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plient au nom de cette génération pacifique, d'être doux et charitable.

«Eh! comment aurois-je pu résister à leurs prières ? Comment aurois-je pu mettre en oubli la charité de Zacharie ? Je relevai ces femmes !

Mes sœurs, leur dis-je, je vous accorde la grâce que vous me demandez au nom de Jésus-Christ, notre commun maître. Vous me répondrez de vos époux, et je serai tranquille quand vous m'aurez promis qu'ils resteront fidèles à César.»

« Les Armoricains poussèrent des cris de joie, et ils élevèrent jusqu'aux nues une clémence qui me coûtoit bien peu. Avant de les congédier, j'arra. chai d'eux la promesse qu'ils renonceroient à des sacrifices affreux sans doute, puisqu'ils avoient été proscrits par Tibère même et par Claude. J'exigeai toutefois qu'on me livrât la druidesse Velléda et son père Ségenax, le premier magistrat des Rhédons. Dès le soir même, on m'amena les deux ctages; je leur donnai le chateau pour asile. Je fis sortir une flotte qui rencontra celle des Francs, et l'obligea de s'éloigner des côtes de l'Armorique. Tout rentra dans l'ordre. Cette aventure eut pour moi seul des suites dont il me reste à vous entretenir. »

Ici Eudore s'interrompit tout à coup. Il parut embarrassé, baissa les yeux, les reporta malgré lui sur Cymodocée, qui rougit comme si elle eût pénétré la pensée d'Eudore. Cyrille s'aperçut de leur trouble, et s'adressant aussitôt à l'épouse de Lasthénès:

Séphora, dit-il, je veux offrir le saint sacrifice pour Eudore, quand il aura fini de raconter son histoire. Me pourriez-vous faire préparer l'autel ? »

Séphora se leva, et ses filles la suivirent. La timide Cymodocée n'osa rester seule avec les vieillards: elle accompagna les femmes, non sans éprouver un mortel regret.

« Démodocus, qui la voyoit passer comme une biche légère sur le verger, s'écria plein

de joie :

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gazon du

Quelle gloire peut égaler celle d'un père qui voit son enfant croître et s'embellir sous ses yeux ! Jupiter même aima tendrement son fils Hercule : tout immortel qu'il est, il ressentit des craintes et des angoisses mortelles, parce qu'il avoit pris le cœur d'un père. Cher Eudore, tu causes les mêmes alarmes et les mêmes plaisirs à tes parents! Continue ton histoire. J'aime, je l'avouerai, tes chrétiens enfants des prières, ils viennent partout, comme leurs mères, à la suite de l'injure, pour réparer le mal qu'elle a fait. Ils sont courageux comme des lions et tendres comme des colombes; ils ont un cœur paisible et intelligent; c'est bien dommage qu'ils ne connoissent pas Jupiter! Mais, Eudore, je parle encore, malgré le désir que j'ai de t'entendre. Mon fils, tels sont les vieillards lorsqu'ils ont commencé un discours, ils s'enchantent de leur propre sagesse; un Dieu les pousse, et ils ne peuvent plus s'arrêter. »

Eudore reprit la parole

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LIVRE DIXIÈME.

SOMMAIRE.

Suite du récit. Fin de l'épisode de Velléda.

«Je vous ai dit, seigneurs, que Velléda habitoit le château avec son père. Le chagrin et l'inquiétude plongèrent d'abord Ségenax dans une fièvre ardente, pendant laquelle je lui prodiguai les secours qu'exigeoit l'humanité. J'allois chaque jour visiter le père et la fille dans la tour où je les avois fait transporter. Cette conduite, différente de celle des autres commandants romains, charma les deux infortunés: le vieillard revint à la vie, et la druidesse, qui avoit montré un grand abattement, parut bientôt plus contente. Je la rencontrois se promenant seule, avec un air de joie, dans les cours du château, dans les salles, dans les galeries, les passages secrets, les escaliers tournants qui conduisoient au haut de la forteresse; elle se multiplioit sous mes pas, et, quand je la croyois auprès de son père, elle se montroit tout à coup au fond d'un corridor obscur, comme une apparition.

« Cette femme étoit extraordinaire. Elle avoit, ainsi que toutes les Gauloises, quelque chose de capricieux et d'attirant. Son regard étoit prompt, sa bouche un peu dédaigneuse, et son sourire sin

gulièrement doux et spirituel. Ses manières étoient tantôt hautaines, tantôt voluptueuses; il y avoit, dans toute sa personne de l'abandon et de la dignité, de l'innocence et de l'art. J'aurois été étonné de trouver dans une espèce de sauvage une connoissance approfondie des lettres grecques et de l'histoire de son pays, si je n'avois su si je n'avois su que Velléda descendoit de la famille de l'archidruide, et qu'elle avoit été élevée par un senani, pour être attachée à l'ordre savant des prêtres gaulois. L'orgueil dominoit chez cette Barbare, et l'exaltation de ses sentiments alloit souvent jusqu'au désordre.

« Une nuit, je veillois seul dans une salle d'armes, où l'on ne découvroit le ciel que par d'étroites et longues ouvertures pratiquées dans l'épaisseur des pierres. Quelques rayons des étoiles, descendant à travers ces ouvertures, faisoient briller les lances et les aigles rangées en ordre le long des murailles. Je n'avois point allumé de flambeau, et je me promenois au milieu des ténèbres.

«Tout à coup, à l'une des extrémités de la galerie, un pâle crépuscule blanchit les ombres. La clarté augmente par degrés, et bientôt je vois paroître Velléda. Elle tenoit à la main une de ces lampes romaines qui pendent au bout d'une chaîne d'or. Ses cheveux blonds, relevés à la grecque sur le sommet de sa tête, étoient ornés d'une couronne de verveine, plante sacrée parmi les druides. Elle portoit pour tout vêtement une tunique blanche: fille de roi a moins de beauté, de noblesse et de grandeur.

«Elle suspendit sa lampe aux courroies d'un bouclier, et venant à moi elle me dit :

« Mon père dort; assieds-toi, écoute. >>

« Je détachai du mur un trophée de piques et de javelots, que je couchai par terre, et nous nous assîmes sur cette pile d'armes, en face de la lampe.

<< Sais-tu, me dit alors la jeune Barbare, que je suis fée ? »

« Je lui demandai l'explication de ce mot.

« Les fées gauloises, répondit-elle, ont le pouvoir d'exciter les tempêtes, de les conjurer, de se rendre invisibles, de prendre la forme de différents animaux. >>

« Je ne reconnois pas ce pouvoir, répondis-je avec gravité. Comment pourriez-vous croire raisonnablement posséder une puissance que vous n'avez jamais exercée? Ma religion s'offense de ces superstitions. Les orages n'obéissent qu'à Dieu. >>

»

«Je ne te parle pas de ton Dieu, reprit-elle avec impatience. Dis-moi, as-tu entendu la dernière nuit le gémissement d'une fontaine dans les bois, et la plainte de la brise dans l'herbe qui croît sur ta fenêtre ? Eh bien! c'étoit moi qui soupirois dans cette fontaine et dans cette brise! Je me suis aperçue que tu aimois le murmure des eaux et des

vents. >>

«J'eus pitié de cette insensée : elle lut ce sentiment sur mon visage.

«Je te fais pitié, me dit-elle. Mais si tu me crois atteinte de folie, ne t'en prends qu'à toi. Pourquoi

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