l'aspect mélancolique des ruines. C'est elle qui in spiroit Virgile, lorsque, dans la description d'une peste qui moissonnoit tous les animaux, il nous attendrit presque également et sur le taureau qui pleure la mort de son frere et de son compagnon de travail, et sur le laboureur qui laisse en soupirant ses travaux imparfaits. C'est elle encore qui l'inspire lorsqu'au sujet d'un jeune arbuste qui prodigue imprudemment la luxuriance prématurée de son jeune feuillage, il demande grace au fer pour sa frêle et délicate enfance. Ce genre de sensibilité est rare, parcequ'il n'appartient pas seulement à la tendresse des affections sociales, mais à une surabondance de sentiment qui se répand sur tout, qui anime tout, qui s'intéresse à tout; et tel poëte qui a rencontré des vers tragiques assez heureux ne pourroit pas écrire six lignes de ce genre. Des personnes, d'ailleurs très estimables, ont fait à ce poëme un reproche peut-être encore plus sérieux; c'est de n'avoir été écrit que pour les riches. Ainsi l'on s'est armé contre cet ouvrage de l'intérêt qu'inspire la pauvreté, et on a prétendu que l'auteur avoit donné des préceptes inexécutables pour elle. S'il s'agit de la pauvreté absolue, que elle a autre chose à faire d'embellir des paysages. S'il s'agit de la médiocrité, je répondrai que j'ai vu des jardins charmants, du genre que je recommande, dont la dépense étoit très inférieure à celle qu'ont nécessitée des jardins beaucoup plus magnifiques et moins agréables. La plus grande partie de ces préceptes, ayant pour objet le plus heureux emploi des beautés de la nature, peut être exécutée avec les moyens les plus médiocres lorsque la situation et les accidents du paysage favorisent le goût du propriétaire. D'ailleurs comment peut-on imaginer qu'un poëte, pour qui la campagne a eu tant d'attraits qu'elle a été l'objet de ses trois premiers ouvrages, ait dédaigné les hommes utiles à qui l'on doit ses richesses? Au reste il suffiroit pour toute réponse de citer ces vers du premier chant; Mais ce grand art exige un artiste qui pense, On m'a accusé aussi d'avoir exigé du décorateur des jardins l'imitation des grands effets de la nature, et particulièrement des montagnes, et l'on a oublié que j'ai dit, en parlant des montagnes factices: Un humble monticule Veut être pittoresque, et n'est que ridicule. A l'égard des rochers, on trouvera ma réponse dans ces vers: Du haut des vrais rochers, sa demeure sauvage, La nature se rit de ces rocs contrefaits, D'un travail impuissant avortons imparfaits. S'il s'agit de ce qu'on appelle des bâtiments ou des fabriques, le grand luxe des jardins d'aujourd'hui, on peut se rappeler les vers suivants: Mais j'en permets l'usage, et j'en proscris l'abus. Enferme en un jardin les quatre parts du monde. J'avois également proscrit une manie plus ridi cule, celle des ruines factices, en disant: Mais loin ces monuments dont la ruine feinte Ces vieux ponts nés d'hier, et cette tour gothique Je crois voir cet enfant tristement grimacier, Qui, jouant la vieillesse et ridant son visage, Pour ce qui regarde les ruines véritables, on sait qu'il n'y a qu'à laisser faire au temps, qui les dessine et les perfectionne mieux que tous les efforts de l'art. Enfin la manie dispendieuse des fleurs, et de la propriété exclusive des plus rares, a trouvé une leçon dans ces vers: Je sais que dans Harlem plus d'un triste amateur Je pourrois donc appliquer à ces critiques qui ont prétendu être d'un avis différent du mien, en disant en prose ce que j'ai dit en vers, ce vers heureux de l'Épître des Disputes: Soutenant contre vous ce que vous avez dit. Mais si j'ai dû proscrire les fantaisies coûteuses et de mauvais goût, je n'ai pas dû exclure ce que la richesse peut ajouter à la décoration des jardins, pourvu qu'on l'emploie avec goût et avec sobriété. J'ai donc donné des préceptes pour les fortunes médiocres comme pour les grandes; et j'ai laissé à tout le monde le droit de faire un jardin agréable, sans statue, sans fabrique, et sans tout ce luxe qui n'est point à la portée de la médiocrité, mais qui donne à l'opulence la facilité d'employer les artistes d'une maniere utile pour eux, et honorable pour elle. Enfin vingt éditions de ce poëme, des traductions allemandes, polonaises, italiennes, deux anglaises en vers, répondent plus que suffisamment aux critiques les plus séveres. L'auteur ne s'est pas dissimulé la défectuosité de plusieurs transitions froides ou parasites: il a corrigé ces défauts dans cette édition, qu'il a augmentée de plusieurs morceaux et de plusieurs épisodes intéressants, qui donneront un nouveau prix à cet ouvrage. C'est sur-tout pour annoncer cette édition avec quelque avantage |