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A leur terrible aspect je tremble, et de leur cime
L'imagination me suspend sur l'abyme.

Je songe à tous ces bruits du peuple répétés,
De voyageurs perdus, d'amants précipités;
Vieux récits qui, charmant la foule émerveillée,
Des crédules hameaux abregent la veillée,
Et que l'effroi du lieu persuade un moment.
Mais de ces grands effets n'usez que
sobrement;
Notre cœur, dans les champs, à ces rudes secousses
Préfere un calme heureux, des émotions douces.
Moi-même, je le sens, de la cime des monts

J'ai besoin de descendre en mes riants vallons.

Je les ornai de fleurs, les couvris de bocages;

Il est temps que des eaux roulent sous leurs ombrages.
Eh bien! si vos sommets, jadis tout dépouillés,
Sont, grace à mes leçons, richement habillés,

O rochers! ouvrez-moi vos sources souterraines,
Et vous, fleuves, ruisseaux, beaux lacs, claires fontaines,
Venez, portez par-tout la vie et la fraîcheur.

Ah! qui peut remplacer votre aspect enchanteur?
De près il nous amuse, et de loin nous invite;

C'est le premier qu'on cherche, et le dernier qu'on quitte.
Vous fécondez les champs; vous répétez les cieux;
Vous enchantez l'oreille, et vous charmez les yeux.
Venez: puissent mes vers, en suivant votre course,
Couler plus abondants encor que votre source,

Plus légers que les vents qui courbent vos roseaux, Doux comme votre bruit, et purs comme vos eaux!

Et vous qui dirigez ces ondes bienfaitrices, Respectez leurs penchants, et même leurs caprices. Dans la facilité de ses libres détours

Voyez l'eau de ses bords embrasser les contours.
De quel droit osez-vous, captivant sa souplesse,
De ses plis sinueux contraindre la mollesse?
Que lui fait tout le marbre où vous l'emprisonnez?
Voyez-vous, les cheveux aux vents abandonnés,
Sans gêne, sans apprêt, sans parure étrangere,
Marcher, courir, bondir la folâtre bergere?
Sa grace est dans l'aisance et dans la liberté.
Mais au fond d'un serrail contemplez la beauté:
En vain elle éblouit, vainement elle étale
De ses atours captifs la pompe orientale;

Je ne sais quoi de triste, empreint dans tous ses traits,
Décele la contrainte et flétrit ses attraits.

Que l'eau conserve donc la liberté qu'elle aime,
Ou changez en beauté son esclavage même.
Ainsi, malgré Morel, dont l'éloquente voix

De la simple nature a su plaider les droits,
J'aime ces jeux où l'onde, en des canaux pressée,
Part, s'échappe, et jaillit avec force élancée.
A l'aspect de ces flots qu'un art audacieux
Fait sortir de la terre et lance jusqu'aux cieux,

L'homme se dit: « C'est moi qui créai ces prodiges ».'
L'homme admire son art dans ces brillants prestiges:
Qu'ils soient donc déployés chez les grands et les rois,
Mais, je le dis encor, loin du luxe bourgeois
Dont le jet d'eau honteux, n'osant quitter la terre,
S'éleve à peine, et meurt à deux pieds du parterre.

C'est peu: tout doit répondre à ce riche ornement;
Que tout prenne à l'entour un air d'enchantement.
Persuadez aux yeux que d'un coup de baguette
Une Fée, en passant, s'est fait cette retraite.
Tel j'ai vu de Saint-Cloud le bocage enchanteur;
L'oeil de son jet hardi mesure la hauteur;

Aux eaux qui sur les eaux retombent et bondissent,
Les bassins, les bosquets, les grottes applaudissent;
Le gazon est plus verd, l'air plus frais; des oiseaux
Le chant s'anime au bruit de la chûte des eaux;
Et les bois, inclinant leurs têtes arrosées,
Semblent s'épanouir à ces douces rosées.

Plus simple, plus champêtre, et non moins belle aux yeux, La cascade ornera de plus sauvages lieux.

De près est admirée, et de loin entendue,

Cette eau toujours tombante et toujours suspendue;
Variée, imposante, elle anime à la fois

Les rochers, et la terre, et les eaux, et les bois.
Employez donc cet art; mais loin l'architecture
De ces tristes gradins, où tombant en mesure,

D'un mouvement égal, les flots précipités
Jusque dans leur fureur marchent à pas comptés.
La variété seule a le droit de vous plaire.

La cascade d'ailleurs a plus d'un caractere.
Il faut choisir. Tantôt d'un cours tumultueux
L'eau se précipitant dans son lit tortueux

Court, tombe et rejaillit, retombe, écume et gronde:
Tantôt avec lenteur développant son onde,
Sans colere, sans bruit, un ruisseau doux et pur
S'épanche, se déploie en un voile d'azur.
L'œil aime à contempler ces frais amphithéâtres,
Et l'or des feux du jour sur les nappes bleuâtres,
Et le noir des rochers, et le verd des roseaux,
Et l'éclat argenté de l'écume des eaux.

Consultez donc l'effet que votre art veut produire;
Et ces flots, toujours prompts à se laisser conduire,
Vont vous offrir, plus lents ou plus impétueux,
Des tableaux gais ou fiers, grands ou voluptueux;
Tableaux toujours puissants! Eh! qui n'a pas de l'onde
Eprouvé sur son cœur l'impression profonde?
Toujours, soit qu'un courant vif et précipité
Sur des cailloux bondisse avec agilité,

Soit que sur le limon une riviere lente
Déroule en paix les plis de son onde indolente,
Soit qu'à travers les rocs un torrent en courroux
Se brise avec fracas, triste ou gai, vif ou doux,

T

Leur cours excite, appaise, ou menace, ou caresse.
De Vénus, nous dit-on, l'écharpe enchanteresse
Renfermoit les amours, et les tendres desirs,
Et la joie, et l'espoir précurseur des plaisirs.
Les eaux sont ta ceinture, ô divine Cybele!
Non moins impérieuse elle renferme en elle
La gaieté, la tristesse, et le trouble, et l'effroi.
Eh! qui l'a mieux connu, l'a mieux senti que moi?
Souvent, je m'en souviens, lorsque les chagrins sombres
Que de la nuit encore avoient noircis les ombres,
Accabloient ma pensée et flétrissoient mes sens,
Si d'un ruisseau voisin j'entendois les accents,
J'allois, je visitois ses consolantes ondes;
Le murmure, le frais de ses eaux vagabondes,
Suspendoient mes chagrins, endormoient ma douleur,
Et la sérénité renaissoit dans mon coeur.

Tant du doux bruit des eaux l'influence est puissante!
Pour prix de ce bienfait, toi, dont le cours m'enchante,
Ruisseau, permets que l'art, sans trop t'enorgueillir,
T'embellisse à nos yeux, si l'art peut t'embellir.

Un ruisseau siéroit mal dans une vaste plaine;
Son lit n'y traceroit qu'une ligne incertaine;
Modestes, au grand jour se montrant à regret,
Ses flots veulent baigner un bocage secret;
Son cours orne les bois; les bois sont ses délices:
Là, je puis à loisir suivre tous ses caprices,

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