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de son sceptre; trois fois le creux de l'abîme renvoie un long mugissement. Le chaos, unique et sombre voisin de l'enfer, ressent le contre-coup, s'entr'ouvre, et laisse passer au travers de son sein un foible rayon de lumière qui descend jusque dans la nuit des réprouvés. Jamais Satan n'avoit paru plus formidable depuis le jour où, renonçant à l'obéissance, il se déclara l'ennemi de l'Éternel. Aussitôt les légions s'élèvent, sortent du conseil, traversent la mer de larmes, la région des supplices, et volent vers la porte gardée par le crime et la mort. On voit passer la troupe immonde à la lueur des fournaises ardentes, comme, dans une grotte souterraine, voltigent à la lumière d'un flambeau ces oiseaux douteux dont un insecte impur semble avoir tissu les ailes.

Sous le vestibule du palais des enfers, devant le lit de fer où repose l'éternité des douleurs, est suspendue une lampe: là brûle la flamme primitive de la colère céleste, qui alluma les brasiers éternels. Satan prend une étincelle de ce feu. Il part : du premier bond il touche à la ceinture étoilée; du second pas il arrive au séjour des hommes. Il porte l'étincelle fatale dans tous les temples, rallume les feux éteints sur les autels des idoles : aussitôt Pallas remue sa lance, Bacchus agite son thyrse, Apollon tend son arc, l'Amour secoue son flambeau, les vieux pénates d'Énée prononcent des paroles mystérieuses, et les dieux d'Ilion prophétisent au Capitole. Le père du mensonge place un esprit d'illusion à chaque simulacre des divinités

païennes; et, réglant les mouvements de ses invisibles cohortes, il fait agir de concert, contre l'Église de Jésus-Christ, l'armée entière des dé

mons.

LIVRE NEUVIÈME.

SOMMAIRE.

Reprise du récit d'Eudore. Eudore à la cour de Constance. II passe dans l'ile des Bretons. Il obtient les honneurs du triomphe. Il revient dans les Gaules. Il est nommé commandant de l'Armo

rique. Les Gaules. L'Armorique. Épisode de Velléda.

Trop fidèle à ses promesses, le démon des vo luptés est descendu sous les lambris dorés qu'habite le disciple des faux sages. Il réveille dans son cœur une flamme assonpie; il présente à ses désirs l'image de la fille d'Homère; il le perce d'une flèche trempée dans les eaux qui recouvrent les ruines fumantes de Gomorrhe. Si Hiéroclès avoit pu voir, en ce moment même, la prêtresse des Muses atteinte des traits d'un autre amour; s'il l'avoit pu voir les yeux attachés sur Eudore, qui s'apprête à continuer le récit de ses aventures, quelle jalousie n'eût point embrasé l'âme de l'ennemi des chrétiens! Hélas! les ravages de cette jalousie ne sont suspendus que pour quelques. jours. La famille de Lasthénès jouit avec ses hôtes des derniers moments de paix que le ciel lui laisse ici-bas. Rassemblés, comme la veille, au lever de l'aurore, Lasthénès, ses filles et son épouse, Cyrille, Démodocus et Cymodocée, sont assis à la porte du verger, et prêtent une oreille attentive

au guerrier repentant, qui recommence à parler

en ces mots :

1

«Je vous ai dit, seigneurs, que Zacharie m'avoit laissé sur la frontière des Gaules. Constance se trouvoit alors à Lutèce. Après plusieurs jours de fatigue, j'arrivai chez les Belges 1 de la Sequana. Le premier objet qui me frappa dans les marais des Parisii, ce fut une tour octogone, consacrée à huit dieux gaulois. Du côté du midi, à deux mille pas de Lutèce, et par-delà le fleuve qui l'embrasse, on découvroit le temple d'Hésus; plus près, dans une prairie au bord du fleuve, s'élevoit un second temple dédié à Isis; et vers le nord, sur une colline, on voyoit les ruines d'un troisième temple, jadis bâti en l'honneur de Teutatès. Cette colline étoit le Mont-de-Mars, où Denis avoit reçu la palme du martyre.

<< En approchant de la Sequana, j'aperçus, à travers un rideau de saules et de noyers, ses eaux claires, transparentes, d'un goût excellent, et qui rarement croissent ou diminuent. Des jardins plantés de quelques figuiers qu'on avoit entourés de paille pour les préserver de la gelée étoient le seul ornement de ses rives. J'eus quelque peine à découvrir le village que je cherchois, et qui porte le nom de Lutèce, c'est-à-dire la belle pierre ou la belle colonne. Un berger me le montra enfin au milieu de la Sequana, dans une île qui s'allonge en forme de vaisseau. Deux ponts de bois, défendus par deux châteaux,

Les habitants de l'Ile-de-France.

où l'on paie le tribut à César, joignent ce misérable hameau aux deux rives opposées du fleuve.

«J'entrai dans la capitale des Parisii par le pont du septentrion, et je ne vis dans l'intérieur du village que des huttes de bois et de terre, recouvertes de paille et échauffées par des fourneaux. Je n'y remarquai qu'un seul monument: c'étoit un autel élevé à Jupiter par la compagnie des Nautes. Mais hors de l'île, de l'autre côté du bras méridional de la Sequana, on voyoit, sur la colline Lucotitius, un aquéduc romain, un cirque, un amphithéâtre et le palais des thermes h 4 par Constance.

« Aussitôt འ

que César eut appris que j'étois à la porte de son palais, il s'écria:

«< Qu'on laisse entrer l'ami de mon fils! »

«Je me jetai aux pieds du prince; il me releva avec douceur, m'honora de ses éloges devant sa cour, et me prenant par la main, me fit passer avec lui dans la salle du conseil. Je lui racontai ce qui m'étoit arrivé chez les Francs. Constance parut charmé que ces peuples consentissent enfin à poser les armes, et il fit partir à l'heure même un centurion pour traiter de la paix avec eux. Je remarquai avec douleur que la pâleur et la foiblesse de Constance étoient augmentées.

« Je trouvai réunis dans le palais de ce prince les fidèles les plus illustres de la Gaule et de l'Italie. Là brilloient Donatien et Rogatien, aimables frères ; Gervais et Protais, l'Oreste et le Pylade des chrétiens; Procula de Marseille; Just de Lugdunum; enfin, le fils du préfet des Gaules, Ambroise, mo

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