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tandis qu'ils étoient sous le fer du bourreau, révolta les païens mêmes, et il ne reçut pas des empereurs la récompense qu'il en attendoit '.

Ce caractère, tracé par Lactance, prouve que je n'ai donné à Hiéroclès que les mœurs de son temps. Hiéroclès étoit lui-même sophiste, écrivain, orateur et persécuteur.

«L'autre auteur, dit Fleury, étoit du nombre des «juges, et un de ceux qui avaient conseillé la persécu«tion. On croit que c'étoit Hiéroclès, né en une petite << ville de Carie, et depuis gouverneur d'Alexandrie. « Il écrivit deux livres qu'il intitula Philaléthès, c'est« à-dire Ami de la vérité, et adressa son discours aux « chrétiens mêmes, pour ne pas paroître les attaquer, « mais leur donner de salutaires conseils. Il s'efforçoit « de montrer de la contradiction dans les Écritures saintes, et en paroissoit si bien instruit, qu'il sem<< bloit avoir été chrétien 2. »

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Je n'ai donc point calomnié Hiéroclès. Je respecte et honore la vraie philosophie. On pourra même observer que le mot de philosophe et de philosophie n'est pas une seule fois pris en mauvaise part dans mon ouvrage. Tout homme dont la conduite est noble, les sentiments élevés et généreux, qui ne descend jamais à des bassesses, qui garde au fond du cœur une légitime indépendance, me semble respectable, quelles que soient d'ailleurs ses opinions. Mais les sophistes de tous les pays et de tous les temps sont dignes de mépris, parce qu'en abusant des meilleures choses, ils font prendre en horreur ce qu'il y a de plus sacré parmi les hommes.

Je viens aux anachronismes. Les plus grands hommes que l'Église ait produits ont presque tous paru entre

1 LACT., Instit., lib. v, cap. IV, pag. 470.

Hist. eccl., lib. VIII, tom. 11, in-8°.

la fin du troisième siècle et le commencement du quatrième. Pour faire passer ces illustres personnages sous les yeux du lecteur, j'ai été obligé de presser un peu les temps; mais ces personnages, la plupart placés, ou même simplement nommés dans le récit, ne jouent point de rôles importants; ils sont purement épisodiques, et ne tiennent presque point à l'action; ils ne sont là que pour rappeler de beaux noms et réveiller de nobles souvenirs. Je crois que les lecteurs ne seront pas fâchés de rencontrer à Rome saint Jérome et saint Augustin, de les voir, emportés par l'ardeur de la jeunesse, tomber dans ces fautes qu'ils ont pleurées si long-temps, et qu'ils ont peintes avec tant d'éloquence. Après tout, entre la mort de Dioclétien et la naissance de saint Jérôme, il n'y a que vingt-huit ans. D'ailleurs, en faisant parler et agir saint Jérôme et saint Augustin, j'ai toujours peint fidèlement les mœurs historiques. Ces deux grands hommes parlent et agissent dans les Martyrs comme ils ont parlé et comme ils ont agi, peu d'années après, dans les mêmes lieux et dans des circonstances semblables.

Je ne sais si je dois rappeler ici l'anachronisme de Pharamond et de ses fils. On voit, par Sidoine Apollinaire, par Grégoire de Tours, par l'Épitome de l'histoire des Francs, attribué à Frédégaire, par les Antiquités de Montfaucon, qu'il y a eu plusieurs Pharamond, płusieurs Clodion, plusieurs Mérovée. Les rois Francs dont j'ai parlé ne seront donc pas, si l'on veut, ceux que nous connoissons sous ces noms, mais d'autres rois, leurs ancêtres.

J'ai placé la scène à Rome, et non pas à Nicomédie, séjour habituel de Dioclétien. Un lecteur moderne ne se représente guère un empereur romain autre part qu'à Rome. Il y a des choses que l'imagination ne peut

séparer. Racine a observé avec raison, dans la préface
d'Andromaque, qu'on ne sauroit donner un fils étran-
ger à la veuve d'Hector. Au reste, l'exemple de Virgile,
de Fénelon et de Voltaire me servira d'excuse et d'auto-
rité auprès de ceux qui blâmeroient ces anachronismes.
On m'avoit engagé à mettre des notes à mon ouvrage:
peu
de livres, en effet, en seroient plus susceptibles. J'ai
trouvé dans les auteurs que j'ai consultés des choses
généralement inconnues, et dont j'ai fait mon profit.
Le lecteur qui ignore les sources pourroit prendre ces
choses extraordinaires pour des visions de l'auteur :
c'est ce qui est déjà arrivé au sujet d'Atala.

Voici quelques exemples de ces faits singuliers.
En ouvrant le sixième livre des Martyrs, on lit:

« La France est une contrée sauvage et couverte de forêts, qui commence au-delà du Rhin, etc. »

Je m'appuie ici de l'autorité de saint Jérôme dans la Vie de saint Hilarion. J'ai de plus la carte de Peutinger, et je crois même qu'Ammien Marcellin donne le nom de France au pays des Francs.

Je fais mourir les deux Décius en combattant contre les Francs : ce n'est pas l'opinion commune; mais je suis la Chronique d'Alexandrie 2.

Dans un autre endroit, je parle du port de Nîmes. J'adopte alors pour un moment l'opinion de ceux qui croient que la Tour-Magne étoit un phare.

Pour le cercueil d'Alexandre, on peut consulter Quinte-Curce, Strabon, Diodore de Sicile, etc. La couleur des yeux des Francs, la peinture verte dont les Lombards couvroient leurs joues, sont des faits puisés dans les lettres et dans les poésies de Sidoine.

1

Pour la description des fêtes romaines, les prostitu

Peutingeriana Tabula itineraria. Vienne, 1753, in-fol.

› Chronicon Paschale. Parisiis, 1688, in fol.

tions publiques, le luxe de l'amphithéâtre, les cinq cents lions, l'eau safranée, etc., on peut lire Cicéron, Suétone, Tacite, Florus; les écrivains de l'Histoire Auguste sont remplis de ces détails.

Quant aux curiosités géographiques touchant les Gaules, la Grèce, la Syrie, l'Égypte, elles sont tirées de Jules César, de Diodore de Sicile, de Pline, de Strabon, de Pausanias, de l'Anonyme de Ravenne, de Pomponius Méla, de la Collection des panégyristes, de Libanius dans son Discours à Constantin, et dans son livre intitulé Basilicus, de Sidoine Apollinaire, enfin de mes propres ouvrages.

Pour les mœurs des Francs, des Gaulois et des autres Barbares, j'ai lu avec attention, outre les auteurs déjà cités, la Chronique d'ldace, Priscus, Panitès (Fragments sur les ambassades), Julien (première Oraison et le livre des Césars), Agathias et Procope sur les armes des Francs, Grégoire de Tours et les Chroniques, Salvien, Orose, le vénérable Bède, Isidore de Séville, Saxo Grammatieus, l'Edda, l'introduction à l'Histoire de Charles-Quint, les Remarques de Blair sur Ossian, Peloutier, Histoire des Celtes, divers articles de Du Cange, Joinville et Froissard.

Les mœurs des chrétiens primitifs, la formule des actes des martyrs, les différentes cérémonies, la description des églises, sont tirées d'Eusèbe, de Socrate, de Sozomène, de Lactance, des Apologistes, des Actes des Martyrs, de tous les Pères, de Tillemont et de Fleury.

Je prie donc le lecteur, quand il rencontrera quelque chose qui l'arrêtera, de vouloir bien supposer que cette chose n'est pas de mon invention, et que je n'ai eu d'autre vue que de rappeler un trait de mœurs curieux, un monument remarquable, un fait ignoré. Quelquefois aussi, en peignant un personnage de l'époque que

j'ai choisie, j'ai fait entrer dans ma peinture un mot, une pensée, tirés des écrits de ce même personnage: non que ce mot et cette pensée fussent dignes d'être cités comme un modèle de beauté et de goût, mais parce qu'ils fixent les temps et les caractères. Tout cela auroit pu, sans doute, servir de matière à des notes. Mais avant de grossir les volumes, il faut d'abord savoir si mon livre sera lu, et si le public ne le trouvera pas déjà trop long.

J'ai commencé les Martyrs à Rome, dès l'année 1802, quelques mois après la publication du Génie du Christianisme. Depuis cette époque je n'ai pas cessé d'y travailler. Les dépouillements que j'ai faits de divers auteurs sont si considérables, que, pour les seuls livres des Francs et des Gaulois, j'ai rassemblé les matériaux de deux gros volumes. J'ai consulté des amis de goûts différents et de différents principes en littérature. Enfin, non content de toutes ces études, de tous ces sacrifices, de tous ces scrupules, je me suis embarqué, et j'ai été voir les sites que je voulois peindre. Quand mon ouvrage n'auroit d'ailleurs aucun autre mérite, il auroit du moins l'intérêt d'un voyage fait aux lieux les plus fameux de l'histoire. J'ai commencé mes courses aux ruines de Sparte, et je ne les ai finies qu'aux débris de Carthage, en passant par Argos, Corinthe, Athènes, Constantinople, Jérusalem et Memphis. Ainsi, en lisant les descriptions qui se trouvent dans les Martyrs, le lecteur peut être assuré que ce sont des portraits ressemblants, et non des descriptions vagues et ambitieuses. Quelques-unes de ces descriptions sont même tout-à-fait nouvelles : aucun voyageur moderne. du moins que je sache, n'a donné le tableau de la Mes

1 Coronelli, Pellegrin, La Guilletière, et plusieurs autres Véni tiens, ont parlé de Lacédémone, mais de la manière la plus vague

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