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retentir de village en village les cris que poussent les Gaulois quand ils veulent se communiquer une nouvelle. Je crus que les Francs avoient attaqué quelque partie du rivage, et je me hâtai de sortir avec mes soldats.

<< Bientôt j'aperçois des paysans qui courent de toutes parts. Ils se réunissent à une grande troupe qui s'avance vers moi.

« Je marche à la tête des Romains vers les bataillons rustiques. Arrivé à la portée du javelot, j'arrête mes soldats, et m'avançant seul, la tête nue, entre les deux armées :

« Gaulois, quel sujet vous rassemble? Les Francs sont-ils descendus dans les Armoriques? Venez-vous m'offrir votre secours, ou vous présentez-vous ici comme ennemis de César? »>

« Un vieillard sort des rangs. Ses épaules trembloient sous le poids de sa cuirasse, et son bras étoit chargé d'un fer inutile. O surprise! je crois reconnoître une de ces armures que j'avois vues suspendues au bois des druides. O confusion! ô douleur! ce vénérable guerrier étoit Ségenax!

<«< Gaulois, s'écrie-t-il, j'en atteste ces armes de ma jeunesse, que j'ai reprises au tronc d'Irminsul, où je les avois consacrées, voilà celui qui a déshonoré mes cheveux blancs. Un eubage avoit suivi ma fille, dont la raison est égarée : il a vu dans l'ombre le crime d'un Romain. La vierge de Sayne a été outragée. Vengez vos filles et vos épouses; vengez les Gaulois et vos dieux ! >>

«Il dit, et me lance un javelot d'une main im

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puissante. Le dard, sans force, vient tomber à mes pieds; je l'aurois béni s'il m'eût percé le cœur. Les Gaulois, poussant un cri, se précipitent sur moi; mes soldats s'avancent pour me secourir. En vain je veux arrêter les combattants. Ce n'est plus un tumulte passager, c'est un véritable combat, dont les clameurs s'élèvent jusqu'au ciel. On eût cru que les divinités des druides étoient sorties de leurs forêts, et que, du faîte de quelque bergerie, elles animoient les Gaulois au carnage, tant ces laboureurs montraient d'audace! Indifférent sur les coups qui menacent ma tête, je ne songe qu'à sauver Ségenax; mais, tandis que je l'arrache aux mains des soldats, et que je cherche à lui faire un abri du tronc d'un chêne, une javeline, lancée du milieu de la foule, vient avec un affreux sifflement s'enfoncer dans les entrailles du vieillard; il tombe sous l'arbre de ses aïeux, comme l'antique Priam sous le laurier qui embrassoit ses autels domestiques.

«Dans ce moment, un char paroît à l'extrémité de la plaine. Penchée sur les coursiers, une femme échevelée excite leur ardeur, et semble vouloir leur donner des ailes. Velléda n'avoit point trouvé son père. Elle avoit appris qu'il assembloit les Gaulois pour venger l'honneur de sa fille. La druidesse voit qu'elle est trahie, et connoît toute l'étendue de sa faute. Elle vole sur les traces du vieillard, arrive dans la plaine où se donnoit le combat fatal, pousse ses chevaux à travers les rangs, et me découvre gémissant sur son père étendu mort à mes pieds.

Transportée de douleur, Velléda arrête ses coursiers, et s'écrie du haut de son char:

« Gaulois, suspendez vos coups. C'est moi qui ai causé vos maux, c'est moi qui ai tué mon père. Cessez d'exposer vos jours pour une fille criminelle. Le Romain est innocent. La vierge de Sayne n'a point été outragée: elle s'est livrée elle-même, elle a violé volontairement ses vœux. Puisse ma mort rendre la paix à ma patrie! »>

Alors, arrachant de son front sa couronne de verveine, et prenant à sa ceinture sa faucille d'or, comme si elle alloit faire un sacrifice à ses dieux : « Je ne souillerai plus, dit-elle, ces ornements d'une vestale! »

<< Aussitôt elle porte à sa gorge l'instrument sacré : le sang jaillit. Comme une moissonneuse qui a fini son ouvrage, et qui s'endort fatiguée au bout du sillon, Velléda s'affaisse sur le char; la faucille d'or échappe à sa main défaillante, et sa tête se penche doucement sur son épaule. Elle veut prononcer encore le nom de celui qu'elle aime, mais sa bouche ne fait entendre qu'un murmure confus déjà je n'étois plus que dans les songes de la fille des Gaules, et un invincible sommeil avoit fermé ses yeux. >>

LIVRE ONZIÈME.

SOMMAIRE.

Suite du récit. Repentir d'Eudore. Sa pénitence publique. I quitte l'armée. Il passe en Égypte pour demander sa retraite à Dioclétien. Navigation. Alexandrie. Le Nil. L'Égypte. Eudore

obtient sa retraite de Dioclétien. La Thébaïde. Retour d'Eudore chez son père. Fin du récit.

«Pardonnez, seigneurs, aux larmes qui coulent encore de mes yeux ! Je ne vous dirai point que les centurions m'avoient retenu au milieu d'eux, tandis que Velléda s'arrachoit la vie. Trop juste châtiment du ciel, je ne devois plus revoir celle que j'avois séduite, que pour l'ensevelir dans la tombe!

«La grande époque de ma vie, ô Cyrille, doit être comptée de ce moment, puisque c'est l'époque de mon retour à la religion. Jusqu'alors, les fautes qui m'avoient été personnelles, et qui n'étoient retombées que sur moi, m'avoient peu frappé; mais quand je me trouvai la cause du malheur d'autrui, mon cœur se révolta contre moi. Je ne balançai plus. Clair arriva : je tombai à ses genoux; je lui fis la confession des iniquités de ma vie. Il m'embrassa avec des transports de joie, et m'imposa une partie de cette pénitence, non assez rigoureuse, dont vous voyez la suite aujourd'hui.

« Les fièvres de l'âme sont semblables à celles du corps pour les guérir, il faut surtout changer de

lieux. Je résolus de quitter l'Armorique, de renoncer au monde, et d'aller pleurer mes erreurs sous le toit de mes pères. Je renvoyai à Constance les marques de mon pouvoir, en le priant de me permettre d'abandonner le siècle et les armes. César essaya de me retenir par toutes sortes de moyens : il me nomma préfet du prétoire des Gaules, dignité suprême dont l'autorité s'étend sur l'Espagne et sur les îles des Bretons. Mais Constance, s'apercevant que j'étois ferme dans mes projets, m'écrivit ces mots pleins de sa douceur accoutumée :

« Je ne puis vous accorder moi-même la grâce «que vous me demandez, parce que vous apparte<< nez au peuple romain. L'empereur seul a le droit « de prononcer sur votre sort. Rendez-vous donc auprès de lui, sollicitez votre retraite, et si Auguste « vous refuse, revenez trouver César. »>

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« Je remis le commandement de l'Armorique au tribun qui me devoit remplacer; j'embrassai Clair, et, plein d'attendrissement et de remords, j'abandonnai les bois et les bruyères qu'avoit habités Vel léda. Je m'embarquai au port de Nîmes, j'arrivai à Ostie, et je revis cette Rome, théâtre de mes premières erreurs. En vain quelques jeunes amis voulurent me rappeler à leurs fêtes, ma tristesse corrompoit la joie du banquet; en affectant de sourire, je tenois long-temps la coupe à mes lèvres pour cacher les pleurs qui tomboient de mes yeux. Prosterné devant le chef des chrétiens, qui m'avoit retranché de la communion des fidèles, je le suppliai de me réunir au troupeau. Marcellin m'admit

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