des Champs au souvenir des ressources et des consolations que je lui ai dues dans l'adversité. La plupart des autres arts qui se montrent comme un luxe et un amusement se présentent dans un jour de malheur avec moins de décence. La poésie est amusante dans les temps de prospérité, vertueuse dans les temps de dépravation, et consolante dans les temps de tyrannie; d'ailleurs, à ces époques malheureuses, des distractions ordinaires ne suffisent pas, il faut des occupations passionnées qui s'emparent fortement des facultés de l'esprit et de l'ame: la poésie a cet avantage; elle a encore celui de s'élever par les charmes de l'imagination audessus des scenes de la vie ordinaire, et du spectacle affligeant d'un siecle dépravé: elle crée à son gré d'autres mondes, en choisit les habitants, et place cette population imaginaire, ces meilleurs mondes, entre elle et le malheur ou le crime; surtout elle ramene ceux qui la cultivent dans la solitude et la retraite, les asyles les plus sûrs contre la tyrannie: c'est là seulement qu'on peut retenir quelques restes de liberté, et qu'on peut du moins espérer l'oubli. Ce moyen n'a pas toujours réussi ; à l'époque horrible dont je parle, l'obscurité et la solitude elle-même avoient leurs dangers. Mais mon existence dépose en leur faveur; et c'est aux délices inexprimables de la poésie que je dois le goût de la vie retirée à laquelle je suis tant redevable. Cet art charmant avoit été mon amusement, il est devenu ma consolation et mon asyle. Je ne puis finir ces observations sans remercier M. David, qui, sans avoir aucune liaison avec moi, m'a dédommagé de la sévérité des critiques par les réponses pleines de goût, d'esprit, et d'élégance, qu'il a bien voulu y faire. De nombreuses éditions sont venues à l'appui du jugement qu'il a porté de cet ouvrage, et cette réponse est d'un genre à ne pouvoir être réfutée. Je dois les mêmes remerciements à ceux qui dans des vers charmants ont exprimé tant d'indulgence pour mon ouvrage, et tant de bienveillance pour ma personne. C'est par le plus doux des sentiments, celui de la reconnoissance, qu'ils m'ont ramené, au moins en imagination, dans ma patrie, dont j'ai vivement senti les malheurs, et qui m'a laissé un profond souvenir de ses délices et de ses bienfaits. POËME. CHANT PREMIER. Le doux printemps revient, et ranime à la fois Que la coupe d'Atrée ensanglante ses mains: Flore a souri; ma voix va chanter les Jardins. Je dirai comment l'art embellit les ombrages, L'eau, les fleurs, les gazons, et les rochers sauvages, Donne aux scenes la vie et la variété: Enfin l'adroit ciseau, la noble architecture, Des chefs-d'œuvre de l'art vont parer la nature. Toi donc, qui, mariant la grace à la vigueur, Sais du chant didactique animer la langueur, O Muse! si jadis, dans les vers de Lucrece, Des austeres leçons tu polis la rudesse, Si par toi, sans flétrir le langage des dieux, Son rival a chanté le soc laborieux; Viens orner un sujet plus riche, plus fertile, Dont le charme autrefois avoit tenté Virgile. N'empruntons point ici d'ornement étranger; Viens, de mes propres fleurs mon front va s'ombrager; Et, comme un rayon pur colore un beau nuage, Des couleurs du sujet je teindrai mon langage. L'art innocent et doux que célebrent mes vers Et plus près de ses yeux il rangea sous ses lois Quand Rome au monde entier eut envoyé des fers, Et d'un air plus riant instruisoit les humains. |