Page images
PDF
EPUB

Hagley, nous déployant son élégance agreste;
Et Pain'shill si charmant dans sa beauté modeste,
Et Bowton et Foxly, que le bon goût planta,

Fier d'obéir lui-même aux lois qu'il nous dicta;
Tous deux voisins, tous deux aimés des dieux champêtres,
Et, malgré leur contraste, amis comme leurs maîtres!
Toi-même viens enfin prendre place en mes chants,
Chiswick, plein des trésors de la ville et des champs;
Soit que dans tes bosquets j'admire la nature;
Soit que ton élégante et noble architecture,
Dans ce beau pavillon dont l'œil est amoureux,
Du grand Palladio m'offre l'ouvrage heureux;
dans ce salon où la toile respire,

Soit que,

La Flandre et l'Ausonie offrent à Devonshire
D'innombrables beautés, qu'efface un de ses traits.
Charmez donc ses loisirs, beaux lieux, asyles frais;
Et quand son goût vous prête une grace nouvelle,
Croissez, ombragez-vous, et fleurissez pour elle.

J'ai dit les lieux charmants que l'art peut imiter;
Mais il est des écueils que l'art doit éviter.
L'esprit imitateur trop souvent nous abuse.
Ne prêtez point au sol des beautés qu'il refuse.
Avant tout, connoissez votre site; et du lieu
Adorez le génie, et consultez le dieu:

Ses lois impunément ne sont pas offensées.
Cependant, moins hardi qu'étrange en ses pensées,

Tous les jours, dans les champs, un artiste sans goût
Change, mêle, déplace, et dénature tout;

Et,
, par
l'absurde choix des beautés qu'il allie,
Revient gâter en France un site d'Italie.

Ce que votre terrein adopte avec plaisir,
Sachez le reconnoître, osez vous en saisir.
C'est mieux que la nature, et cependant c'est elle;
C'est un tableau parfait qui n'a point de modele.
Ainsi savoient choisir les Berghems, les Poussins.
Voyez, étudiez leurs chefs-d'œuvre divins:
Et ce qu'à la campagne emprunta la peinture,
Que l'art reconnoissant le rende à la nature.

Maintenant des terreins examinons le choix,
Et quels lieux se plairont à recevoir vos lois.
Il fut un temps funeste où, tourmentant la terre,
Aux sites les plus beaux l'art déclaroit la guerre;
Et, comblant les vallons et rasant les coteaux,
D'un sol heureux formoit d'insipides plateaux.
Par un contraire abus, l'art, tyran

tyran des

campagnes,

Aujourd'hui veut créer des vallons, des montagnes.
Évitez ces excès: vos soins infructueux

Vainement combattroient un terrein montueux;
Et dans un sol égal un humble monticule
Veut être pittoresque, et n'est que ridicule.
Desirez-vous un lieu propice à vos travaux?

Loin des champs trop unis, des monts trop inégaux,

J'aimerois ces hauteurs où sans orgueil domine
Sur un riche vallon une belle colline.
Là, le terrein est doux sans insipidité,
Elevé sans roideur, sec sans aridité.

Vous marchez: l'horizon vous obéit: la terre
S'éleve ou redescend, s'étend ou se resserre.
Vos sites, vos plaisirs, changent à chaque pas.
Qu'un obscur arpenteur, armé de son compas,
Au fond d'un cabinet, d'un jardin symmétrique
Confie au froid papier le plan géométrique;
Vous, venez sur les lieux. Là, le crayon en main,
Dessinez ces aspects, ces coteaux, ce lointain;
Devinez les moyens, pressentez les obstacles:
C'est des difficultés que naissent les miracles.
Le sol le plus ingrat connoîtra la beauté.
Est-il nud? que des bois parent sa nudité:
Couvert? portez la hache en ses forêts profondes:
Humide? en lacs pompeux, en rivieres fécondes,
Changez cette onde impure; et par d'heureux travaux
Corrigez à la fois l'air, la terre, et les eaux:

Aride enfin? cherchez, sondez, fouillez encore;
L'eau, lente à se trahir, peut-être est près d'éclore.
Ainsi d'un long effort moi-même rebuté,
Quand j'ai d'un froid détail maudit l'aridité,
Soudain un trait heureux jaillit d'un fond stérile,
Et mon vers ranimé coule enfin plus facile,

Il est des soins plus doux, un art plus enchanteur. C'est peu de charmer l'œil, il faut parler au cœur. Avez-vous donc connu ces rapports invisibles Des corps inanimés et des êtres sensibles? Avez-vous entendu des eaux, des prés, des bois, La muette éloquence et la secrete voix? Rendez-nous ces effets. Que du riant au sombre, Du noble au gracieux, les passages sans nombre M'intéressent toujours. Simple et grand, fort et doux, Unissez tous les tons pour plaire à tous les goûts. Là, que le peintre vienne enrichir sa palette; Que l'inspiration y trouble le poëte;

Que le sage du calme y goûte les douceurs;

L'heureux, ses souvenirs; le malheureux, ses pleurs.
Mais l'audace est commune, et le bon sens est rare.
Au lieu d'être piquant, souvent on est bizarre.
Gardez que, mal unis, ces effets différents
Ne forment qu'un chaos de traits incohérents;
Les contradictions ne sont pas des contrastes.

D'ailleurs à ces tableaux il faut des toiles vastes.
N'allez pas resserrer dans des cadres étroits
Des rivieres, des lacs, des montagnes, des bois.
On rit de ces jardins, absurde parodie
Des traits que jette en grand la nature hardie,
Où l'art, invraisemblable à la fois et grossier,
Enferme en un arpent un pays tout entier.

Au lieu de cet amas, de ce confus mélange, leur aspect change:

Variez les sujets, ou que

Rapprochés, éloignés, entrevus, découverts,
Qu'ils offrent tour-à-tour vingt spectacles divers.
Que de l'effet qui suit l'adroite incertitude
Laisse à l'œil curieux sa douce inquiétude;
Qu'enfin les ornements avec goût soient placés,
Jamais trop imprévus, jamais trop annoncés.

Sur-tout du mouvement: sans lui, sans sa magie,
L'esprit désoccupé retombe en léthargie;

Sans lui, sur vos champs froids mon œil glisse au hasard. Des grands peintres encor faut-il attester l'art?

Voyez-les prodiguer de leur pinceau fertile

De mobiles objets sur la toile immobile,
L'onde qui fuit, le vent qui courbe les rameaux,
Les globes de fumée exhalés des hameaux,

Les troupeaux, les pasteurs, et leurs jeux et leur danse;
Saisissez leur secret, plantez en abondance

Ces souples arbrisseaux, et ces arbres mouvants,
Dont la tête obéit à l'haleine des vents;

Quels qu'ils soient, respectez leur flottante verdure,
Et défendez au fer d'outrager la nature.

Voyez-la dessiner ces chênes, ces ormeaux;

Voyez comment sa main, du tronc jusqu'aux rameaux, Des rameaux au feuillage, augmentant leur souplesse, Des ondulations leur donna la mollesse.

« PreviousContinue »