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Qui, gravé sur l'airain, par un don glorieux,
Acquitta de Malbrough les faits victorieux?

Je ne décrirai point ce palais qui présente
La solide beauté de sa masse imposante,
Et promet de porter aux siecles à venir
D'un bienfait immortel l'immortel souvenir;
Ni ces riches tapis où combattent entre elles
La palme de Bleinheim et la palme d'Arbelles;
Ni du triomphateur le bronze colossal,
Du prodige de Rhode audacieux rival;

Ni ce pont, monument de tendresse et de gloire,
Que l'hyménée en deuil offrit à la victoire;
Ce pont, digne de Rome, et tel que dans son sein
Auroit pu s'épancher l'urne immense du Rhin.

Ah! dans cette héroïque et riante retraite,
O champs! d'autres beautés frappent votre poëte.
Assez long-temps de l'art les fastueux apprêts,
Et le bronze immobile, et les marbres muets,
De tant d'autres vainqueurs furent le prix vulgaire;
Il faut d'autres honneurs à ce foudre de guerre.
Par un don plus nouveau, mais non moins solennel,
Grand comme ses desseins, et comme eux éternel,
La nature elle-même, avec magnificence,

Consacre le bienfait et la reconnoissance:

Dans un jardin superbe, à fêter un héros
Elle-même elle invite et la terre et les flots;

Pour chanter ses exploits les bois ont leurs Orphées;
Leur ombrage est son dais; leurs festons, ses trophées.
Le ciel à son triomphe enchaîne les saisons;

De leurs fruits tous les ans son char reçoit les dons:
Tous les ans de leurs fleurs les brillantes prémices
Reviennent de son front parer les cicatrices:
L'été conte à l'été, le printemps au printemps,
Sa journée immortelle et ses faits éclatants:
La veillée en redit l'histoire triomphante:
Le hameau les apprend, la bergere les chante;
Point de terme au bienfait, un peuple généreux
Paiera le sang du pere à ses derniers neveux;
Et, sur eux étendant sa longue bienfaisance,
Comme le ciel punit, Albion récompense.

Ah! pour comble d'honneur, puisse un Spencer nouveau
Par un chant de famille honorer son tombeau!
Malbrough! Spencer! l'honneur du moderne Elysée!
Malbrough en est l'Achille; et Spencer, le Musée:
Mais dans la douce paix des bois élysiens

Malbrough, heureux Bleinheim, regrette encor les tiens; Tant ce prix glorieux fut cher à sa grande ame!

Vous donc, fiers de leurs noms, vous que leur gloire enflamme,
Vous serez dignes d'eux, vous serez les Spencers

Qui chérissent les arts, et commandent aux mers:
Bienfaitrice sévere, Albion vous contemple;

Salaire des vertus, Bleinheim en doit l'exemple:

Oui, s'il ne reproduit un exemple si beau,

Le temple de la gloire en devient le tombeau.

Mais que dis-je? aux talents, au vieil honneur fidele,
Bleinheim au monde encore en offre le modele;
L'immortelle Uranie en habite les tours;

Là, de plus d'une étoile Herschel traça le cours,
Herschel qui de Newton agrandit l'héritage.

Un jour peut-être, un jour, par un nouvel hommage,
Malbrough, astre nouveau, prendra sa place aux cieux;
Herschel lui marquera son chemin radieux.

Jadis craint sur la terre, aujourd'hui sur les ondes,
Ses feux à vos vaisseaux montreront les deux mondes:

Mais quels lieux verront-ils, quel climat reculé,

Où du fameux Malbrough le nom n'ait

pas volé,

Et ne se mêle pas, sur ces plages lointaines,

Aux grands noms des Condés, aux grands noms des Turennes?
A ces noms mon cœur bat, des pleurs mouillent mes yeux
O France! ô doux pays! berceau de nos aïeux!

Si je puis t'oublier, si tu n'es pas sans cesse
Le sujet de mes chants, l'objet de ma tendresse,
Que de te voir jamais je perde le bonheur,

Que mon nom soit sans gloire, et mes chants sans honneur!
Adieu, Bleinhein: Chambord, à son tour, me rappelle,
Chambord, qu'obtint, pour prix de sa palme immortelle,
Ce Saxon, ce héros adopté par mon roi,

Par qui Bleinheim peut-être envia Fontenoi.

Là ne s'élevent point des tours si magnifiques,
D'aussi riches palais, d'aussi vastes portiques;
Mais sa gloire l'y suit; mais à de feints combats
Lui-même, en se jouant, conduit ses vieux soldats:
Tels, au bord du Léthé, les héros du vieil âge
De la guerre, dit-on, aiment toujours l'image,
Et, dans ces lieux de paix trouvant les champs de Mars,
Dardent encor la lance, et font voler des chars.

FIN DU PREMIER CHANT.

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