret-loi du 26 mars 1852, il reconstitua la paroisse avec un conseil presbytéral, dont les membres laïques sont élus par le suffrage universel. Ce décret règle encore le fonctionnement de l'Église réformée, qui reste privée de l'organisation synodale, que « la Réforme française réclama dans toutes ses générations, d'une voix unanime (2). »

Grâce à la bienveillante intervention du gouvernement de M. Thiers, qui autorisa la réunion du Synode de 1872, l'Église Réformée s'appuierait aujourd'hui sur cette puissante base de la représentation chrétienne, si elle n'était elle-même divisée en deux groupes de doctrines tout à fait opposées. Personne n'a mieux que M. le pasteur Bersier défini et caractérisé les deux partis en présence: « Le parti radical, dit-il, est composé d'hommes de toute

(1) Consultez Rapport au Conseil d'Etat, présenté par M. le Ministre de l'intérieur et des cultes, sur la réorganisation de l'Église réformée de Paris (18 octobre 1881).

(2) Histoire des Synodes nationaux, par G. de Felice, page 319.

nuance dogmatique, depuis ceux qui acceptent résolûment le surnaturel jusqu'à ceux qui le nient et qui n'admettent pas même la sainteté du Christ ni la personnalité divine; tous ces hommes sont pourtant unanimes en ce point, qu'ils repoussent absolument toute prétention de donner à l'Egilse réformée une base doctrinale quelconque. De l'autre, nous rencontrons le parti conservateur, qui renferme aussi dans son sein bien des nuances, mais dont tous les membres se réunissent pour reconnaître qu'une Église doit reposer sur des principes religieux, sur une foi positive, et qu'il est insensé de lui donner pour base le libre examen absolu (1).» Ces deux fractions, se trouvant en présence, ne pouvaient s'étendre; le parti libéral affirmant hautement que la foi est une question personnelle, ne voulut point accepter la déclaration de foi votée par la majorité orthodoxe. Dans la crainte de provoquer un schisme, le gouvernement ne soumit point aux Chambres le projet d'articles organiques voté par le Synode.

Pendant ce temps-là, l'Église de la Confession d'Augsbourg, qui avait su au lendemain des épreuves de la guerre mettre une trève à ses divisions dogmatiques, obtenait des Chambres cette loi de 1879 qui en fait une véritable démocratie religieuse, ayant à sa base le conseil presbytéral et à son sommet le synode général, et ne conservant guère de son ancienne organisation que les inspecteurs ecclésiastiques (2).

Si nous mentionnons l'ordonnance du 23 mai 1834, les décrets des 12 avril 1880, 25 mars 1882, nous aurons passé rapidement en revue les monuments essentiels de l'organisation des Églises protestantes.

Mais nous ne pouvons terminer cette étude, qui débute par des scènes de persécution, sans protester contre les

(1) Voyez Le Conseil presbytéral de l'Église réformée de Paris et M. Athanase Coquerel fils, par E. Bersier, 1864.

(2) Consultez mon Étude juridique sur la réorganisation de l'Église de la Confession d'Augsbourg. Pour l'organisation ancienne, voyez loi du

18 germinal an x et décret du 26 mars 1852.

:

différentes mesures qui, sous prétexte d'affaiblir le catholicisme, portent à nos Églises les atteintes les plus

graves.

Les nouvelles lois sur l'instruction publique refusent aux pasteurs tout droit de surveillance dans les écoles, elles leur ferment impitoyablement la porte des somptueux édifices scolaires; poussant à oùtrance le principe de la laïcité, elles enlèvent aux consistoires la prérogative de présenter les instituteurs pour les écoles exclusivement protestantes; les lois sur l'assistance publique excluent des bureaux de bienfaisance les ministres du culte et, comme si ce n'était point folie que de vouloir séparer la charité de la religion, le Conseil d'État ne permet plus aux consistoires de recevoir des legs pour secourir les malheureux.

Tout en maintenant l'union de l'Église avec l'État, la loi municipale de 1884 semble effectuer la séparation avec la commune, puisqu'elle ne rend plus obligatoire pour elle les dépenses du culte.

Parlerai-je de la suppression des bourses des séminaires. par un simple refus de crédit? Mentionnerai-je cette décision aveugle de la commission du budget qui, au mépris des articles organiques, propose de rendre impossible le recrutement du corps pastoral, en supprimant les facultés de théologie ?

Malgré tout, l'Église protestante peut regarder l'avenir avec confiance; elle a résisté aux plus atroces persécutions, elle ne se laissera point abattre par les vexations du pouvoir; elle conserve toujours la foi et le courage des vieux huguenots et croit qu'il est possible à l'État, tout en sauvegardant ses droits, de concilier l'ordre avec la liberté, les exigences du progrès avec le respect du passé.

ARMAND LODS.

Paris, janvier 1887.

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