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Polycaste, étoient apparus à des chasseurs dans les bois d'Ira.

La fête de Diane-Limnatide approchoit, et l'on se préparoit à conduire la pompe accoutumée sur les confins de la Messénie et de la Laconie. Cette pompe, cause funeste des guerres antiques de Lacédémone et de Mécène, n'attiroit plus que de paisibles spectateurs. Cymodocée fut choisie des vieillards pour conduire le chœur des jeunes filles qui devoient présenter les offrandes à la chaste sœur d'Apollon. Dans la naïveté de sa joie, elle s'applaudissoit de ces honneurs, parce qu'ils rejaillissoient sur son père: pourvu qu'il entendît les louanges qu'on donnoit à sa fille, qu'il touchât les couronnes qu'elle avoit gagnées, il ne demandoit pas d'autre gloire ni d'autre bonheur.

Démodocus, retenu par un sacrifice qu'un étranger étoit venu offrir à Homère, ne put accompagner sa fille à Limné. Elle se rendit seule à la fête avec sa nourrice Euryméduse, fille d'Alcimédon de Naxos. Le vieillard étoit sans inquiétude, parce que le proconsul d'Achaïe se trouvoit alors à Rome auprès de César Galérius. Le temple de Diane s'élevoit à la vue du golfe de Messénie, sur une croupe du Taygète, au milieu d'un bois de pins, aux branches desquels les chasseurs avoient suspendu la dépouille des bêtes sauvages. Les murs de l'édifice avoient reçu du temps cette couleur de feuilles. séchées que le voyageur observe encore aujourd'hui dans les ruines de Rome et d'Athènes. La statue de Diane, placée sur un autel au milieu du

temple, étoit le chef-d'œuvre d'un sculpteur célèbre. Il avoit représenté la fille de Latone debout, un pied en avant, saisissant de la main droite une flèche dans son carquois suspendu à ses épaules, tandis que la biche Cérynide, aux cornes d'or et aux pieds d'airain, se réfugioit sous l'arc que la déesse tenoit dans sa main gauche abaissée.

Au moment où la lune, au milieu de sa course, laissa tomber ses rayons sur le temple, Cymodocée, à la tête de ses compagnes, égales en nombre aux nymphes Océanies, entonna l'hymne à la Vierge Blanche. Une troupe de chasseurs répondoit à la voix des jeunes filles :

<< Formez, formez la danse légère! Doublez, ra<< menez le choeur, le chœur sacré !

« Diane, souveraine des forêts, recevez les vœux « que vous offrent des vierges choisies, des enfants «< chastes, instruits par les vers de la Sibylle. Vous naquîtes sous un palmier, dans la flottante Délos. « Pour charmer les douleurs de Latone, des cygnes <<firent sept fois en chantant le tour de l'île har«monieuse. Ce fut en mémoire de leurs chants que « votre divin frère inventa les sept cordes de la lyre. << Formez, formez la danse légère! Doublez, ra« menez le chœur, le chœur sacré !

« Vous aimez les rives des fleuves, l'ombrage des « bois, les forêts du Cragus verdoyant, du frais Al« gide et du sombre Érymanthe. Diane, qui portez « l'arc redoutable; Lune, dont la tête est ornée du «< croissant; Hécate, armée du serpent et du glaive,

a faites que la jeunesse ait des mœurs pures, la

<< vieillesse, du repos, et la race de Nestor, des fils, des richesses et de la gloire !

<< Formez, formez la danse légère! Doublez, ra« menez le choeur, le cheur sacré ! »

En achevant cet hymne, les jeunes filles ôtèrent leurs couronnes de laurier, et les suspendirent à l'autel de Diane, avec les arcs des chasseurs. Un cerf blanc fut immolé à la reine du silence. La foule se sépara, et Cymodocée, suivie de sa nourrice, prit un sentier qui la devoit conduire chez son père.

C'étoit une de ces nuits dont les ombres transparentes semblent craindre de cacher le beau ciel de la Grèce : ce n'étoient point des ténèbres, c'étoit seulement l'absence du jour. L'air étoit doux comme le lait et le miel, et l'on sentoit à le respirer un charme inexprimable. Les sommets du Taygète, les promontoires opposés de Colonides et d'Acritas, la mer de Messénie, brilloient de la plus tendre lumière; une flotte ionienne baissoit ses voiles pour entrer au port de Coronée, comme une troupe de colombes passagères ploie ses ailes pour se reposer sur un rivage hospitalier; Alcyon gémissoit doucement sur son nid, et le vent de la nuit apportoit à Cymodocée les parfums du dictame et la voix lointaine de Neptune; assis dans la vallée, le berger contemploit la lune au milieu du brillant cortége des étoiles, et il se réjouissoit dans son cœur.

La jeune prêtresse des Muses marchoit en silence le long des montagnes. Ses yeux erroient avec ravissement sur ces retraites enchantées, où les anciens avoient placé le berceau de Lycurgue et celui

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de Jupiter, pour enseigner que la religion et les lois doivent marcher ensemble et n'ont qu'une même origine. Remplie d'une frayeur religieuse, chaque mouvement, chaque bruit devenoit pour elle un prodige; le vague murmure des mers étoit le sourd rugissement des lions de Cybèle descendu dans le bois d'OEchalie; et les rares gémissements du ramier étoient les sons du cor de Diane chassant sur les hauteurs de Thuria.

Elle avance, et d'aimables souvenirs, en remplaçant ses craintes, viennent occuper sa mémoire : elle se rappelle les antiques traditions de l'île fameuse où elle reçut la lumière, le Labyrinthe, dont la danse des jeunes Crétoises imitoit encore les détours, l'ingénieux Dédale, l'imprudent Icare, Idoménée et son fils, et surtout les deux sœurs infortunées, Phèdre et Ariadne. Tout à coup elle s'aperçoit qu'elle a perdu le sentier de la montagne et qu'elle n'est plus suivie de sa nourrice: elle pousse un cri qui se perd dans les airs; elle implore les dieux des forêts, les napées, les dryades; ils ne répondent point à sa voix, et elle croit que ces divinités absentes sont rassemblées dans les vallons du Ménale, où les Arcadiens leur offrent des sacrifices solennels. Cymodocée entendit de loin le bruit des eaux aussitôt elle court se mettre sous la protection de la naïade jusqu'au retour de l'aurore.

Une source d'eau vive, environnée de hauts peupliers, tomboit à grands flots d'une roche élevée; au-dessus de cette roche, on voyoit un autel dédié

aux nymphes, où les voyageurs offroient des vœux et des sacrifices. Cymodocée alloit embrasser l'autel et supplier la divinité de ce lieu de calmer les inquiétudes de son père, lorsqu'elle aperçut un jeune homme qui dormoit appuyé contre un rocher. Sa tête inclinée sur sa poitrine, et penchée sur son épaule gauche, étoit un peu soutenue par le bois d'une lance; sa main, jetée négligemment sur cette lance, tenoit à peine la laisse d'un chien qui sembloit prêter l'oreille à quelque bruit; la lumière de l'astre de la nuit, passant entre les branches de deux cyprès, éclairoit le visage du chasseur : tel un successeur d'Apelles a représenté le sommeil d'Endymion. La fille de Démodocus crut, en effet, que ce jeune homme étoit l'amant de la reine des forêts : une plainte du zéphyr lui parut être un soupir de la déesse, et elle prit un rayon fugitif de la lune dans le bocage pour le bord de la tunique blanche de Diane qui se retiroit. Épouvantée, craignant d'avoir troublé les mystères, Cymodocée tombe à genoux et s'écrie :

"

« Redoutable sœur d'Apollon, épargnez une vierge imprudente; ne la percez pas de vos flèches! << Mon père n'a qu'une fille, et jamais ma mère, déjà << tombée sous vos coups, ne fut orgueilleuse de ma « naissance ! »

A ces cris le chien aboie, le chasseur se réveille. Surpris de voir cette jeune fille à genoux, il se lève précipitamment :

« Comment! dit Cymodocée confuse et toujours à genoux, est-ce que tu n'es pas le chasseur Endymion? »

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